Billet de blog 20 novembre 2013

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Beyrouth, 1983-2013

Du Hezbollah lançant une voiture piégée contre l'ambassade des Etats-Unis (en 1983), aux Brigades Abdullah Azzam revendiquant le double attentat du 19 novembre dernier contre la représentation iranienne dans la capitale du Liban, le Moyen-Orient a basculé d’un anti-impérialisme à l’autre: l'analyse du chercheur Romain Caillet (Ifpo). 

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Du Hezbollah lançant une voiture piégée contre l'ambassade des Etats-Unis (en 1983), aux Brigades Abdullah Azzam revendiquant le double attentat du 19 novembre dernier contre la représentation iranienne dans la capitale du Liban, le Moyen-Orient a basculé d’un anti-impérialisme à l’autre: l'analyse du chercheur Romain Caillet (Ifpo). 


Pour les historiens spécialistes du Moyen-Orient contemporain, la date du 18 avril 1983, jour de l’attentat suicide mené par le Hezbollah contre l’Ambassade américaine à Beyrouth, a marqué de façon éclatante l’apparition de la milice chiite libanaise sur la scène internationale, dont elle deviendra par la suite un acteur incontournable. En effectuant un attentat suicide contre l’Ambassade de la nation incarnant le leadership de « l’impérialisme occidental », le Hezbollah suscita un élan de sympathie au sein des peuples arabo-musulmans mais aussi parmi les milieux tiers-mondistes ou d’extrême-gauche.

Trente ans plus tard, c’est le régime iranien, et son « expansionnisme » dans le monde arabe, qui incarne aujourd’hui la perspective d’une nouvelle menace, voire d’un nouvel « impérialisme », aux yeux d’une grande part des populations sunnites du Moyen-Orient, particulièrement en Irak, au Liban et bien sûr en Syrie. Ainsi, le double attentat suicide perpétré mardi 19 novembre 2013 à l’entrée de l’Ambassade iranienne à Beyrouth – le lieu le plus sécurisé du dispositif sécuritaire du Hezbollah – par l’organisation des Brigades Abdullah Azzam (1) représente, nous semble-t-il, l’aboutissement d’une stratégie de communication politique visant à faire des membres de cette organisation « les protecteurs » des sunnites du Liban.

Illustration 1

Organisation internationale, implantée principalement en Arabie saoudite et au Liban, les Brigades Abdullah Azzam ont été fondées en 2009 et sont aujourd’hui dirigées par le jihadiste saoudien Majid bin Muhammad al-Majid. Dans la communication des Brigades Azzam, une place particulière est accordée à la branche libanaise de l’organisation, considérée comme la plus importante en termes de soutiens potentiels auprès des populations locales. C’est sans doute ce qui explique la fréquence des nombreux communiqués et messages vidéos de Siraj ad-Din Zurayqat, porte-parole depuis 2012 de la branche libanaise des Brigades Azzam, ancien imam d’une mosquée de Beyrouth, incarcéré en 2011 puis entré dans la clandestinité peu de temps après sa libération, obtenue un an plus tard. C’est d’ailleurs Siraj ad-Din Zurayqat lui-même qui a revendiqué, sur son compte Twitter (2), cette opération baptisée « Le raid (ghazwa) de l’Ambassade iranienne à Beyrouth », ce qui marque une rupture dans l’activité militante du groupe, demeurée jusqu’ici relativement mineure en terme d’actions militaires. Auparavant, la multiplication de communiqués, non suivis d’actions, avait fini par être tournée en dérision par certains jihadistes, notamment par les administrateurs de la page Facebook, aujourd’hui suspendue, « Qadaya al-Umma » (Les affaires de la Oumma) (3), dont un contributeur avait exhorté il y a plus d’un an les Brigades Azzam au Liban à « délaisser les communiqués pour se mettre enfin à agir ».

Depuis plus de trois ans, le discours tenu dans les communiqués et publications des Brigades Azzam à destination du public libanais a d’abord tourné autour d’une sensibilisation identitaire de la communauté sunnite, en développant une posture victimaire dont l’exemple le plus significatif est sans doute leur film documentaire (utilisant des images d’archives) intitulé « la communauté opprimée » (at-Ta’ifa al-Mazluma) (4), diffusé à l’automne 2010. Après s’être félicitées de la révolution syrienne, qualifiée par leur Emir, Majid bin Muhammad al-Majid, de « printemps du Levant » (Rabi‘ ash-Sham) (5), les Brigades Azzam ont vivement recommandé aux chiites libanais de se dissocier de la politique iranienne de soutien au « régime alaouite » de Bachar al-Assad (6). A posteriori, on peut donc s’interroger sur les raisons pour lesquelles les Brigades Azzam se sont concentrées sur « une stratégie de communication » pendant plus de trois ans, durant lesquels seules quelques actions mineures furent revendiquées au Liban (7). Après réflexion, il semblerait que la période choisie pour effectuer le double attentat contre l’Ambassade iranienne de Beyrouth, au mois de novembre 2013, coïncide avec les débuts de la bataille de la région de Qalamoun, dans laquelle les combattants du Hezbollah seront fortement engagés.

