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Billet de blog 19 février 2016

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Réforme du Travail : la gauche est morte, vive la gauche !

" Extraordinaire cette obstination à présenter quasi systématiquement désormais le travailleur comme un coût, qu'il faudrait réduire. Ces transformations idéologiques seraient fascinantes si elles ne portaient pas à tant de conséquences sur la vie et le moral des gens. "

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     Le social-libéralisme vient d'enterrer la gauche de gouvernement. Messieurs Valls et Macron, qui paraît-il s'en disputent violemment le futur monopole en coulisses (le sort de Mr Hollande leur semble donc déjà plié ? Pas très gentil), ont déjà un temps de retard. Et ce en dépit de la sur-utilisation du gadget linguistique qu'est devenu le mot 'modernité'.

Mme El Khomri, en présentant 'son' projet de loi de la réforme du Travail, vient de jeter la dernière pelleté de terre. Pas mal pour quelqu'un qui ne maîtrisait pas les subtilités du CDD voici encore quelques mois...

À moins que Mr Gattaz, qui se 'félicite de cette avancée'  (ben tiens), n'ait tenu directement la plume du projet. À en lire les résumés, l'option paraît crédible.

Sous le prétexte a priori logique et bienveillant de 'lever la peur de l'embauche' ressentie par les entreprises, et donc de relancer l'économie et baisser le chômage, le gouvernement de Mr Hollande taille à la serpe dans les acquis sociaux et oublie derechef par qui et pourquoi il a été porté aux responsabilités. Qu'il semble loin le fameux "mon ennemi c'est la Finance" !

Sacrés politiques : jamais avares d'une bonne blague lorsqu'ils sont en campagne.

Le plus étonnant étant que ces messieurs-dames qui font, sans même le réaliser tellement ils sont éloignés des attentes et des difficultés quotidiennes des Français, désespérer le peuple de gauche, leurs anciens électeurs (dont je fais partie), aspirent en plus à se faire réélire. Ils oublient deux choses :

- la première est que rien n'est plus cruel que les amours déçus

- la seconde, qu'ils répétaient pourtant en boucle durant l'ère Sarkozy lorsque celui-ci courrait après le FN, est que "les gens préfèrent toujours l'original à la copie".

Mr Madelin est-il revenu en politique ? Non, même pas, il s'agit bien d'un pouvoir estampillé PS. Un pouvoir qui entend fragiliser les travailleurs déjà bien insécurisés en privilégiant les accords de branche  au détriment des syndicats. Les syndicats français ont bien des défauts, certes, mais tous les spécialistes s'accordent à reconnaître que les employés seront de facto plus influençables et moins résistants aux demandes patronales dans ce cadre-là. Détricoter les 35 heures, même pas frontalement mais par petites touches, en ouvrant sans le dire honnêtement de multiples brèches. Faciliter le licenciement économique, ce qui fragilisera surtout les employés des grands groupes, puisqu'une entreprise française appartenant à un conglomérat international pourra licencier si son chiffre baisse temporairement, même si le reste du groupe fait des bénéfices records. Le juge n'aura plus son mot à dire dans telle situation : la loi sera du côté de cette entreprise pourtant potentiellement toujours très forte. Mr Gattaz le serinait voici quelques mois : " Le CDI est anxiogène. " Le gouvernement l'a écouté et entend bien faire redescendre la tension du monsieur.

La droite en rêvait ? La gauche sociale-libérale l'a fait !

Où est la gauche dans ce pays ? Pas aux manettes, apparemment. Se rendent-ils seulement compte du sentiment de trahison et de honte qui grandit chez leurs électeurs de 2012 ? Je pense que non. Ils sont comme coupés de leur base. Totalement. Pétris de certitudes, certains d'œuvrer pour le bien du pays.

La partie de billard a démarré avec le rapport Combrexelle, rapport fourre-tout mais qui lançait déjà des pistes très libérales, l'air de rien, comme pour préparer les esprits (c'est raté). Ensuite le livre de Mr Badinter et Mr Antoine Lyon-Caen qui allait dans le même sens droitier en parlant de 'réalisme économique'. Voilà bien où le bât blesse : la gauche ne critique plus, n'essaie même pas, de critiquer le libéralisme pour proposer à la place, pour repenser le monde.

Elle l'accompagne, ce libéralisme mortifère qui transforme les citoyens en simples et froids éléments productifs. Elle l'amplifie, désormais.

Cette gauche est devenue une deuxième droite. La seule différence qui sépare les deux porte sur les sujets sociétaux, et encore. Plus rien de plus. Mr Badinter est revenu quelques mois plus tard, chargé cette fois-ci d'un rapport jugé consensuel sur la réforme du Code du Travail. Rappeler les acquis intouchables sur le mode lapalissade mais, avec déjà des subtilités de langage inquiétantes (il parlait de 'temps de travail normal' par exemple, et non de 'temps de travail légal'). Le fil était gros et je m'étais risqué à prévoir la scène du 'good cop/bad cop'. Hélas, il me semble avoir eu raison.

La réforme présentée par Matignon - pardon : par Mme El Khomri - s'appuie d'ailleurs autant sur les propositions du livre de Mr Badinter que sur son rapport-préambule (ce dernier gravant 61 'principes essentiels' -sic- dans le Code, l'alourdissant de fait). Quand il y a de la gêne....

Extraordinaire cette obstination à présenter quasi systématiquement désormais le travailleur comme un coût, qu'il faudrait réduire. Ces transformations idéologiques seraient fascinantes si elles ne portaient pas à tant de conséquences sur la vie et le moral des gens.

Et puis, cerise sur le gâteau : avant même la discussion  du projet de loi par l'Assemblée souveraine, la ministre de prévenir de l'utilisation du 49.3 en cas de bloquage. Certes, l'état d'urgence est toujours appliqué mais, nos dirigeants ne devraient point trop prendre goût à la caporalisation. Sinon la rue se chargera de leur rappeler qui sont les maîtres dans ce pays démocratique.

À noter, comme le soulignait le Canard Enchaîné de cette semaine, que la réforme de l'Inspection du Travail (2000 fonctionnaires), pensée pour rendre cette dernière plus efficace, est bloquée dans  un tiroir depuis des années. Il eut été ravissant de voir ce gouvernement faire preuve du même enthousiasme pour l'appliquer. Mais, non.

Nul doute en tous cas que les travailleurs qui ont déjà des difficultés à boucler la fin du mois, à régler le loyer, à rembourser les revolvings, à acheter à manger ou se rendre chez le médecin parfois, se souviendront de ces choix socialement brutaux lorsque le temps de se rendre aux urnes sera revenu, eux qui se sentent si orphelins. Voire cornus.    

-Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne se passe comme prévu)' aux ed. du Net     

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