Sébastien Elka, membre des commissions écologie et énergie du Parti communiste français, répond au billet du militant antinucléaire Guillaume Blavette publié le 9 février et intitulé « Amis écologistes n'oubliez pas que le PCF est pronucléaire ».
Membre du comité de rédaction de la revue Progressistes et des commissions écologie et énergie du PCF, cités dans le billet, nous souhaitons apporter une réponse à certains des arguments développés. Car si, oui, assurément il existe des débats et des désaccords à l’intérieur des alliances de la gauche radicale et écologiste, il importe de dépasser les caricatures et invectives pour comprendre les positions des uns et des autres, ce qu’elles révèlent et en quoi elles permettent malgré tout de travailler ensemble.
Pour la majorité des communistes, le nucléaire n’est pas l’épouvantail qu’il peut être pour d’autres, mais bien un domaine de l’activité humaine, appuyé sur ce qu’il y a de plus pointu dans les sciences de la matière, à évaluer à l’aune d’une raison pratique.
Pour les communistes français, une transition énergétique permettant d’enrayer le réchauffement climatique est indispensable, car à travers le réchauffement climatique c’est toute l’humanité qui est en péril, comme le montrent les scientifiques du GIEC, ce qui implique économies d’énergie et recours à des énergies bas carbone (voir ici la brochure du PCF sur la transition énergétique). Pour eux, les énergies renouvelables sont une partie de la solution – la revue Progressistes leur consacre d’ailleurs son prochain dossier – mais la France et l’Europe ne peuvent se permettre de reproduire le schéma allemand : sortie brutale du nucléaire, soutien très coûteux aux énergies renouvelables insuffisamment matures, compensation par le gaz, le charbon et l’importation d’électricité, avec un coût au kilowattheure très élevé, des pollutions terribles et des réseaux dangereusement instables. Et ils soulignent surtout l’importance des acquis de l’après-guerre : l’accès à l’énergie et au progrès qu’il permet comme droit humain inaliénable, l’égalité des citoyens et des territoires dans l’accès à ce droit, la sûreté et la durabilité du système de production et de distribution, garantis par le service public et l’indépendance à l’égard des puissances d’argent. En outre, le GIEC lui-même se prononce pour une utilisation accrue du nucléaire au niveau mondial car il considère que c'est l’un des leviers pour limiter les émissions de CO2. De nombreux pays, dont la Bolivie, la Suède, les Pays-Bas, la Finlande, pays pourtant cités en exemple dans le domaine de l'environnement, et beaucoup d'autres encore, se tournent vers cette énergie qui est donc loin de connaître un déclin. L'enjeu politique ici est plutôt d'organiser et d'anticiper ce déploiement avec la mise en place d'une Haute autorité de sûreté qui contrôlerait au niveau mondial la conformité de ces nouvelles installations.
Pour beaucoup d’ « anti-nucléaires », cette position est manifestement inacceptable. Le nucléaire est un objet technico-scientifique d’une complexité impalpable et donc nécessairement non maîtrisable. Faire confiance à des industriels ou des « autorités », fussent-ils publics, relève pour eux au mieux d’une folle naïveté, voire d’une complicité intéressée. Et la défense d’une énergie peu chère au service du développement humain relèverait d’une persistance dans l’erreur séculaire d’un scientisme productiviste prêt à sacrifier la nature et donc l’homme sur l’autel d’une chimère progressiste.
