La socialiste Marie-Christine Bousquet, réélue maire de Lodève (Hérault) en mars dernier, revient sur une victoire atypique obtenue grâce à une forte mobilisation et qui contraste avec le succès, dans le même département, de Robert Ménard à Béziers. Présidente de Villes et Territoires Languedoc-Roussillon, elle insiste sur la nécessaire réorganisation des espaces de vie.
Interrogé le 29 avril par Le Monde, Jean-Christophe Cambadélis affirme que le PS a essuyé aux municipales « un échec total » face au FN. Après ces européennes, « l’échec total » est tel un couteau que l’on retourne une deuxième fois dans la plaie. En tant que maire de Lodève, l’autre sous-préfecture de l’Hérault après Béziers, je crois que nous pouvons construire à gauche une réponse de terrain au FN.
Plus d’un mois après les élections municipales qui ont vu le FN gagner de nombreuses villes, notamment dans le sud, et après une élection européenne qui a mis en tête ce parti, il est urgent d’analyser d’autres causes de cette progression de l’extrême droite et les réponses à y apporter.
Tout d’abord le constat.
Selon l'Insee, un cinquième de la population du Languedoc-Roussillon vit en dessous du seuil de pauvreté. Ainsi, le taux de pauvreté y est le troisième plus fort des régions françaises, juste derrière la Corse et le Nord-Pas-de-Calais. « [La] pauvreté monétaire [est] présente sur l’ensemble de la région, même dans les départements les plus ruraux. Ainsi, ce phénomène n'est pas exclusivement urbain. Dans la région, 405 000 personnes pauvres résident dans une unité urbaine et 95 000 en-dehors, dans des espaces plus ruraux. Toutefois, la part des personnes considérées comme pauvres est de 19,7 % dans les unités urbaines, proche de celle des communes rurales (18,2 %). Il y a peu d’écart entre les unités urbaines et les espaces ruraux alors qu’au niveau national, les unités urbaines concentrent davantage de pauvreté que les espaces moins urbanisés : 14,8 % contre 11,8 % de la population. »
Le rapport Pauvreté, précarité, solidarité en milieu rural du ministère de l’agriculture (déc. 2009), qui concerne notamment le Centre Hérault, fait le même constat: « Les taux de pauvreté les plus élevés caractérisent un grand nombre de départements du Sud de la France et quelques départements du Nord » [pp. 38-40]. Nous observons un phénomène que je nommerai « aimantation négative », où l’attractivité de Montpellier repousse les plus pauvres vers l’extérieur de la « ville-centre ». La forte croissance de la démographie héraultaise couplée aux prix hauts des loyers sur l’agglomération montpelliéraine et les listes d’attentes en HLM organise de nouveaux espaces de relégations sociales où « les indicateurs de pauvreté de l’espace rural sont globalement aussi dégradés que ceux du monde urbain » [ibid. p.34].
Ainsi, des villes plus ou moins grandes, voire des villages, accueillent une grande partie de la pauvreté héraultaise, comme le montre la carte des revenus quadrillant la France. On doit mettre en parallèle cette carte avec de nombreuses cartes du vote FN qui montrent une présence plus forte du parti d’extrême droite dans l’espace péri-urbain (Les villes résistent à Marine Le Pen, Le Monde du 27 avril 2012). On peut être tenté de décrire le vote FN, comme cela est souvent fait, comme un vote de contestation, de « colère ». Mais il est bien plus un vote d’une classe moyenne déstabilisée ; déstabilisée par l’insécurité économique bien sûr, mais aussi par la proximité d’une population plus pauvre à laquelle elle ne veut pas être identifiée. C’est ce que certains ont décrit comme « la peur du déclassement » des nouvelles classes moyennes.
La comparaison, maintenant.
Lodève et Béziers sont les deux sous-préfectures de l’Hérault. Si elles ne sont pas comparables de par leur taille (Béziers compte 9 fois plus d’habitants que Lodève), ces deux villes ont de nombreux points communs. Comme Béziers, Lodève est à 60 km environ de Montpellier. Comme Béziers, Lodève est frappée par la pauvreté qui s’éloigne du centre urbain dynamique de Montpellier. Comme Béziers, Lodève a vu les classes moyennes les plus élevées s’installer autour du centre-ville ou dans les villages voisins. Comme Béziers, Lodève a vu s’effiler les liens de la vie sociale par cet étalement urbain dont la conséquence est de créer des déserts dans des centres-villes aux patrimoines riches, mais dégradés et en péril.
