Billet de blog 23 août 2013

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Pour l'Europe, quel saut démocratique?

Pour sortir de la crise, la question de la gouvernance de la zone euro et de l'Union européenne doit être tranchée, explique le député européen socialiste Henri Weber. Il plaide pour un « euro-réalisme » qui démocratiserait l'UE en renforçant ses piliers, avec un pouvoir de codécision et de contrôle accru pour le Parlement, et l'élection du président de la Commission par les députés européens.

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Pour sortir de la crise, la question de la gouvernance de la zone euro et de l'Union européenne doit être tranchée, explique le député européen socialiste Henri Weber. Il plaide pour un « euro-réalisme » qui démocratiserait l'UE en renforçant ses piliers, avec un pouvoir de codécision et de contrôle accru pour le Parlement, et l'élection du président de la Commission par les députés européens.


La question de la gouvernance de la zone euro et de l'Union européenne est devenue le nœud gordien qu'il faut trancher si l'on veut sortir de la crise de l'UE. Les pays de l'Europe du Nord ne consentiront à davantage de solidarité économique et financière avec les pays de l'Europe du Sud que s'ils obtiennent davantage de coopération et de contrôle mutuel sur la politique budgétaire et macro-économique des Etats membres.

On se souvient de la forte parole de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank : « Je veux bien prêter ma carte de crédit à mes voisins en difficulté, mais je veux pouvoir contrôler ce qu'ils en font. » Plus de solidarité exige plus d'intégration politique et plus d'intégration exige plus de légitimité et de démocratie. Mais si beaucoup s'accordent sur la nécessité d'opérer un saut démocratique en Europe, il n'existe pas de consensus sur la nature de ce saut.

Pour les ultra fédéralistes –il en reste !–,  l'heure des États-Unis d'Europe a sonné. « Nous sommes persuadés que le temps historique de l'Etat-nation est arrivé à son terme », écrivent, par exemple, Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt, « l'avenir de l'Europe est une fédération post-nationale » [1].  « Concrètement, précisent-ils, cela implique que nous transformions le plus rapidement possible la Commission européenne en un véritable gouvernement européen, avec des ministres européens. »   

Dans cette perspective, le Parlement incarnerait le pouvoir législatif, la Commission le pouvoir exécutif, la Cour de Justice le pouvoir judiciaire. Un Conseil regroupant les représentants des États membres jouerait le rôle de chambre haute.

Les partisans de la méthode intergouvernementale voient au contraire dans le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, et la déclinaison des divers conseils des ministres spécialisés sur lesquels il s’appuie, le siège naturel du pouvoir de décision européen.

La droite allemande et ses alliés prônent, pour leur part, un fédéralisme par la règle. Pour les « ordo-fédéralistes », le rôle des autorités européennes est de produire des règles communes et de veiller à leur stricte et prompte application. En respectant les règles auxquelles ils ont librement consenti, les Etats membres ne se soumettent pas à l'autorité et aux intérêts d'une puissance extérieure, ils ne font qu'obéir à eux-mêmes.

En contrepartie de sa solidarité, tardive et laborieuse, dans la récente crise financière et bancaire, l'administration Merkel a exigé –et obtenu– le renforcement des règles et la quasi-automaticité des sanctions. Dès lors, l'architecture institutionnelle de l'UE devient secondaire et Angela Merkel peut s'offrir le luxe de proposer l'élection du président de la Commission au suffrage universel direct. Qu'importe son mode de désignation, pourvu que son rôle soit principalement de « surveiller et de punir ».

Les socialistes français proposent une démarche différente : après 60 ans d'existence, l'Union européenne n'est toujours pas une fédération –il s'en faut de beaucoup !–, elle n'est pas les « États-Unis d'Europe ».

Mais elle est beaucoup plus qu'une simple confédération d'Etats indépendants, ou « l'Europe des patries » chère au général de Gaulle. Elle est, comme disait Jacques Delors, une fédération d'Etats-nations, c'est-à-dire une entité politique hybride, en transition. Elle combine des institutions à dominante fédérale : le Parlement européen, la Commission, la Cour de Justice, la BCE, l'euro... et des institutions à dominante intergouvernementale : le conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, le conseil des ministres et sa représentation permanente à Bruxelles, le Coreper, etc.

