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Le 40ème festival international de la BD vient de fermer ses portes, nul prix n’est venu récompenser une œuvre de la jeune maison d’édition Olivius (et pour cause, aucun de ses livres n’était en lice). Pourquoi alors parler de romans graphiques et d’Olivius ?
Parce que l’aventure, commencée en octobre dernier, association inédite entre l’éditeur de BD Cornélius et l’éditeur de littérature L’Olivier, s’apparente à un ovni éditorial dans le contexte actuel de crise de la filière et de marasme chez les libraires. Entretien avec Olivier Cohen, directeur des éditions de L’Olivier.
Les chiffres de vente de l'année 2012 sont désormais connus et, avec seulement deux romans graphiques dans le top 50 des ventes de bandes dessinées (source Livres Hebdo-L’Express), on peut se demander comment un éditeur peut espérer trouver sa place sur un marché tendu (voir en fin d'article) et se positionner face à la profusion d’albums ? Pour Olivier Cohen, co-fondateur d’Olivius que Vincent Truffy et moi avons rencontré à Paris le 1er octobre dernier, la réponse est immédiate et directe : « ce ne sont pas des albums, ce sont des romans ».
« Ce ne sont pas des albums »
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En octobre dernier, Olivius a publié ses trois premiers romans graphiques, Cul Nul de Baraou et Dalle-Rive, Palacinche de Sansone et Tota, Les Filles de Montparnasse de Nadja. Trois livres radicalement différents qui entendaient illustrer l’éclectisme de la collection en devenir. Depuis, le rythme de parution n’est pas figé, « il ne suit pas un plan marketing établi à l’avance », l’éditeur progresse par « coups de cœur », il privilégie les rencontres, graphiques et littéraires.
Néanmoins, l’ambition est clairement affichée : proposer à un lectorat exigeant un prolongement, un nouveau format de lecture. Pour Olivier Cohen, c’est l'une des composantes majeures de la collection, son signe distinctif, sa raison d’être. Pour devenir l’un des premiers — sinon le premier — éditeur littéraire à faire sortir le roman graphique du giron exclusif des éditeurs de bandes dessinées. En France, très peu d’éditeurs dits classiques se sont lancés dans l’aventure, à l’inverse de ce qui se passe en Angleterre ou aux Etats-Unis. Et le format semble être une de clés pour Olivier Cohen : l’objet livre est primordial. En créant Olivius avec Jean-Louis Gautey, il veut « casser l’image d’une bande dessinée réservée à la jeunesse, aux ados, aux ados attardés », faisant « le pari que les gens sérieux s’intéressent au roman graphique ».
Mais sérieux ne veut pas obligatoirement dire ennuyeux, preuve en est avec ce Cul Nul, fantaisie sketchée qui compile avec humour et dérision les plans discutables, les mauvais coups. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le mauvais sexe sans jamais oser le demander, en quelque sorte. De même, avec Casanova, Histoire de ma fuite de Giacomo Nanni — magnifique journal illustré au graphisme précis qui renvoie aux gravures anciennes, servi par le texte original des mémoires du séducteur vénitien emprisonné aux plombs — et le second tome des Filles de Montparnasse de Nadja — récit populaire relatant la vie de quatre jeunes femmes, presque des muses, dans le Paris de la fin du XIXème siècle — qui viennent de paraître en janvier, Olivius montre tout l’attachement porté à réaliser de beaux livres. Avec, pour point commun et fil rouge, la mise en place d’une charte graphique stricte pour les couvertures, moyen d’identification et de reconnaissance à l’instar d’une collection Blanche (Gallimard) ou d’une Cosmopolite (Stock).
« Nous voulons faire de beaux livres »
Une nouvelle collection donc, un « pari un peu fou », qui met la création au centre du projet : Olivier Cohen ne refuse pas les adaptations, d’autant qu’il lui serait a priori aisé de « piocher » dans son catalogue pour adapter des textes déjà publiés. Son ambition est tout autre, il souhaite, avec Olivius, faire se rencontrer deux univers, en croisant l’écriture et le dessin, dans le but de donner à lire, de donner à voir. Sous ces auspices, avec cette volonté de mettre plus que jamais la lecture à l'honneur, à l’heure de la numérisation à outrance et de la dématérialisation. Quitte à aller à contre-courant, Olivius innove et crée son propre espace d’expression, et redonne du sens au mot « livre ».
- Les filles de Montparnasse de Nadja (2 tomes parus), 24 € l’un
- Cul Nul de Baraou et Dalle-Rive, 12 €
- Palacinche de Sansone & Tota, 22 €
- Casanova L’histoire de ma fuite, de Giacomo Nanni, 19 €

Prolonger : Un marché tendu
En 2012, plus de 5500 titres de bande dessinée (dont 4109 nouveautés) ont été publiés par pas moins de 326 éditeurs. Des séries phares, attendues et souvent bankable comme Titeuf de Zep ou Lucky Luke par Daniel Pennac, Tonino Benacquista et Achdé ont connu un revers notable avec « seulement » 227 600 et 72 900 exemplaires vendus. Ils étaient respectivement diffusés à 1 000 000 et 450 000 exemplaires. L’an passé, seuls six titres dépassent les 100 000 ventes, et deux romans graphiques émergent dans le top 50 des ventes de bandes dessinées (source Livres Hebdo-L’Express) quand la production de ces formats particuliers a représenté au total seulement 9,5% de des nouveautés. Contre près de 43% de BD traditionnelles et 39% de mangas.
Sur un marché fortement polarisé, avec quatre groupes dominant la production, dans un contexte économique qui voit la filière baisser de 2,9 % en volume et de 1,4 % en valeur, la bande dessinée ferait de la résistance et se moquerait même de la crise, comme le constate Les Echos : « si les volumes sont en baisse (- 2,9 % eux aussi), le chiffre d'affaires est en hausse de 0,7 % » (Source institut GfK-Les Echos). Tout en constatant que le tirage moyen est en baisse et que « pour les éditeurs, les temps sont un peu plus durs ».