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Billet de blog 4 décembre 2015

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Le FN et ses prêts russes : le nationalisme qui se mord la queue.

L'argent n'a pas d'odeur, dit la maxime populaire. Pas d'odeur, certes, mais les taux d'intérêt, eux, varient fortement et peuvent prendre bien des formes selon les prêteurs.

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   L'argent n'a pas d'odeur, dit la maxime populaire. Pas d'odeur, certes, mais les taux d'intérêt, eux, varient fortement et peuvent prendre bien des formes selon les prêteurs. L'enquête diffusée le 2 novembre par Spécial Investigation (une éternité, semble-t-il, depuis le 13 novembre) sur les prêts russes accordés au FN s'est révélée hallucinante et mérite d'être remise en lumière par les questionnements soulevés. Que des banques étrangères financent ouvertement un parti politique en France : ne pas s'en offusquer serait encourager la banalisation de pratiques bien risquées. Des doutes sérieux existent déjà sur les arrangements libyens de Mr Sarkozy et les appétences qataries : en effet mais, doit-on donc se résoudre à ne plus voir la France que comme un terrain de jeux d’influences extérieures ?

Car ici, qui peut croire que les banques, dans la Russie de Mr Poutine, sont libres de prêter à qui bon leur semble, sans feu vert préalable en haut lieu ? Mr Philippot peut toujours couvrir de fleurs la tombe du général de Gaulle, quoi de plus éloigné de la pensée du fondateur de la Vème qu'une telle intrusion étrangère ? Reconnaissons toutefois qu'hormis les postures (électoralistes ?) du numéro 2, la holding familiale le Pen n'a jamais particulièrement revendiqué l'héritage gaulliste ni la 5ème, bien au contraire. Son fondateur n'hésitant pas il y a encore six mois à réhabiliter le maréchal Pétain. Pas étonnant, pour qui se rappelle les amis entourant Mr le Pen  à la création du Front... Il est bon de convoquer l'histoire (qui n'avait jamais choqué Marine le Pen jusqu'à peu), en ces temps de lifting revendiqué et d'amnésie contagieuse.

Le documentaire de Canal montre un Mr le Pen aspirant à un rapprochement avec la Russie, vœu qu'il reformulera de façon plus directe et avec des justifications délirantes dans sa fameuse interview au journal antisémite Rivarol :

" (Il faut) impérativement nous entendre avec la Russie pour sauver l’Europe boréale et le monde blanc (sic)."

Tout un programme...

Certes, le fondateur a été éjecté par sa fille, tout comme Mr Chauprade, russophile habitué des allers-retours à Moscou. Ce dernier, grand vulgarisateur de la théorie du grand remplacement qui fait florès sur les sites extrémistes et les réseaux, aurait facilité grace à son carnet d'adresses le déblocage de 11millions d'euros via un oligarque proche du Kremlin et qualifié (ô surprise) de 'dangereux ripou' par un autre député européen  frontiste s'ignorant enregistré (qui dit également sa crainte de voir la cheftaine du parti 'phagocytée' par des mafieux). À la porte Jean-Marie le Pen et Aymeric Chauprade mais, l'argent russe est bien arrivé sur les comptes du parti entretemps. Soyons clairs : rien d'illégal en soi. Mais, ces petits arrangements entre amis posent de vraies questions.

Mme le Pen, qui ne cache pas son admiration pour Vladimir Poutine (grand nationaliste autoritaire s'il en est), avait été la seule dirigeante de parti français à reconnaître et légitimer l'annexion de la Crimée en 2014 (alors que, quoi qu'on pense de l'histoire de cette région, le coup de force russe aux vues de toutes les règles internationales était incontestable). De là à voir dans l'obtention de ces prêts successifs de 9 et 2 millions d'euros un remerciement à cette prise de position...

Il est vrai que les révélations faites par des hackers ayant piraté le portable et le compte mail d'un haut responsable du Kremlin ne sont pas faites pour rassurer les plus inquiets. L'homme s'entretient avec un proche de Mr Poutine et lance, considérant que Marine Le Pen « n'a pas trahi [leurs] attentes » qu'« il faudra remercier les Français d'une manière ou d'une autre." Encore plus troublante cette rencontre discrète à Vienne que les journalistes du documentaire ont essayé de reconstituer. Des représentants du Kremlin et ceux de nombreux partis eurosceptiques et réactionnaires venus de toute l'Europe. Dont Aymeric Chauprade (encore en odeur de sainteté) et peut-être Marion Maréchal-le Pen (un témoin l'authentifie dans le documentaire mais elle nie) pour le FN. Portés par la fumeuse espérance d'une 3ème Rome que deviendrait la Grande Russie reconstituée (blanche, ultra-religieuse et hétérosexuelle bien sûr), Mr Poutine caresserait le rêve de détruire l'UE telle qu'elle est aujourd'hui pour la reconstituer sous une forme ultra-conservatrice et basée sur ses valeurs (et ses intérêts géopolitiques) à lui. Personnellement, je ne suis pas le dernier à critiquer la construction européenne actuelle mais, avouez tout de même que ce projet, qui rappelle la Guerre Froide sous une forme modernisée, est totalement insensé.

Moscou financerait donc des partis européens proches de ses idées réactionnaires dont, selon les preuves apportées par ce documentaire, le Front National.

Certains disent que ce parti, avec les départs des plus radicaux (dont Mr Chauprade), vit un schisme idéologique. Personnellement, si tous les éléments sont posés à plat, je ne le trouve guère changé. Les hommes et femmes peuvent tourner, la façade s'améliorer, son substrat reste inchangé. Même les identitaires sont de retour, sur les listes de Mme Maréchal-le Pen par exemple. Comme aux débuts du parti, comme le rappelle bien le film 'Un Français' de Diastème. La matrice du rejet et du bouc-émissaire est toujours présente (ah, les 'bactéries de l'immigration'...), encourageant plus que jamais le climat délétère et les débordements, fussent-ils virtuels. Le mépris pour les institutions républicaines aussi (2ème refus de Mme le Pen de se présenter devant la Justice). Et l'admiration pour les leaders autoritaires également.

Sauf que désormais, après de telles révélations, lorsque Mme le Pen prendra position, tout le monde pourrait légitimement se demander au nom de qui elle s'exprime. Au nom du 'peuple français' comme le serinent ses affiches ? Ou à celui de ses créanciers étrangers ? Une fois n'est pas coutume : le FN prêterait presque à rire.          

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