En aurons-nous fini un jour avec la colonisation? Les mythes fondateurs des diverses visions des migrations vers la France ne sont pas toujours identifiés. D’où des malentendus, parfois surprenants, que nous tentons d’éclairer.
Nous pointions dans un récent billet l’existence de différences d’approche parmi les défenseurs des étrangers en quête de la régularisation de leur séjour. Différences culturelles, sociologiques, généalogiques entre les étrangers concernés, les syndicats et les associations. Différences qui peuvent entraîner des tensions, et même des conflits, comme on l’a vu en 2008 lors de l’occupation de locaux de la bourse du travail à Paris par un collectif de sans-papiers.
La situation évolue vite, puisqu’on a vu six associations s’allier avec cinq syndicats pour lancer l’Acte II du mouvement des travailleurs sans papiers, qui comptait 3091 grévistes sur 48 sites en Ile de France au pointage du 19 octobre (3700 le 22, selon la Ligue des Droits de l'Homme). Ce mouvement demande au gouvernement de fixer des règles nationales claires pour la régularisation du séjour des travailleurs étrangers. Le Collectif de sans-papiers CSP75 continue de son côté l’occupation de locaux de la Sécu dans le nord de Paris, où ils ont inauguré en juillet dernier le "Ministère de la régularisation de tous les sans-papiers", avec le soutien d’associations, de syndicats et de partis politiques.
Au delà de ces alliances indispensables pour faire face à une dure adversité, sous-jacente et peu abordée, reste la question de la France colonisatrice, symbolisée par l’apostrophe lancée aux participants d’un cercle de résistance : "vous devez parler de la colonisation". Car une grande partie des migrants vient de pays anciennement colonisés par notre pays. Les autochtones qui militent pour que les migrants puissent vivre normalement ici, ont toutes les chances d’être en même temps des opposants à la colonisation ouverte à l’ancienne, ou à la contemporaine, plus masquée. Que vient faire ici ce reproche ? Les membres des associations ont du mal à comprendre et, sans doute, celui qui lance cette injonction ne comprend pas que l’autre soit surpris.
Y a-t-il une bonne réponse à ces incompréhensions réciproques? Peut-on déjouer le piège infernal colonisation/migration ?
La colonisation européenne du monde (Amériques, Afriques) a été en grande partie une colonisation de peuplement et de domination. On partait pour exploiter les richesses locales et on entendait y rester sous la protection de l’armée. Au mieux, on attendait que l’œuvre de "civilisation" rende acceptable la présence étrangère. Et on n'en est revenu que parce que la composante "domination" était devenue intolérable (Afriques). Donc, quand on voit arriver ces étrangers, on a dans la tête (par défaut) ce modèle. D'où l'écho rencontré par le mythe de "l’invasion" entretenu par certains – dont la généalogie politique renvoie au colonialisme militant des années 1950. Militant, et souvent violent.
Alors que, si l'on considère le migrant dans sa logique à lui, on voit les choses autrement. Une bonne partie vient pour contribuer au relèvement économique de sa famille, pour un temps. Imagine-t-on que ces innombrables maliens célibataires qui font marcher nos chantiers et nos cuisines, ces africaines qui gardent nos petits et nos vieux feront cela toute leur vie s'ils ont le choix? Choix qui impliquerait la liberté d'aller et venir. Et n'oublions pas que ce sont les plus entreprenants et les mieux formés qui sont venus. Quant à ceux qui viennent ici pour offrir un meilleur avenir à leurs enfants, peut-être a-t-on parlé à leurs grands-parents de "[leurs] ancêtres les Gaulois". Il font tout simplement confiance à ce pays qui s’est posé en civilisateur.
Il semblerait que l’on voie peu d’asiatiques dans les piquets de grève de l'Acte II du mouvement des travailleurs étrangers. Ici, deux pistes:
- il y a une différence d'arrière-plan entre les migrations africaines et asiatiques vers la France. Les personnes originaires d’Afrique du Nord ou de l’Ouest ont une relation séculaire avec la France via la colonisation. Venir en France est en partie un "retour symbolique" qui demande un retour sous forme de possibilité de vivre et travailler normalement. Ce qui les porte à revendiquer, en tant que "de la famille". Les asiatiques (chinois, philippins) n'ont pas ce lien historique avec la France. Ils ont une conception différente de la migration: on s'installe sans bruit où l'on peut ;
- et puis, qui est le patron d'un africain? Dans le bâtiment, un portugais, dans les restos, un algérien. Qui est peut-être aussi français, ou considéré comme tel, et donc lié au gouvernement qui l'opprime. Qui est le patron d'un philippin travaillant comme employé de maison: un bourgeois français, qui souvent le loge. Qui est le patron d'un chinois? Un autre chinois, pas toujours avec un titre de séjour...
Martine et Jean-Claude Vernier
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