Billet de blog 26 mai 2014

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L’Europe à l’école allemande?

Pourquoi la France se trompe à propos de l'Allemagne, par l'économiste allemand Heiner Flassbeck.

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Pourquoi la France se trompe à propos de l'Allemagne, par l'économiste allemand Heiner Flassbeck.


Illustration 1

L’article en Une de Libération du 20 mai (la manchette, suivie de quatre pages) illustre mieux que toute autre publication la crise profonde dans laquelle l’Europe s’est enfoncée (on se rappelle: Libération, fondé dans les années soixante-dix, entre autres par Jean-Paul Sartre, expressément comme quotidien de gauche).

Le message aux Français est tout à fait clair: adaptez-vous au modèle allemand, sinon, ni l’Union européenne, ni l’Union monétaire, n’auront aucune chance de survivre.

Le quotidien invoque le spectre d’une suprématie allemande dans de multiples domaines, sans que l'on ne sache exactement pourquoi, en l'imputant à une vague et prétendue «grandeur» allemande ou à la personnalité dominante de la chancelière Merkel.

Illustration 2

Page deux, on trouve six photos dont cinq de Mme Merkel et une du Président Hollande! A remarquer aussi, le jugement selon lequel l’infériorité française serait aussi due au zèle plus élevé des députés allemands au Parlement européen, comparé à celui des parlementaires français.

Au total, l'ensemble est assez plat et morcelé et démontre clairement ce qui se peut passer dans une société si une discussion économique sérieuse est étouffée par la pensée unilatéralement néolibérale (ne pas oublier que Thomas Piketty, jugé par bien des gens comme un économiste français intelligent, a présenté, lui aussi, dans une interview à l’hebdomadaire Der Spiegel, un avis assez peu éclairé sur le rapport franco-allemand). 

Libération, journal de référence pour la gauche réaliste, part d'un postulat absolument faux (nous avons dit l’essentiel sur le sujet dans nos colonnes ici). Se référant à une déclaration du député socialiste Mathias Fekl (né en Allemagne et vice-président du PS), un des articles met en relief la supériorité de la compétitivité allemande. Libération cite M. Fekl avec ces mots: «Les Allemands sont très attentifs au décalage de compétitivité entre nos deux pays, ils considèrent que ce n’est pas à eux de baisser le niveau de leur économie, mais à nous de hausser le nôtre. Ce décalage est forcément préjudiciable pour lancer des projets communs. »

Si l’on ne voit pas clair dans le domaine macro-économique – évidemment la majorité des députés socialistes à l’Assemblée nationale n’a pas réussi à trouver de conseillers économiques compétents, ayant le poids d’expliquer les cohérences et de convaincre – le choix économique finit par la situation actuelle, dans l’embarras et dans l’affolement.

Baigné dans le mainstream néolibéral, le PS n’a semble-t-il pas pris conscience de la différence entre une adaptation (de la compétitivité) déflationniste de la France et une adaptation non-déflationniste et raisonnable de la part de l’Allemagne « vers le bas » (hausse des salaires selon les gains de productivité et hausse du niveau des prix selon le but commun de 2%). Les socialistes ne réalisent pas que l’adaptation du niveau des prix vers le bas coûtera énormément, car elle entraînera sans aucun doute un chômage accru et une récession encore plus profonde en France.

N’y a-t-il personne au sein du gouvernement français à savoir analyser ce qui se passe en Europe du sud et à savoir réfléchir aux conséquences de l’application de cette stratégie à Paris (et à Rome)?

De même, il semble que les stratèges principaux du parti gouvernemental ne se rendent pas compte qu’une récession perdurant et un taux de chômage grimpant en 2017 signifieront non seulement la fin certaine d’un gouvernement socialiste, mais ouvriront aussi grande la porte à un parti n’ayant pas d’autre intention que de sonner aussitôt le glas au projet européen.

Texte initialement publié le 21 mai 2014 sur le blog de Heiner Flassbeck et traduit par Gerhard Kilper.

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