Ce caractère hybride de l'Union européenne est constitutif de sa nature : l'Union européenne est à la fois composée d'Etats-nations, souvent anciens et toujours jaloux de leur identité et de leurs prérogatives, et d'individus citoyens conscients de la nécessité d’unifier leurs forces dans un monde d’Etats-continents.

Cette ambivalence est appelée à durer longtemps : le temps qu'un peuple européen se forme, dans les épreuves, et prenne conscience de lui-même.

Les ultra-fédéralistes ne tiennent pas compte de cette double nature de l'Union européenne. Ils veulent aller plus vite que la musique, en préconisant l'effacement accéléré des Etats nationaux. Ils ignorent le retour de flamme du sentiment national –et même régional !– que suscite la mondialisation. Ils sous-estiment l'attachement des citoyens des divers Etats membres à leur cadre national, comme lieu d'affirmation de leur identité, d'organisation de leur protection sociale, d'expression de leur citoyenneté.

Les souverainistes, au contraire, refusent d'admettre que la seule façon de préserver la souveraineté nationale, dans les nouveaux rapports de puissance économiques et géopolitiques, c'est d'en déléguer une part au niveau européen, sous contrôle démocratique.

Les « ordo-fédéralistes » imposent des règles rigides et standardisées à des pays hétérogènes et à des situations diversifiées. Ils cherchent à limiter l'exercice discrétionnaire du pouvoir politique, et y parviennent trop bien. Le gouvernement, par la règle, s'est avéré inefficace et a débouché sur le « trop peu, trop tard » qui caractérise la politique de l'Union face à la crise financière et économique. Par ailleurs, les règles retenues –quasi constitutionnalisation de l'équilibre budgétaire, automaticité des sanctions, baisse du coût du travail...– sont idéologiquement et politiquement marquées. Elles correspondent aux intérêts et aux ressources de l'Allemagne et des pays d'Europe du Nord plus qu'à ceux du Sud.

Pour les Euro-réalistes, dont nous sommes, la transition vers une véritable Union politique constitue un processus prolongé, assumant la tension entre les souverainetés nationales persistantes et l'affirmation d'un pouvoir politique transnational, à la dimension des nouveaux défis auxquels les Européens sont confrontés.

Cette transition s'effectuera de façon différenciée, les Etats les plus euro-volontaires prenant l'initiative d'aller plus loin et plus vite dans le sens de l'intégration.

Dans cette optique, démocratiser l'UE, c'est renforcer simultanément chacun de ses piliers –le Parlement, la Commission, le conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, les conseils des ministres de l'Union– et mieux articuler leurs relations.

Le Parlement européen doit voir ses pouvoirs de codécision et de contrôle étendus. Il doit acquérir un droit d’initiative législative et associer les parlements nationaux aux grandes décisions européennes, dans le cadre de la conférence interparlementaire.

La Commission doit être réformée : son président doit être élu par les députés européens parmi les têtes de liste des grandes familles politiques à l’élection européenne. Il doit pouvoir choisir ses commissaires, dans une short list proposée par les Etats, et désigner ses vice-présidents, qui seront des super commissaires, contrôlant tout un secteur d’activités, comme est censée le faire aujourd’hui madame Ashton pour les affaires extérieures. Le commissaire aux affaires économiques et monétaires, en particulier, assumera le rôle de ministre de l’économie et des finances de l’Union, en concentrant dans sa personne les fonctions de vice-président de la Commission, de président de l’Ecofin et, éventuellement, de président de l’Eurogroupe.

Une sous-formation du Parlement européen, représentant les 18 pays de l’eurozone, contrôlera les politiques spécifiques de défense de l’euro et de consolidation de la zone euro. La prise de décision à la double majorité –55% des Etats, 65% de la population– serait renforcée au sein du conseil des chefs d’Etat et de gouvernement et au conseil des ministres.

Si l’Europe ne progresse qu’à la faveur de ses crises, comme le disait Jean Monnet, mettons à profit celle –paroxystique– qu’elle connaît aujourd’hui pour lui faire franchir un bond en avant.

Henri Weber, député socialiste européen

[1.] Debout l’Europe! Manifeste pour une révolution post-nationale en Europe, Actes Sud, 2012.

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