Dont acte, le désaccord est clair. Il dépasse même le nucléaire et touche par exemple le rapport à l’Etat et aux institutions. Pour les communistes, l’Etat républicain et social est l’une des plus précieuses conquêtes populaires : toujours en mouvement, il est un point d’appui pour les luttes sociales et le mouvement ouvrier dont les communistes se sentent toujours porteurs et héritiers. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous nous prononçons pour une VIe République où les droits des citoyen-ne-s et des salarié-e-s seraient renforcés. Nous luttons pour de nouveaux droits d’information et d’intervention des salarié-e-s, de nouveaux critères de gestion contre tous les gâchis, des moyens nouveaux qui permettraient de peser sur les stratégies des entreprises. De même, nous sommes favorables à une nouvelle politique de crédit et à une nouvelle politique fiscale qui seraient d’autant plus avantageuses que les entreprises intègreraient plus fortement des critères de gestion sociale, environnementale, comme les engagements en matière de formation et d’investissement. Citons également les milliers de militants et d’élus qui se battent pour que des projets à forts enjeux environnementaux voient le jour partout en France: programme de géothermie, défense de gares de proximité, développement de transport en commun, projets autour de la biodiversité, de l’agriculture de proximité, etc. Nous vous renvoyons à ce propos au n°2 de la revue Progressistes où tout un dossier est consacré à ce sujet (à télécharger ici).
Pour certains écologistes – et l’on voit là se rejouer les débats entre socialistes et anarchistes tels qu’ils se déroulaient au XIXe siècle – toute institution est toujours suspecte de servir davantage l’élite qui la tient que la population. Une controverse similaire apparaît s’agissant du risque, notion si importante pour la question nucléaire, qui peut être mathématique pour les uns, regroupant probabilité d’accident et gravité du dommage si l’accident intervient, ou qui peut être un repoussoir en soi pour les autres, rien n’autorisant dans cette perspective le meilleur mathématicien du monde à prendre le risque de causer des dommages à la nature et aux générations futures. De telles disputes sont visibles encore pour l’idée même de Progrès, ou encore pour le rapport à la science ou à l’industrie.
Il y a donc, il faut bien l’admettre, dans notre « galaxie Syriza » deux traditions politiques, à ce jour, peu conciliables. Et pourtant, nous n’avons pas d’autre choix que de les faire cohabiter si l’on veut répondre à l’urgence sociale qui se développe entre autres dans les quartiers populaires où les populations sont captives des marchés financiers et commerciaux qui poussent au consumérisme. Ensemble nous voulons agir pour réduire dans un même mouvement les inégalités sociales et environnementales qui sont le lot quotidien des familles les plus fragilisées par la crise du capitalisme.
Nous faisons ce choix assumé d’abord parce que raisonnablement la situation est trop grave pour que nous laissions les financiers, les austéritaires, le capital sous tous ses avatars modernes, nos ennemis communs, détruire nos sociétés et notre planète. Nous assumons ce choix, surtout, parce que nous voyons bien dans le quotidien des combats que nous menons sur nos territoires, dans nos communes, sur nos lieux de vie et de travail, que ce sont bien ces têtes de toutes nuances de rouge, de vert et de certains roses que l’on retrouve sur toutes nos formes de barricades.
Tout ceci n’empêchera pas les communistes de défendre que la révolution néolithique, quand il y a 20 000 ans l’homme a commencé à domestiquer et maîtriser la nature, a été le démarrage d’une grande et belle aventure. Cela ne les découragera pas non plus de défendre qu’il y a du progrès dans l’histoire et que ce n’est pas en rejetant les sciences, les techniques et l’industrie mais bien en s’appuyant sur le meilleur de la raison humaine que l’on est réellement et sérieusement écologiste. Et cela ne leur interdira pas non plus de se battre pour faire reculer les visions métaphysiques du rapport à la nature, trop souvent gouvernées par des peurs irrationnelles. Ceci dit, l’histoire nous a rudement enseigné que l’on n’a jamais raison tout seul, et combien il est dangereux de le croire. C’est aussi pourquoi le PCF s’engage si nettement dans la démarche de rassemblement du Front de gauche avec ses élargissements. Nous ne nous mettrons pas d’accord sur le nucléaire, nos présupposés sont trop différents, mais si cela nous empêche de nous réunir, alors les puissances d’argent continueront de décider à notre place, de nous assujettir, de détruire notre planète. Il peut être difficile de nous tendre la main, mais nous n’avons pas le choix, il faut le faire.