Billet de blog 27 septembre 2011

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Jean-Paul Clébert, «marchant libéré, dans un pays inconnu»

L'écrivain Jean-Paul Clébert est mort le 21 septembre 2011, à 85 ans. Dès Paris insolite, son premier roman (1952), Clébert connut le succès, mais choisit de toujours rester à la marge. Olivier Bailly, journaliste, lui rend hommage.

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L'écrivain Jean-Paul Clébert est mort le 21 septembre 2011, à 85 ans. Dès Paris insolite, son premier roman (1952), Clébert connut le succès, mais choisit de toujours rester à la marge. Olivier Bailly, journaliste, lui rend hommage.

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Jean-Paul Clébert a mis les bouts, les adjas. Il s’est natchavé là-bas, ailleurs, au pays du grand nulle part, un territoire sans frontières et sans flics. Le pays libre du maquis et de la clandestinité.

Jean-Paul Clébert vient de là: de l’errance, du vagabondage, de la dérive, du chemin buissonnier. Sur ses papiers désormais inutiles figurent une année de naissance, 1926, un lieu de naissance, Neuilly-sur-Seine. Et un nom. Mais ce nom officiel, ce vieux nom d’enfance qui l’engonce comme un costume neuf, trop bien taillé, il le troquera contre une bonne vieille canadienne informe, un pantalon de treillis confortable.

Il s’appellera désormais Clébert. Un blase passe-partout, un faux passeport tellement bien maquillé qu’on ne distingue pas la coupure. C’est tout ce qui lui va, passer partout. Il vient d’une famille aisée qui l’envoie très jeune dans un pensionnat de jésuites de la rue de la Pompe. Il manque d’air et fait le mur pour voir des fois à quoi ressemble le monde.

Il prend le maquis à 16 ans. C’est un enfant encore à qui la guerre offre de grandes vacances. A la Libération, il dépose les armes, mais, comme tant d’autres gamins de cette génération perdue, garde en lui le goût des échappées belles, ne rentre pas dans le rang.

Entre 1944 et 1948 il vit avec les biffins, les gitans kaldéras de la porte de Montreuil, les chiff'tirs de la zone, les en-dehors, les hors-la-loi, les étrangers, les trimardeurs qui circulent de villes en villes, mal vus des honnêtes gens, fréquente des personnages hauts en couleur, tous ceux qu’il a appris à connaître pendant la guerre de l’autre côté du mur de la pension.

Il note tout ce qu’il voit sur ce qui lui tombe sous la main : paquets de clopes, enveloppes, marges de journaux. Un puzzle, un cadavre exquis qu’il met en forme à «la sauve qui peut».

A Paris, ses pérégrinations le mènent de bistrot en bistrot, autant d’îlots, comme Chez Moineau, rue du Four, où il fréquentera ceux qui formeront l’Internationale Situationniste, Guy Debord en tête, ou chez Fraysse, rue de Seine où il croisera des figures bientôt familières – Robert Giraud, Robert Doisneau, Jacques Yonnet… – comme lui bourlingueurs, arpenteurs du pavé en quête incessante de mystère et de fantastique social dont les aînés se nomment Léon-Paul Fargue, Pierre Mac Orlan ou encore Blaise Cendrars. C’est Blaise qui lui ouvre les portes de Denoël comme il les ouvrira à Robert Giraud, à René Fallet…

A sa sortie, Paris insolite manque de peu les grands prix littéraires. C’est même un argument pour son éditeur qui fait imprimer une bande : «quatre voix au prix Renaudot»! Dans la presse, sur les placards publicitaires on lit : «Jean-Paul Clébert, âge: 26 ans, profession: clochard.»

Paris insolite est un immense succès. Et s’il continue à l’être c’est parce qu’il porte un regard nouveau sur un Paris que même les Parisiens ne soupçonnaient pas.

Dans Arts du 21 novembre 1952, Georges Arnaud, l’auteur du Salaire de la peur, trouvera les mots justes pour parler de ce «récit de voyage où tout est vrai, même la légende. Et qu’importe?» C’est ce fil qui relie Cendrars à Clébert et c’est justement «A Blaise Cendrars, forcené buveur de vie», que son cadet dédie son deuxième livre injustement oublié, La vie sauvage (1953), jumeau « campagnard » de Paris insolite.

En 1955, il publie un autre roman, Le Blockhaus, toujours chez Denoël. On le sollicite de toutes parts. On l’envoie en reportage en Asie : «On m'a offert une place de journaliste dans des grands canards, Match, France soir, tout ça… Mais ça ne me plaisait pas d'écrire sur commande. On me disait "tu vas faire un reportage sur tel truc", mais ce n'était pas ma tasse de thé. Ce que je voulais c'est être libre et choisir moi-même.»

Et puis il constate que Paris change et ne ressemble déjà plus à celle qu’il a connue dix ans plus tôt. Il la quitte pour s’installer définitivement dans le Luberon où il écrira de nombreux livres.

Jusqu’à ce jour de 2009 où les deux jeunes fondateurs de la maison Attila lui proposent de rééditer Paris insolite. Une réédition conforme à l’édition de 1954, avec les photos de Patrice Molinard, « ce » Molinard qui «pige du premier coup la poétique des paysages urbains».

Jean-Paul Clébert était ravi de cette réédition. Honoré et comblé. On sentait cette joie qui avait dû être la sienne il y a tout juste cinquante ans lorsque Paris insolite, sortant des presses, sentait encore l’encre fraîche.

Il n’avait pas fini vieux con, bon pour l’Académie et les honneurs, mais prêt encore pour la démarrante, prêt à humer, le nez en l’air, l’air vivifiant, prêt à peloter la vie.

Prêt à partir là-bas, ailleurs, au pays du grand nulle part.

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