Mais, à Béziers, le FN l’a emporté tandis que j’ai été confirmée à Lodève.
Alors qu’une tempête a emporté de nombreux élus PS, comment une ville traditionnellement de droite est-elle restée à gauche ? Alors même que je n’ai pas caché mon étiquette PS ! Cela a d’ailleurs fait l’objet d’un article dans la presse régionale, Drôle de temps pour la rose , où le journaliste m’a appris que j’étais une des seules maires PS en place à accepter d’afficher la couleur dans la région.
Répondre au Front National
Là où la situation semble proche entre les deux sous-préfectures de l’Hérault, les résultats électoraux sont totalement inverses. Comment expliquer cela ?
Pourtant, à Lodève, la victoire de la gauche aux municipales s’est faite contre une droite dure qui n’a jamais accumulé autant de voix ; son entente à bas bruit avec le FN local a porté haut un ancien député-maire UMP. Le FN, aux élections européennes, a dépassé de 17 points l’UMP à plus de 32%. Il y a donc bien un paradoxe à voir la droite, dans une ville de droite, mobiliser au-delà de son électorat, mais perdante face à un PS à la dérive au niveau national. D’ailleurs le PS, aux européennes, n’a pas mobilisé son électorat à Lodève (13%).
Le paradoxe est vite levé quand on sait que 75% des Lodévois ont participé à l’élection municipale. Nous avons su mobiliser à Lodève, là où ailleurs, beaucoup de nos électeurs ont choisi l’abstention. Nous avons su mobiliser les habitants de ce cœur de ville, où la précarité sévit, en les alliant aux classes moyennes, souvent fonctionnaires ou salariés, habitants de petites maisons plus éloignées du centre. C’est donc le travail des six ans d’un premier mandat dont le but politique était de répondre aux attentes du peuple pris dans son ensemble : les classes populaires et les classes moyennes. Il a fallu montrer un réel sérieux budgétaire marqué par la recherche de bonne utilisation de l’argent public, par l’attention à ceux qui sont vulnérables avec des politiques sociales affirmées et des facilités de vie faites aux familles. Il faut ajouter à tout cela l’ambition maîtrisée de rénover le centre-ville afin de débuter un travail dont le but est de redonner envie aux classes moyennes de revenir en centre-ville. Toutes ces politiques ont manqué à Béziers. Ainsi, le premier rempart face FN doit être la volonté de marquer, dans l’espace urbain et péri-urbain, une politique de mixité sociale qui passe par des aménagements urbains et inter-urbains couplés à des politiques sociales pour tous.
Les travaux d’Emmanuel Todd et Hervé le Bras, ceux d'Emmanuel Négrier ou ceux, plus qualitatifs, de Jean-Pierre Le Goff montrent tous une spacialisation du vote qui se couple avec l’habitat. Agir sur l’espace, c’est lutter contre le FN. Les politiques publiques doivent se coordonner avec comme objectif un nouvel aménagement du territoire.
Les premières frasques de Robert Ménard démontrent déjà que les Biterrois souffriront un peu plus (moins 364 950 € pour le CCAS) et qu’ils verront pousser plus fréquemment les coups de pubs que les immeubles, neufs ou rénovés (moins 100 000 € pour la finition d’une école). En refusant la vice-présidence chargée du logement dans son agglomération, le représentant FN a déjà abandonné Béziers et les biterrois.
L’autre réponse apportée par la gauche face à la droite, dure, et à l’extrême droite, a été l’union de la gauche. À Lodève, j’ai fait l’union de la gauche : PS-PRG-PCF-PG, alors que la désunion fut presque la règle. Cette union a été mise en forme par un projet municipal, ancré à gauche et marqué par un réalisme qui assume une responsabilité pleine et entière en temps de crise. Face au FN, localement et nationalement, la réponse est à construire avec nos partenaires naturels : dans l’union. Cela passe par un travail de terrain, patient et laborieux, des élus et des militants de toute la gauche qui doivent renouer contact. Cela passe aussi par le dialogue entre nos dirigeants à gauche. L’initiative de Mediapart du 14 mai est salutaire.
Il est donc aujourd’hui nécessaire, surtout en temps de crise économique, même s’il n’est pas facile de mener des politiques de responsabilité, de ne pas faiblir sur nos valeurs afin que « l’échec total » face au FN ne devienne pas un échec définitif. Nous devons agir, à gauche, avec nos partenaires naturels pour reconstruire et réorganiser les espaces de vie et de communication dans nos villes, dans nos campagnes, dans notre pays.