Il faudrait en finir avec un fantasme européen, et particulièrement français, qui prend une ampleur inconsidérée: la menace d'un vaste flux migratoire vers l'Europe (et la France) qui serait la conséquence des révolutions d'outre Méditerranée. Et pour donner plus de consistance à ce fantasme, Nicolas Sarkozy décide d'ouvrir un débat sur l'islam tout en essayant, dans le même temps, de rallier l'électorat catholique! La ficelle est grosse...
Il y a une différence entre les réfugiés (politiques ou craignant pour leur sécurité) et les immigrés poussés par la misère et l'espoir d'avoir du travail en Europe. Il existera toujours une immigration de la misère, contrôlée ou pas, qui comprend aujourd'hui beaucoup plus de populations d'Afghanistan, du Kurdistan et de l'Afrique sub-saharienne que de Tunisie, d'Egypte, qui se sont insurgées, et même de Lybie qui combattent encore pour plus de liberté, pour plus de justice et pour plus de démocratie. Il serait stupide de croire que les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens se sont battus ou se battent encore pour, une fois la dictature vaincue, émigrer en masse vers l'Europe !... C'est pourtant ce que clame Kadhafi, dans son dernier appel, en prévenant les Européens que des vagues successives d'immigrés vont venir les envahir, jouant sur leur peur panique, ce que fait d'ailleurs le Front National : Kadhafi et Marine Le Pen, même combat ou alliance objective ?...
Un autre fantasme auquel il faudrait mettre fin est «islam = soumission». Lorsque le philosophe français, de confession musulmane, Abdennour Bidar publia «L'islam sans soumission», il fut brocardé par nombre de commentateurs et observateurs «autorisés» (on pense à toi, Coluche...). Et que constatons-nous chez ces peuples qui se sont libérés ou qui luttent encore?... L'appropriation de la religion par l'individu, dans sa sphère privée et le refus que cette religion dicte les lois qui régissent l'espace public. Il y a là plus que des effluves de laïcité...
Enfin le fantasme de certains de nos «grands-penseurs-médiatiques», par exemple Bernard-Henri Lévy qui demandait, il y a peu, aux musulmans de faire le ménage chez eux, d'abord, avant d'avoir une chance de débattre avec lui. Ayant été pris de court par la révolution tunisienne, il s'est rattrapé depuis... A présent, il est l'interprète, auprès des journalistes, des pensées de Nicolas Sarkozy à l'issue de l'entretien de ce dernier avec les représentants du Conseil National Libyen à l'Elysée... Les grands-penseurs-médiatiques se rendent toujours indispensables au pouvoir en place, quel qu'il soit.
Cette «pipolisation» de la politique, caractéristique de la gouvernance de l'actuel Président de la République, a conforté certains de ces «g-p-m» dans leur attitude prétentieuse et parfois ridicule: par exemple, quand le même Bernard-Henri Lévy prétend aider les insurgés de la place Tahrir en leur posant des questions, via son Bloc-notes, dont celle-ci: «La première de ces questions est celle des retombées du mouvement: quid, pour continuer sur le mode sartrien, d'un groupe en fusion qui rechute dans le pratico-inerte?...»
Troublé par cette interrogation très germano-pratine, je l'ai lue par téléphone à un de mes amis égyptiens, francophone, un de ceux qui ont résisté place Tahrir. Pour toute réponse, j'eus d'abord un rire énorme suivi de «Il est complètement à côté de la plaque!... Nous voulons la liberté, la justice sociale et la démocratie chez nous, en Egypte et nous lutterons jusqu'à ce que nous l'obtenions!...» On ne peut être plus clair.
La réalité, c'est aussi la révolte courageuse des Libyens à l'est du pays qui combattent vaillamment, avec un armement dérisoire, les armes lourdes et les bombardements aériens de l'armée de Khadafi, pour combien de temps encore? La communauté internationale s'est «émue» et condamne le massacre du peuple libyen par son propre «guide suprême»... La France reconnaît le Conseil national libyen comme seul représentant de la Libye... Et après? Des propositions ont été faites, mais elles ne sont pas encore retenues. Pendant ce temps là, les troupes de Kadhafi, puissamment armées, progressent vers Benghazi en détruisant toute vie sur leur passage.
La majorité des observateurs «autorisés» affirment que Kadhafi est à jamais discrédité, qu'il est sous la menace d'un procès pour crime contre l'humanité et que ses jours sont comptés... Certes, mais sommes-nous certains que le temps et l'atonie de la communauté internationale ne jouent pas en sa faveur, d'autant que l'effroyable catastrophe au Japon et en France les cantonales, les 23 % au premier tour de Marine Le Pen, le «viendra-viendra pas» de DSK, la hausse des carburants, le recours de Johny Halliday au Conseil de l'Ordre des Médecins sont autant de strates qui risquent, à divers titres, de réduire sensiblement l'intérêt que portent la communauté internationale et, en particulier les Français, aux Libyens qui se battent pour leur liberté ?...
Ben Ali était corrompu, il est parti sans demander son reste (avec semble-t-il de fortes compensations financières...), Moubarak, bien que dictateur, avait quand même un certain sens de l'Etat. Devant l'évidence de la situation et la pression de l'armée, il a cédé la place. Mais Kadhafi, c'est une toute autre affaire : seul le pouvoir absolu l'intéresse et pour le garder, il est prêt à massacrer son peuple, c'est d'ailleurs ce qu'il fait actuellement.
Que le gouvernement français soit tenu par des considérations et arguties diplomatiques, que la droite soit plus intéressée par l'après Sarkozy que par le sort des Libyens, mais la gauche, quelle aide pense-t-elle apporter à ce peuple qui combat, à armes inégales, pour sa liberté et pour que la démocratie soit une réalité en Libye ?