Billet de blog 31 mars 2011

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Meurtrir la nation

Dénonçant les risques d'instrumentalisation des religions contenus dans le débat sur la laïcité et l'islam organisé par l'UMP, Haoues Seniguer, chercheur au Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, rappelle «la grande maturité des citoyens musulmans».

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Dénonçant les risques d'instrumentalisation des religions contenus dans le débat sur la laïcité et l'islam organisé par l'UMP, Haoues Seniguer, chercheur au Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, rappelle «la grande maturité des citoyens musulmans».

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Le débat organisé par l'UMP sur l'islam et la laïcité risque de créer de nouvelles brèches au sein de la communauté nationale et d'alimenter, tant inutilement que dangereusement, de nouveaux ressentiments entre d'un côté, les citoyens ou étrangers de foi musulmane et d'un autre côté, les non-musulmans. Ce qui contribuerait, le cas échéant, à tracer une ligne de démarcation coupable entre des catégories de citoyens ou d'individus au sein d'une société, en principe, une et indivisible. A une époque où le lien social se délite dans un contexte économique de plus en plus difficile pour nombre de groupes sociaux, il eut assurément mieux valu choisir un thème plus fédérateur, au plus près des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens: l'emploi, le logement, la fin de vie, etc. Tels sont les vrais enjeux du vivre-ensemble. Mais est-ce la préoccupation du parti majoritaire? Pourquoi, diable, nourrir encore davantage la fracture sociale en instrumentalisant la religion dans une République pourtant constitutionnellement laïque? De quoi se mêlent nos élus? La percée du Front national au 1er tour des cantonales ne servira-t-elle donc pas de leçon et de signal d'alarme au parti gouvernemental?

A l'heure où les musulmans, un peu partout dans le monde, sont pris en otage par une poignée d'individus et d'organisations qui commettent l'irréparable et l'innommable au nom de l'islam, nos responsables publics engagés dans ce projet courent deux risques majeurs, aussi bien d'ordre politique que d'ordre moral. Qu'est-ce à dire? D'une part, ils risquent de faire le jeu des courants nationalistes hexagonaux dont la spécificité est justement de construire leur offre politique sur la mise à l'index de l'Autre, et d'autre part, de radicaliser, nolens volens, une frange des communautés musulmanes françaises en les faisant déchoir du statut de sujets à part entière à celui d'objets entièrement à part... du doigt accusateur. Car là aussi, il faut le marteler avec force, les musulmans de France ne forment pas une communauté homogène au plan des croyances et des pratiques cultuelles. Certains pratiquent, d'autres non. Plus qu'une erreur, cet essentialisme est une faute qui fait le lit de la xénophobie et des communautarismes. Les politiques seraient bien avisés d'y réfléchir à deux fois avant que de s'engager dans ce chemin de traverse qui n'a pas fini de meurtrir la nation.

La laïcité, dans son essence la plus profonde, est un principe fondateur de la République moderne en plus que d'être un vecteur de cohésion. La République ne reconnaît pas les communautés mais les individus; seule la citoyenneté est discriminante. La laïcité permet justement, à chacun de nous, de croire ou de ne pas croire, d'aller ou non à la synagogue, à l'église ou à la mosquée totalement librement. La laïcité n'est pas l'interdiction de témoigner de sa foi dans l'espace public. Ce n'est ni sa fonction ni sa vocation. Par ailleurs, l'une de ses forces, outre d'assurer une stricte séparation de la religion et de la politique, est son caractère universaliste s'appliquant à toutes les croyances et à toutes les philosophies ou visions du monde, indistinctement. Il n'y a pas une métaphysique supérieure à une autre. A cet égard, le discours de Nicolas Sarkozy, le 3 mars dernier au Puy-en-Velay, magnifiant les racines chrétiennes de la France, avait moins pour vocation d'assumer cet héritage que d'exacerber, consciemment ou non, la ligne de fracture d'avec l'islam, supposé essentiellement allogène. Comment en cela, permettre aux citoyens musulmans de s'identifier, avec assurance et fierté, à leurs élus?

En outre, il n'est pas vrai que la loi de 1905, comme on peut l'entendre ici ou là, pourrait potentiellement être sujette à remodelage ou en tout les cas, à débat, parce que l'islam et les musulmans en 1905 n'étaient pas implantés sur le territoire de la République. La France a été un Empire colonial avec des colonies musulmanes. Par ailleurs, présenter le projet de débat comme une réflexion sur la laïcité en y incluant subrepticement l'islam, tantôt ouvertement tantôt implicitement, suppose, in fine, que l'islam et les musulmans menaceraient notre laïcité. Or rien n'est moins vrai lorsque nous nous en tenons aux faits stricto sensu et non aux fantasmes.

En effet, toutes les enquêtes sociologiques que nous avons menées jusqu'à présent nous permettent de former la conviction ferme qu'une extrême majorité de musulmans déclarés respectent non seulement la laïcité mais s'en font les défenseurs ardents en refusant par exemple la refonte ou la réforme de la loi de 1905. Ils sont à cet égard majoritairement contre une loi d'exception. La plupart des imams s'expriment de plus en plus en langue française sous l'impulsion des nouvelles générations nées et socialisées en France. D'ailleurs, la maîtrise de la langue, dans plusieurs mosquées de l'hexagone, est devenue une condition sine qua non pour le recrutement des agents du culte. Au fond, ce que les musulmans critiquent parfois, c'est moins la laïcité, que les discours de ceux qui en font une application inégalitaire quand il s'agit d'islam. A ce titre, il y a une grande maturité des citoyens musulmans.

Ainsi, ayons résolument confiance au pilier de notre République qu'est la laïcité, notre bien commun, mais aussi aux musulmans qui sont nos concitoyens. Ne doutons pas de leur loyalisme et appliquons la loi, rien que la loi, loin du tintamarre médiatique. Les Français, quelles que soient leurs origines réelles ou supposées, attendent des politiques des réponses matérielles à leurs attentes sociales et non des discours au contenu émotionnel.

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