Le député Laurent Baumel, un des chefs de file du mouvement socialiste « Vive la gauche » qui conteste le cap économique du gouvernement, appelle le chef de l'Etat à sortir d'une « inflexibilité désastreuse » et à « faire mouvement dans cette période historique incandescente qui appelle des initiatives urgentes ».
Avec l’abstention récurrente des députés dits « frondeurs », les interventions publiques de Martine Aubry, les déclarations des anciens ministres, s’est répandu ces derniers jours dans les médias le sentiment que l’ampleur de ses déchirures internes serait en train d’amener le Parti socialiste au bord d’une rupture interne.
Cette impression n’est évidemment pas sans fondement. Les deux choix essentiels de la politique économique gouvernementale – la baisse soutenue des dépenses publiques et les allègements massifs de prélèvements offerts aux entreprises sans ciblage et sans contreparties – engendrent des divergences dont l’épaisseur dépasse à l’évidence « la feuille de papier à cigarette ». Entre ceux qui voient dans ce cocktail la clé du redressement financier et industriel du pays et ceux qui l’accusent d’aggraver la récession et de dilapider les ressources publiques, entre ceux qui pensent que les effets bénéfiques à long terme de cette politique justifient son impopularité de court terme et ceux qui jugent inadmissible et dangereux de faire l’impasse sur tous les rendez-vous démocratiques de la gauche avec le pays, il y a un écart manifeste que ne peuvent simplement combler des appels incantatoires à l’unité des socialistes.
Si l’on veut bien faire la part des choses, et ne pas prendre totalement au premier degré les emballements médiatiques auto-entretenus par le jeu des petites phrases sorties de leur contexte et des sur-réactions elles-mêmes biaisées qu’elles provoquent, le schisme ou la scission du Parti socialiste ne constituent pas pour autant l’aboutissement mécanique, inéluctable de cette confrontation. Même si certains ne résistent pas à la tentation de recycler les vieilles analyses sur le prétendu « remords du pouvoir » des socialistes français, le débat actuel n’a pas en effet la portée philosophique et stratégique de celui qui opposa au début du siècle précédent Jean Jaurès et Jules Guesde sur l’opportunité même d’exercer le pouvoir dans une économie capitaliste. Il n’est pas davantage le débat des années soixante-dix entre première et deuxième gauche. Tous les socialistes – y compris ceux que l’on classe à tort ou à raison dans « l’aile gauche » – reconnaissent les atouts de l’économie de marché, admettent la nécessité d’être attentifs aux conditions de rentabilité des investissements et sont d’accords pour aider les entreprises qui en ont réellement besoin. Le débat actuel est un débat sérieux, parce qu’il porte sur les moyens d’atteindre les objectifs qui ont été posé par le Président de la République lui-même, mais il est encore, à bien des égards un débat sur « la position des curseurs ». La plupart des militants socialistes, même lorsqu’ils soutiennent la politique de l’exécutif, récusent d’ailleurs l’idée que celle-ci serait la déclinaison d’un basculement idéologique nécessaire dans une forme de social-libéralisme tournant le dos aux valeurs et analyses antérieures de la gauche. Au groupe socialiste à l’Assemblée nationale, nombre de députés sont solidaires du gouvernement dans les votes mais partagent des interrogations et des doutes sur les équilibres de la politique actuelle.
Pour sérieuses qu’elles soient, les divergences actuelles sont donc également solubles. Chacun connait parfaitement la voie de bon sens qu’il conviendrait d’emprunter pour réunifier les socialistes, l’ensemble de la gauche et remettre le quinquennat sur ses rails : revoir à la baisse l’enveloppe financière astronomique consacrée aujourd’hui à la baisse inconditionnelle d’impôts des entreprises et éviter ainsi de baisser les dotations des collectivités locales ou les prestations sociales et familiales ; reventiler une partie de cette enveloppe vers une vraie réforme fiscale améliorant de façon plus nette le pouvoir d’achat des couches populaires et moyennes et effaçant ainsi réellement les hausses d’impôts injustes du début du quinquennat. En incluant des mesures de pouvoir d’achat dans son pacte de responsabilité, en renonçant à la folie qui aurait consisté à vouloir faire les 3 % à tout prix, le gouvernement a déjà mis un peu d’eau dans son vin. Il pourrait par exemple faire un pas important en renonçant à la suppression, pour presque 6 milliards d’euros, de l’obscure « contribution de solidarité » (C3S) payée par les grandes entreprises, suppression octroyée à la demande du syndicat patronal et qui grève les finances publiques sans que personne ne puisse sérieusement croire qu’elle créera des emplois.
Pour qualifier les attitudes actuelles au sein du Parti socialiste, on a beaucoup parlé ces derniers jours des « postures » des uns et des autres. Pour emprunter la voie du bon sens et de la réconciliation, il faudrait à tout le moins que les deux têtes de l’exécutif consentent à réinterroger aussi un peu la leur. Le Premier ministre doit cesser de chercher à construire sa propre image de réformateur moderne et courageux par la confrontation délibérée avec les pans de la gauche qui expriment leur réticence à sa politique. Il doit comprendre que la « clarification » à laquelle il a cru nécessaire et habile de procéder en éjectant du gouvernement ceux qui ne pensaient pas comme lui n’a pas renforcé le collectif dans cette période difficile. Il doit se placer réellement en position de dialogue avec sa majorité et renoncer à ne mobiliser celle-ci que par des votes de confiance et des appels martiaux et répétés à une « responsabilité » désormais vide de sens. Le Président de la République doit, de son côté, sortir de « l’inflexibilité » désastreuse dans laquelle l’enferme pour son propre malheur l’imaginaire politique obsolète de la Cinquième République qui interdit au monarque tout puissant, une fois le cap fixé par lui, de négocier sa politique avec sa majorité. En assumant au contraire cette réinterprétation moderne des institutions, en expliquant au patronat qui n’a guère fait d’efforts jusqu’à présent que la France n’est pas seulement une entreprise mais aussi une démocratie avec ses électeurs et ses parlementaires, il ne perdrait pas la face mais montrerait au contraire qu’il reste un dirigeant politique capable de faire mouvement dans cette période historique incandescente qui appelle des initiatives urgentes.