Je ne sais s’il est arrivé à Mme Bettencourt d’assister à des débats parlementaires.
Mais – ayant fréquenté (dans le texte des Comptes Rendus intégraux/ voir mon blog « à quoi servent les débats de l’Assemblée nationale ? »/ http://karlcivis.blog.lemonde.fr/) – la quasi-totalité des débats de 2002 et 2003 – je puis dire que je l’ai souvent rencontrée.
Et – comble de l’ironie ! – c’est un député (« apparenté ») communiste qui la met en scène : Jean-Pierre BRARD.
Nous sommes au début du débat sur les retraites [ Retraites/ rétro-journal/ j_2/ 11 juin _ Quand la gauche rôde ses arguments et fourbit ses armes ]. Les députés communistes s’en prennent au Gouvernement qui ne veut pas faire appel à des ressources nouvelles pour assurer un financement pérenne des retraites.
« - Jean-Pierre Brard. Des sous, il y en a !(Sourires.)Vous en accumulez de plus en plus.
En voulez-vous des preuves ? Je vais vous en fournir.
Dans une revue - incontestable - dont les données sont établies à partir de documents économiques publics, « Challenges », qui est concurrencée pour l'intérêt de ses informations par la revue « Capital », voici ce qu'on lit.
La fortune de Mme Bettencourt (« Ah » sur les bancs du groupe de l'UMP.), constituée d'une participation dans L'Oréal et Nestlé, n'a progressé que de 70 % en quatre ans, s'établissant à 17 milliards d'euros.
Mais puisque M. Jean-François Copé me reproche de m'acharner sur Mme Bettencourt, je la laisse de côté, considérant qu'elle a assez servi dans cet hémicycle. (Rires.)
- Le président. Ce n'est guère aimable ! (Sourires.)
De fait, elle a « beaucoup servi ».
Quelques exemples :
18 juillet 2002 : les députés débattent de la loi de finances rectificatives.
Il y est question de « mieux récompenser le travail, le mérite et l’effort » .. de « redonner confiance aux Français … et aux contribuables » … ce qui, en clair, veut dire : « baisser les impôts »
Jean-Pierre BRARD se lance dans une diatribe complètement à contre-courant dans laquelle il défend les « notions de légitimité et d’utilité sociale de l’impôt »
évidemment, il en revient à ses lectures favorites : « Challenges » … « Capital » …
« - Jean-Pierre Brard. Qu'y lit-on, par exemple, à propos de Liliane Bettencourt (Exclamations sur les bancs de l’UMP.) Je n'ai malheureusement pas la chance de la connaître personnellement. En revanche, je connais beaucoup d'associations caritatives qui pourraient bénéficier de ses largesses.[Interruption.]
En quatre ans, la fortune de la fille du fondateur de L'Oréal a progressé de 70 %.
- Jean-Michel Fourgous. Sous un régime de gauche ! »
Le lendemain, toujours dans le même débat ( il ne faut pas croire que les débats budgétaires forcément tristes !)
« - Jean-Pierre Brard. Nous souhaitons connaître l'avantage fiscal qui sera retiré par les possesseurs des plus grandes fortunes.
Vous ayant déjà posé la question à la commission des finances l'autre jour, monsieur le ministre, je suis sûr qu'aujourd'hui vous pourrez me répondre, notamment pour Mme Bettencourt, dont la fortune a augmenté de 70 % en quatre ans.
- Charles de Courson. Liliane !
- Jean-Pierre Brard. Liliane Bettencourt ! Je vois que vous avez un grand lien d'intimité avec elle, monsieur Charles-Amédée du Buisson de Courson !
- Charles de Courson. Grâce à vous !
- Pierre Lellouche. Vous n'arrêtez pas d'en parler !
- Charles de Courson. C'est rien, il fait une fixation !
- Pierre Lellouche. Je ne manquerai pas d'ailleurs de lui faire part de votre admiration. Elle y sera très sensible.
- Jean-Pierre Brard. Je la cite souvent parce que c'est une image emblématique pour tous ceux qui n'ont rien alors que, précisément, vous ne vous préoccupez que de remplir davantage son assiette, même si dans son assiette il y a plutôt du caviar que des nouilles ! (Sourires.) »
30 juillet 2002 : la droite s’apprête à démanteler le dispositif « emploi-jeunes ».
C’est Maxime GREMETZ qui prend le relais de Jean-Pierre BRARD :
« - Maxime Gremetz. Je suis frappé de voir combien vous êtes généreux avec M. Messier ou Mme Bettencourt. (Exclamations sur les bancs de la droite.)
Ah vous n'aimez pas que je parle d'elle, mais c'est la figure de proue du capitalisme ! Que voulez-vous ! Je n'y suis pour rien, moi, si c'est Mme Bettencourt ! Elle pourrait s'appeler autrement. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.) […]
Vous n'aimez pas que l'on parle de sa fortune, mais il faut bien que vous y passiez ! Mme Bettencourt est toujours la première.
- Alain Néri. Elle est maillot jaune !
- Maxime Gremetz. Maillot jaune, sans courir, sans donner un coup de pédale, sans travailler ! (Rires.)
- Jean-Paul Anciaux. Elle est dopée ? »
Pour terminer (je n’ai pas tout cité !), je me vois obligé de prendre Jean-Pierre BRARD en flagrant délit de mensonge ( puisque – je me permets de le rappeler - lors du débat sur les retraites, en juin 2003, il avait dit qu’il allait « laisser tomber » Mme Bettencourt … considérant « qu'elle a assez servi dans cet hémicycle » !)
« - Jean-Pierre Brard. Je connais mieux le Mont de Piété que les coffres-forts de Mme Bettencourt et consorts, en effet.
- Charles de Courson. Cela montre que vous avez souvent fait des dettes !
- Jean-Pierre Brard. Evidemment, nous ne sommes pas de même extraction, monsieur de Courson.
- Charles de Courson. Pas de racisme !
- Le président. N'engagez pas le débat avec M. de Courson !
- Jean-Pierre Brard. Cela dure depuis trois siècles ! M. de Courson n'a jamais connu les fins de mois difficiles ni porté les sacs de provisions quand on est l'aîné de cinq enfants.
[…]
- Charles de Courson. Vous allez faire pleurer dans les chaumières ! »
Nous sommes loin du débat sur les retraites ? … Pas si sûr que cela !
Quant à ceux qui se demandent pourquoi les députés passent leur temps à se chamailler de la sorte, je les renvoie à un article que j’ai écrit sur mon autre blog : Pourquoi faudrait-il que l'Assemblée fût triste !