De l'écrasement à l'indignation, puis à la révolte? Depuis fin février, elle gronde au centre de rétention de Vincennes: les étrangers n'acceptent plus le sort qui leur est fait. Le feu éclate au centre de rétention du Canet à Marseille. Une foule marseillaise-comorienne fait un scandale à Marignane et empêche une expulsion.
Le 26 février 2011, nous lancions sur un fil de Mediapart une alerte concernant un mouvement de résistance entamé au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Vincennes, alerte relayée par un voisin blogueur. Une grève de la faim avait été entamée quelques jours plus tôt: "On fait cela parce qu'on en a marre. Marre qu'on nous réponde toujours non à tout ce qu'on demande. Non, non, non pour voir l'infirmière, non pour tout. Et surtout on est en grève de la faim contre les expulsions. On est des algériens, des tunisiens, des marocains, des lybiens, là bas y'a les dictatures, on veut pas partir".
Le CRA de Vincennes, détruit par un incendie en juin 2008 à la suite d'une première révolte contre les mauvais traitements, et reconstruit depuis, est de nouveau en ébullition.
A Vincennes, le CRA comporte trois bâtiments pouvant accueillir chacun 60 personnes sous la garde de la police nationale. Les révoltes et les grèves de la faim y sont endémiques.
Le quotidien des étrangers dans les CRA est insupportable. Ce n'est pas tout à fait la prison, mais cela y ressemble. Certes, on peut garder son téléphone portable (sauf s'il permet de faire de photos – auquel cas la police aura cassé l'objectif à l'entrée), on peut téléphoner d'une cabine téléphonique (sous le regard d'une caméra), on peut recevoir des visites de sa famille, de soutiens, de son avocat, on peut avoir sur place l'aide juridique d'une association pour les démarches en vue de se faire libérer. Mais là se trouvent enfermées des personnes dont le seul "crime" est d'avoir fait sa vie en France, ou d'en avoir l'intention, sans autorisation de séjour.
Grâce aux téléphones et au cabines téléphoniques, les témoignages sont recueillis par des associatifs et des journalistes, qui les font circuler. C'est le cas d'un communiqué dicté le 26 février par un retenu de Vincennes, en grève de la faim et témoin des violences de la répression. La colère des retenus n'a d'égale que leur détermination.
"Communiqué au nom de tous les retenus de Vincennes :
Nous Algériens Tunisiens Egyptiens Libyens Marocains, et tous les ressortissants d'autres pays, continuons notre grève de la faim entamée depuis quatre jours au centre de rétention de Vincennes : Grève de la faim jusqu'à la mort.
Il y a des retenus qui sont en France, "intégrés" depuis 15 à 20 ans, beaucoup ont toute leur famille en France, et la France nous expulse!
Nous exigeons la fin de toute expulsion vers ces pays où nos dirigeants, dictateurs, corrompus, nous ont obligés de partir pour survivre. Pour certains d'entre nous, une expulsion les exposerait à de la prison et à la torture s'ils étaient remis aux autorités de leur pays.
Le harcèlement et contrôles policier tous les jours, nous demandons simplement de pouvoir vivre dignement avec une carte de séjour, mais elle est toujours refusée.
Les révoltes dans nos pays en guerre civile n'empêchent pas les consulats de signer pour notre expulsion : des vols tous les jours sont affichés!
Nous sommes dans cette prison, maltraités, de grandes violences et tabassages cette nuit par des CRS cagoulés. Il n'y a plus de chauffage, ni d'eau chaude.
Nous exigeons la protection de la France, de l'aide et solidarité, l'arrêt immédiat des expulsions vers ces pays .
Nous continuons notre grève de la faim, et refuserons à Vincennes tout embarquement ou départ pour l'avion.
Fait à Vincennes samedi 26 février. à 10h. "
Ces témoignages sont relayés sur d'autres sites, par exemple Politis: Même si on crevait ici, rien ne changerait. Mais on ne peut pas dire que l'écho provoqué par ces situations violentes soit assourdissant.
Le CRA du Canet à Marseille bénéficie d'une meilleure couverture médiatique locale. Il avait déjà été infecté par des légionelles en décembre 2010. Et puis, le 9 mars, c'en était trop: la police pense que certains retenus ont mis le feu à leur non-prison.
Les 51 retenus ont été transportés vers d'autres centres de rétention de la région.
" Lundi 14 mars 2011
Au nom de tous les retenus du centre de rétention de Marseille
Madame, Monsieur,
Voilà, le mercredi 9 mars vers les coups de 16 heures, un incendie s’est déclenché au centre de rétention de Marseille. On s’est trouvés prisonniers par le feu et beaucoup plus par la fumée très toxique. Les flics ont ouvert la porte d’entrée et ont pris rapidement deux ou trois détenus. Les pompiers sont venus vingt minutes après. Une partie des détenus a failli mourir par la fumée qui est très toxique. Grâce à Dieu, on a été sauvés de justesse. On a été conduits par les flics et les pompiers dans une salle pour les soins, malheureusement. On a été soignés rapidement, légèrement, ce qui est normal aux yeux de l’État français parce qu’on est sans papiers. Aucun droit. On a passé toute une soirée dans une cour, à l’air, jusqu’à 23 heures, et puis on a été conduits dans une petite salle de 12 mètres carrés. On était 36 personnes. Entre 23h30 et minuit, ils nous ont conduits au centre de rétention de Nîmes.
Pire que des animaux, on est restés dans une salle jusqu’au petit matin. Beaucoup d’entre nous étaient malades. Ils avaient des brûlures aux poumons et à la gorge. Il y en a qui sont encore malades. Jusqu’à aujourd’hui on n’a pas reçu nos affaires, il nous manque plein de choses, les lunettes de soleil et l’argent qui restait dans nos poches".
Durant tout ce temps, ils n’avaient pas accès aux «droits» élémentaires (s’habiller, se restaurer et se laver), ce qui a fourni une raison juridique pour leur libération par le juge des libertés et de la détention (JLD)... jusqu'à leur prochaine arrestation peut-être, car les contrôles d'identité se multiplient ces temps-ci.
Mais monsieur Soilihi, un comorien vivant depuis 11 ans en France où sont nés ses trois enfants, dont l'épouse est en séjour régulier, a été inexorablemnt maintenu par les autorités sur sa trajectoire vers l'expulsion.
Expulsion empêchée in extremis par l'intervention d'une petite troupe de comoriens et de membres du Réseau Education Sans Frontières RESF) à l'aéroport de Marignane.
Martine et Jean-Claude Vernier
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