Arrivée au maximum de ses capacités dans son engagement militaire en Syrie, où se trouvent déjà plus de 15 000 de ses combattants, la milice chiite serait donc fortement déstabilisée au cas où un nouveau front s’ouvrirait au Liban. En effet, le Hezbollah n’a plus aujourd’hui la capacité d’engager toutes ses forces dans une bataille sur le sol libanais, à moins de provoquer un affaiblissement fatal de son allié syrien. On peut donc supposer que durant ces trois dernières années, les Brigades Azzam n’étaient alors qu’en phase de structuration au Liban, privilégiant la prédication et la consolidation (ad-Da‘wa wa-t-Tamkin)  plutôt que l’affrontement direct avec le Hezbollah. Cela expliquerait ainsi la priorité donnée par les Brigades Azzam à la publication de communiqués, dénonçant constamment la domination exercée par les milices chiites dans les quartiers sunnites de Beyrouth, puis, après la révolution syrienne, le soutien iranien au régime alaouite. Dans cette hypothèse, le double attentat du 19 novembre, ayant provoqué la mort de l’attaché culturel de l’Ambassade iranienne ainsi que celles d’au moins cinq cadres de son service de sécurité, marquerait le début d’une offensive des Brigades ‘Azzâm contre le dispositif iranien au Liban, dont le Hezbollah est partie intégrante.

Dans cette bataille, les jihadistes libanais pourraient bénéficier du soutien d’une part significative de la communauté sunnite qui, si elle était relativement favorable au Hezbollah dans le passé, considère aujourd’hui que celui-ci n’est plus un mouvement de résistance mais seulement un instrument de domination communautaire. Une domination communautaire légitimée par l’alibi de la « résistance » à Israël, conférant le privilège à tous ceux qui s’affilient au Hezbollah de posséder légalement des armes, voire d’en faire usage lorsqu’ils estiment que cette « résistance » est menacée. A cet égard, le coup de force du 7 mai 2008, au cours duquel le Hezbollah et ses alliés prirent d’assaut les quartiers sunnites de Beyrouth en y humiliant leurs habitants, constitue un traumatisme pour la communauté sunnite de la capitale libanaise. Cet événement a durablement discrédité l’image du Hezbollah auprès des sunnites, dont certains d’entre eux font remarquer que depuis la fin de la guerre de juillet-août 2006, le Hezbollah n’a tué que des sunnites, qu’ils soient libanais ou syriens, et aucun soldat israélien.

Romain Caillet, chercheur et consultant, Beyrouth, le 20 novembre 2013.

(1) Jordanien d’origine palestinienne, diplômé de l’Université al-Azhar, Abdullah Azzam (1941-1989) fut le principal théoricien de l’internationalisation du Jihad afghan contre les Soviétiques. Malgré son appartenance au mouvement des Frères Musulmans, il demeure l’une des principales références du courant jihadiste.

(2) Quelques heures plus tard, le compte Twitter de Siraj ad-Din Zurayqat (@SirajeddineZ) ainsi que celui des Brigades Abdullah Azzam (@KAtaebAzzam) étaient clôturés par les modérateurs de Twitter.

(3) La page de Qadaya al-Umma étant régulièrement  effacée par les modérateurs de Facebook, nous renvoyons à son compte Twitter considéré comme plus stable : https://twitter.com/Qaadayaalumaa1

(4) http://www.youtube.com/watch?v=09AZSRkyFaY

(5) http://www.youtube.com/watch?v=3R09sTnPbpQ

(6)  http://www.youtube.com/watch?v=cxiVBgKYvRc

(7) La dernière de ces actions, remontant au 22 août 2013, se résumant aux tirs de deux salves de roquettes sur le territoire israélien, n’ayant fait aucune victime, ni provoqués de dégâts majeurs. Voir http://www.terrorism-info.org.il/fr/articleprint.aspx?id=20563

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