Billet de blog 27 septembre 2013

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christophe lemardelé

enseignant, historien des religions

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Éloge du désir amoureux

L’essayiste et romancière Belinda Cannone publie, en cette rentrée littéraire quelque peu terne, un inédit directement en poche pour la somme modique de deux euros. Le titre a l’humilité du format et du prix puisque l’essai s’intitule Petit éloge du désir.

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L’essayiste et romancière Belinda Cannone publie, en cette rentrée littéraire quelque peu terne, un inédit directement en poche pour la somme modique de deux euros. Le titre a l’humilité du format et du prix puisque l’essai s’intitule Petit éloge du désir.

En 250 fragments, l’auteur nous livre sa sensualité et ses réflexions sur une question qui, soit, attire le lecteur – et la lectrice ?! – avide de livres à ne lire que d’une main – ce que la photo de couverture suggère d’ailleurs – soit, tout au contraire, génère les plus hautes pensées philosophiques et morales d’auteurs qui font tomber les livres des mains.

Illustration 1

Le petit livre de Belinda Cannone se situe donc quelque peu au carrefour de ces deux manières d’écrire le désir puisqu’il se veut léger et profond à la fois. Son principal intérêt est de nous livrer le point de vue d’une femme sur le désir, un point de vue presque sans fard et réfléchi. Son principal mérite est que cette femme dit son désir des hommes, désir de baisers, de fellations et de pénétrations. Une phrase revient pour dire cela : « le désir est désirable », l’érection masculine suscite le désir féminin. Extrait :

« Agenouillée sur le lit, tu contemples son bel argument, légèrement arqué, dressé vers son nombril. À cette vue se lève en toi, irrépressible, l’envie d’y porter la bouche, et tu te penches vers le gland soyeux, tes lèvres frôlent la peau tendue, tu l’embouches et le lâches, tu le lèches, ici et là, autour, partout, puis plus méthodiquement tu enlèvres la verge et l’avales, souffle coupé…. » (fragment 44).

L’auteur dit son désir d’homme, dit donc son désir de femme hétérosexuelle, librement, manifestant un féminisme émancipateur. Elle montre ainsi la voie d’une bonne entente entre les sexes qui passe par l’étreinte, l’alcôve, le lit – terrain de jeu des adultes me glisse-t-on  à l’oreille… Son « désir » de dire le désir, de le définir et de le penser n’évite cependant pas quelques écueils, comme l’emploi d’un vocabulaire érotique désuet – « l’épanchement tardif de sa liqueur dans ta culotte » (fragment 84) –, l’amant porte d’ailleurs le nom générique de Beloizo (?), ou des envolées philosophiques qui demanderaient à être étayées, approfondies et discutées : « Voilà, tu approches une idée précieuse que tu peux formuler ainsi : le désir est ce qui nous relie. D’où ta religion du désir, car tu aimes passionnément ce qui nous relie » (fragment 100). Car, dire que le désir nous relie, c’est déjà oublier son essence pulsionnelle.

Illustration 2

Après avoir défini le désir comme appétit au fragment 12 – définition spinozienne s’il en est, permettant de s’écarter de la sempiternelle définition des cours de philo de terminale qui ne fait du désir que la conscience d’un manque –, l’auteur s’attache surtout au « mouvement qui fait distinguer et élire », c’est-à-dire au désir amoureux. Ne pouvant guère élire qu’une personne spécifique et non un groupe de personnes, toute autre forme de désir se trouve ainsi exclue de la réflexion – de même que l’éloge de la pénétration « naturelle » interdit d’évoquer ou de comprendre la volupté réelle et intense des homosexuelles…

Ainsi, Belinda Cannone fait surtout l’éloge d’un désir non subversif, celui qui unit en priorité les couples monogames. Mais comme elle remarque que le désir amoureux s’essouffle avec le temps, elle en déduit que la vie ne consistera bientôt plus – et c’est déjà le cas, mais dans la douleur et la violence des ruptures, des séparations et des divorces – qu’en une suite d’histoires distinctes et similaires à la fois, donc une sorte de polygamie étalée. Il est certain qu’en détournant le regard du désir proprement dit – issu de soi avant que d’être destiné à un autre –, les couples auront une durée limitée en voulant se maintenir dans les nuées.

Il reste que ce petit livre, par son organisation en fragments, permet la flânerie, en y allant cueillir quelques fleurs ou brins d’herbes qui ne manqueront pas de susciter quelque réflexion légère et pourtant cruciale, car, nous sommes bien d’accord avec son auteur, le désir est au centre de nos existences.

Belinda Cannone, Petit éloge du désir, Folio, 114 p., 2 €.

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