A la veille du bureau national (BN) du PS consacré à la crise financière prévu le 23 août, Razzy Hammadi, secrétaire national du PS chargé des services publics exhorte les dirigeants du parti à mettre en place un «plan crédible, d’un délai raisonnable, celui d’une législature, et d’engagements tenus», et propose cinq axes de réflexion.
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Lorsque la gauche donne le sentiment de ne plus être elle-même, alors elle perd.
Or si sans trop de controverses, il peut être admis par le plus grand nombre, que tout au long de son histoire, la gauche victorieuse et de transformation a à chaque fois su constituer tout à la fois «l’autre voix», et «un chemin différent», en un mot l’alternative réelle, le triste spectacle actuel que donne une partie de la gauche socialiste, au sujet de la dette et de sa réduction ne peut nourrir que crainte et inquiétude quant à sa capacité à l’emporter.
Pour s’en convaincre, jeter un bref regard sur ce débat pantomime suffit… Et de se dire, tout aussi rapidement, que la différence entre la gauche et la droite, ne saurait se réduire à savoir si la mise en place d’une prétendue «règle d’or» devra se faire par le biais de la Constitution, d’«un amendement à la loi de finance» ou bien encore par le biais d’un «plan quinquennal»…
Nombre de ceux qui participent à ce petit jeu qui consiste à savoir qui sera le plus «courageux», le plus «vertueux», le plus «sérieux» feignent d’ignorer deux réalités qui ne manqueront sûrement pas de nous faire payer la manière dont ces derniers mènent le débat sur la dette.
La première est que si à la faveur d’une résignation rampante et temporaire, cette course à la rigueur leur permettait malgré tout de l’emporter à brève échéance au sein d’une opinion déboussolée, abattue et matée, il est fort à penser que le plus grand nombre des nôtres, ceux qui depuis 2002 serrent les dents et attendent tout de la gauche, nous fassent payer électoralement ce qui sonnera comme une trahison, une fois que les mesures et ingrédients du remède de cheval préconisé seront connus. La volonté d’être crédible implique toujours son corolaire en forme de question… Auprès de qui ?
La seconde réalité est de l’ordre du réalisme et du pragmatisme qui sied tend à ces thuriféraires de l’austérité. Les 3% de déficit en 2013 sont quasi inatteignables à cette échéance (et ce alors même que nous ne connaissons pas encore l’état définitif des comptes que laissera la droite dont les prévisions de croissance à 2,25-2,5% permettant les scenarii de réduction sont déjà démentis et que les perspectives européennes et mondiales apparaissent pour le moins sombres, soit 0,7% de croissance attendus pour la zone euro l’année prochaine) pas plus d’ailleurs que les ratios intenables de la dette.
Et si pour raisonner par l’absurde, nous devions nous en convaincre, alors eût-il été nécessaire de rappeler les conséquences premières d’un tel objectif: réduction de dépenses anesthésiante pour l’emploi et la demande, dynamique économique démembrée incapable de lutter contre une remontée de la dette et des déficits qui s’en suivrait. En un mot la baisse des investissements et d’une croissance déjà atone que le renchérissement des taux viendra naturellement et automatiquement sanctionner, est à l’instar du scénario grec, largement prévisible.
C’est pour cela que nous avons besoin d’un plan crédible, d’un délai raisonnable, celui d’une législature, et d’engagements tenus, pour à terme, à la fois réduire la dette et le déficit et offrir face à l’impasse du statu quo de l’austérité dans laquelle nous sommes déjà, un chemin permettant de réconcilier justice sociale, efficacité économique et mise en place d’un nouveau modèle industriel et social-écologique.
C’est en ayant comme point de départ ce diagnostic, celui-là même qui avait amené tant de commentateurs à considérer comme sérieux et crédible le projet socialiste adopté à l’unanimité de ses membres et qui repoussait à plus loin l’objectif des 3%, afin dans un premier temps d’assainir et moraliser notre politique fiscale et de réaliser les investissements nécessaires.
Face à l’impasse, ce plan clair et ambitieux, doit indiquer les voies d’un autre chemin, innovant et porteur d’avenir pour les générations qui viennent. Celui-ci ne doit ignorer ni le fonctionnement de la finance ni celui de l’économie «réelle» et encore moins la demande sociale si prégnante. J’évoque 5 axes non exhaustifs, dont la plupart sont déjà discutés dans l’espace public, à saisir comme un ensemble cohérent à même de redonner confiance et force à ceux que nous ne devons jamais cessé d’être : «Des créateurs du possible». C’est à ce prix que nous trouverons le chemin de la victoire.
