Dans une lettre adressée au directeur de Mediapart, le ministre de l’intérieur répond aux critiques du projet de loi de lutte contre le terrorisme, largement voté par l’Assemblée nationale jeudi 18 septembre. Affirmant que cette loi n’a rien de liberticide, Bernard Cazeneuve conclut : « Combattre le terrorisme, c’est défendre les libertés. » La lettre du ministre de l’intérieur est une réaction aux propos tenus par Edwy Plenel, lundi 15 septembre, face aux questions de Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFM (au début de la vidéo ci-dessous). Ces propos résumaient les analyses et positions de Mediapart sur ce projet de loi qui sont notamment détaillées dans les articles de Louise Fessard et de Jérôme Hourdeaux (ici, là et encore là).
Voici la réponse du ministre de l’intérieur :
« Cher Edwy Plenel,
« Vous avez déclaré ce lundi 15 septembre que le projet de loi que j’ai présenté devant l’Assemblée nationale était « une loi d’exception qui viole l’Etat de droit ». Vous l’avez comparé aux « lois scélérates » adoptées sous la III ème République en réaction aux attentats anarchistes, ainsi qu’à l’exercice par l’armée des pouvoirs de police pendant la guerre d’Algérie.
« Pour apprécier la pertinence de telles comparaisons, il n’est pas inutile de rappeler que les « lois scélérates » de 1893 et 1894 n’ont pas seulement abouti à l’interdiction de journaux anarchistes comme « Le Père Peinard » : elles ont créé un véritable délit d’opinion et ont permis de condamner au bagne des malheureux qui n’avaient jamais envisagé de lancer la moindre bombe. A l’inverse, il n’est pas nécessaire de souligner que le recours à la torture comme méthode de renseignement constitue une infamie et un crime. C’est donc véritablement abimer le débat public que de rapprocher la politique du Gouvernement de celle qui conduisit la IVème République à sa perte.
« Au demeurant, si je déplore cette rhétorique de l’amalgame, je partage votre crainte des lois d’exception et je me méfie comme vous des mesures répressives prises sous le coup de l’émotion, pour répondre aux inquiétudes de l’opinion. La France en a fait trop souvent l’expérience, non pas il y a 50 ou 100 ans, mais au cours des années passées.
« Mais la loi qui est aujourd’hui discutée par le Parlement n’est ni une loi d’exception, ni une loi de circonstance, ni une loi liberticide. L’examen de ses principales dispositions le montre et je trouve qu’il y a une sorte de mauvaise foi à prétendre le contraire.
« Cette loi n’est pas une loi d’exception puisqu’elle se situe dans le droit fil d’un dispositif républicain de lutte contre le terrorisme, construit au cours des ans et consacré par le Conseil constitutionnel, lequel admet, selon la formule limpide de sa décision du 22 mars 2012, les mesures « justifiées par un motif d’intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». Comme par le passé, les dispositions nouvelles introduites par la loi seront bien entendu soumises à un contrôle étroit du juge.
« Elle n’est pas davantage une loi de circonstance puisque, loin de constituer une réaction à un événement conjoncturel, elle repose sur l’analyse lucide des évolutions lourdes de la menace terroriste auquel notre pays est confronté. Encore récemment en effet, le terrorisme était « réservé » à une poignée d’individus faisant le choix de la clandestinité au sein de groupes structurés et difficiles d’accès. La stratégie suivie aujourd’hui par les groupes terroristes présents en Syrie et en Irak vise au contraire à rendre la terreur accessible au plus grand nombre, à recruter le plus largement possible des combattants étrangers, en utilisant Internet et les réseaux sociaux pour diffuser leurs discours de haine, à permettre à tout à chacun d’acquérir le savoir-faire minimal pour commettre un attentat « de proximité ». La lutte contre le terrorisme doit donc désormais viser prioritairement à lutter contre cette propagande, à contrarier les départs des Français tentés de rejoindre ces groupes criminels et à prévenir les passages à l’acte individuels. Chacune des dispositions du texte se déduit de ces circonstances nouvelles, méticuleusement analysées, et non du sentiment d’affolement que vous vous hasardez à prêter au Gouvernement.
« La Loi enfin, n’a rien de liberticide. Elle prévoit naturellement certaines restrictions à la liberté d’aller et venir, lorsque c’est le seul moyen d’empêcher le départ d’un individu désireux de rejoindre un groupe terroriste, ou à la diffusion de messages sur Internet, comme cela est déjà prévu pour la pédopornographie. Mais ces mesures ont été soigneusement calibrées et ceux qui en feront l’objet bénéficieront de toutes les protections qui sont celles d’un Etat de droit. Nous ne devons jamais oublier en effet que le terrorisme n’ambitionne pas seulement de frapper de manière aveugle et de répandre l’épouvante au sein des populations. Il veut également s’attaquer aux valeurs qui fondent la cohésion de nos sociétés et qui lui font horreur : la démocratie, la règle de droit, la liberté d’expression. C’est pourquoi nous devons nous montrer aussi intransigeants dans la défense des libertés publiques que nous serons fermes et résolus dans la lutte contre le terrorisme.
« Combattre le terrorisme, c’est défendre les libertés. Et c’est pourquoi il me semble que vous commettez une erreur en dénonçant, au nom de la défense des libertés publiques, la volonté de la démocratie de se protéger, dans le respect de ses valeurs, de ceux qui s’acharnent à les détruire toutes.
« Je vous prie de croire, Cher Edwy Plenel, à l’expression de mes sentiments les meilleurs. »