1. Un besoin d’alternative. Face à la droite européenne de Sarkozy et Merkel, faire entendre une autre voie, celle de la gauche continentale
La gauche européenne doit rapidement se réunir au travers d’un sommet extraordinaire et se faire entendre en réaffirmant ce qu’ont été les grands axes des expressions communes partagées à la fois par Martine Aubry, Poul Nyrup Rasmussen (président du parti socialiste européen) et Sygmar Gabriel (numéro un du SPD allemand). C’est notamment l’enjeu des «eurobonds», de l’établissement d’un véritable fond monétaire européen, du «juste échange économique, financier et commercial» et de l’établissement de nouvelles règles prudentielles et fiscales visant les opérations financières, qu’il nous faut promouvoir.
2. Une révolution fiscale
En termes simples et compris par tous, nous devons dire et répéter inlassablement qu’au regard de l’urgence nous reviendrons sur l’ensemble des baisses d’impôts injustifiées de la droite, ce sont là les quelques 50 milliards qu’évoque régulièrement Martine Aubry. Mais à cela une nouvelle philosophie de la fiscalité, et donc de la société doit être affirmée, c’est le point de vue de Joseph Stiglitz, qui propose de baisser les prélèvements sur le travail en les compensant par une fiscalité nouvelle sur le capital. En un mot à la fiscalité du dumping appliquée à l’argent qui dort substituons-lui une fiscalité de l’effort et du mérite, une part de ces baisses de prélèvement devant être instantanément traduite en augmentation de salaire direct. Le différentiel qui va de 8 à 27% pour ce qui concerne l’impôt sur les sociétés doit être comblé notamment par le biais d’une base forfaitaire annihilant pour grande part l’optimisation fiscale des grandes firmes.
3. L’Europe a moins besoin de nouveaux mécanos institutionnels que de projets
En lieu et place d’un gouvernement économique qui ne verra pas le jour de si tôt et dont le principal objectif serait de se faire le gendarme des budgets nationaux alors même que toute discussion fiscale est interdite aux peuples du continent, il nous faut construire un grand plan européen piloté par les 27, à même de répondre aux grands défis des besoins d’infrastructures pour le siècle qui s’ouvre, et dont l’horizon serait à 20 ou 30 ans : lignes grande vitesse continentales, infrastructures de transport et énergétiques euro-méditerranéenne, renouvellement urbain, pôles européens industrielles, de recherche et d’innovation.
4. Toutes les dettes ne se valent pas, qualifions-les !
Il est normal que nous soyons sanctionnés par les marchés, lorsque l’argent emprunté sert à baisser de 2 milliards l’ISF des plus fortunés qui pourront le cumuler pendant de nombreux mois avec leur bouclier fiscal. Cela l’est moins lorsque les déficits permettent d’investir dans l’éducation, la recherche, l’aménagement durable ou bien encore la rénovation de nos services publics, de notre appareil productif et l’entrée de plein pied dans l’économie verte, sociale et numérique, c’est d’ailleurs pour cette raison que le Parti Socialiste de Martine Aubry a proposé que ces dépenses ne soient pas prises en compte en l’état dans le calcul des déficits.
À cela j’ajouterai, les investissements publics/privés qui permettent comme le préconisait Keynes de «lier les investisseurs à leurs actifs», notamment dans le secteur des grandes infrastructures. Dans ce domaine des milliards d’euros qui attendent une rentabilité stable et régulière d’exploitation à long terme n’attendent qu’à être investis et ne font pas la fine bouche afin de bénéficier de tout effet de levier disponible. Il y a là matière à réfléchir afin de s’émanciper de la volatilité des marchés et lisser nos capacités à investir à l’horizon d’une génération. Le fond de réserve des retraites en France pourrait être utilisé à cet effet plutôt que d’aller perdre des millions sur les marchés d’action.
5. Une refondation réglementaire de nos marchés financiers
En 2007, la directive MIF (marché d’instruments financiers) a fini de totalement libéraliser les marchés boursiers en Europe, elle a rendu possible l’utilisation de plateforme d’échanges incontrôlables, qui empêche notamment tout contrôle sérieux des ventes à découvert. Nous devons refondre cette directive, par le biais d’une réglementation nouvelle dont l’usage n’est pas nouveau, en vigueur dans de nombreuses zones économiques du monde, et la réalisation concrète encore possible. Il est bien évidemment question de la taxe sur les transactions financières, mais aussi d’une part en capital immobilisé pour une durée déterminée, et ce pour toute somme investie sur nos marchés.
Ces axes d’actions complètent et rappellent un certain nombre de mesures déjà proposées par les socialistes (emplois-jeunes, réforme de l’impôt sur le revenu, baisse de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui réinvestissent, séparation des activités de dépôt et d’investissement pour les banques). Cependant elles portent en elles l’effet psychologique escompté, et qui vise à exprimer la chose suivante : face à une situation exceptionnelle, nous sommes prêts à déployer une gauche exceptionnelle, et si avec Nicolas Sarkozy, la France est condamnée au sursis, nous sommes nous, déterminés à incarner le sursaut.
Razzy Hammadi, secrétaire national du PS chargé des services publics