Il n’est pas facile d’avoir à argumenter contre ses propres convictions.
Pourquoi donc le faire ?
En quoi pourrait-il y avoir une obligation ?
Ne vaut-il donc pas mieux se taire ?
C’est en écoutant Madame Badinter ce Jeudi matin 11 février 2010 sur France Inter que je me suis pourtant résolu à dire « ma vérité », après avoir pendant quelques jours timidement essayé de prendre part au débat inconfortable et terriblement réducteur à mon goût que déclencha la publicité donnée à la candidature d’Ilham pour les prochaines régionales.
Madame Badinter fait partie de ces personnes qui pour moi sont éminemment respectables et dont la parole m’importe. De ces personnes qui assument les exigences de leurs engagements, qui nous tirent vers le haut, grâce auxquelles (quels que puissent être nos accords ou désaccords ponctuels) l’utopie républicaine, l’utopie démocratique n’est pas un vain mot, et vaut bien que nous y consacrions tous le minimum d’attention dont témoignent nos échanges, trop souvent emportés cependant, pour être à la hauteur des enjeux.
Il se trouve en l’occurrence que je ne peux me résoudre à souscrire à la position défendue par Elisabeth Badinter et que l’enjeu me paraît suffisant pour que cela me chagrine, me laisse un arrière goût d’inachevé, comme un travail bâclé, une espèce d’indignité qui ne puisse être passée, sans autre forme de procès, par pertes et profits sur le seul compte de mon petit amour propre meurtri.
Dans le moment politique et social que nous vivons, il ne m’est pas possible de toute façon d’admettre sereinement la division et l’affrontement avec ces autres moi-même auxquels il m’est tout aussi impossible et pour cause de faire un procès d’intention.
Oui, je ne peux que souscrire à la cause de l’émancipation féminine et pourtant non, je ne peux résoudre la candidature d’Ilham à une injure faite à cette cause.
Alors ?
Alors je voudrais être sûr d’avoir fait le nécessaire, tout ce qu’il est possible de faire, avant de me résigner au constat navrant de l’irréductibilité d’un désaccord, quitte à convenir de mon erreur de jugement, ce qui serait un bien moindre mal.
Une fois de plus, je pense que la question posée est avant tout une question, au sens littéral, de « point de vue ».
D’où, depuis quel(s) présupposé(s), chacun d’entre nous (Elisabeth Badinter comme nous tous), a-t-il posé son regard et exercé sons sens critique sur la candidature d’Ilham ?
Et quel sens faut-il donc donner aux positions et jugements affirmés, quels sens faut-il donc donner aux désaccords exprimés, parfois violemment ?
Pour ma part je suis incapable de faire abstraction du contexte, c'est-à-dire de ce moment politique et social que nous vivons, auquel je faisais allusion il y a un moment.
Cela veut bien dire que le jugement que je porte sur la candidature d’Ilham n’a de sens qu’en regard du contexte dans lequel elle intervient, que mon jugement sur cet acte dépend d’un autre jugement, qui lui est antérieur, et en l’occurrence supérieur, dans l’ordre des déterminants de l’opinion que j’adopte. Ce n’est donc pas la candidature d’Ilham que je juge, c’est l’évènement en quoi elle consiste, par sa mise en relation avec le contexte dans lequel elle fait irruption.
Il me semble que ce faisant j’affirme bien une position d’essence politique, c’est à dire profondément, viscéralement (s’il se peut), inscrite dans le réel collectif (national en l’occurrence).
Mais, à chacun son réel…
Soit… tout de même !
Et c’est bien là, en fait, que réside vraisemblablement la possibilité de dépasser cet irréductible désaccord auquel il serait dramatique de devoir me résigner.
Je ne dis pas dramatique par négligence, ni par désir d’emphase. Au contraire, c’est tout le motif des présupposés qu’il faut éventuellement débusquer.
Le moment politique et social que nous vivons est pour moi, gros de menaces assez effroyables.
Je n’en rajouterais pas sur le dogmatisme idéologique anachronique de l’équipe présidentielle et de la majorité parlementaire qui le soutien, ni sur la déviance caractérielle de ses méthodes, tout à déjà été dit sur la dérive régressive qu’ils entrainent dans quasiment tous les domaines.
Au regard de la question qui m’occupe présentement, il y aurait lieu par contre d’en rajouter une belle couche me semble-t-il, sur l’incurie de l’opposition, et son inaptitude à se constituer réellement en tant que telle, c’est à dire en tant qu’alternative politiquement audible si ce n’est électoralement crédible. Et c’est bien pourquoi justement il me paraît à la fois nécessaire, utile, voire opportun de ne pas passer par pertes et profit les désaccords que révèle « l’affaire » Ilham.
Car au-delà des jugements que nous pouvons porter sur les comportements des membres de la classe politique, interviennent, doivent intervenir, nos jugements sur la situation globale, les dynamiques en jeu au sein de notre société, en un mot, le contexte. Les premiers, dépendent étroitement des seconds, comment pourrait-il en être autrement ? Serait-ce souhaitable ?
Le point de vue est donc identifié, précisé, localisé.
A partir de là, il sera peut-être possible de réduire les contradictions et de dépasser les oppositions apparemment irréductibles.
Je ne pense pas que la situation économique s’améliore avant longtemps, j’imagine qu’elle va plutôt se détériorer encore. En toute hypothèse, de toute façon, les équilibres sur lesquels ont été fondés « l’état providence » et « le modèle social » qui sont les nôtres (enracinés dans notre culture, sociale, politique, nationale), sont rompus, définitivement.
Dès lors, maintenir les acquis sociaux ne pourra procéder que de l’improbable rétablissement de soldes comptables précaires, au prix de toutes aussi improbables et précaires acrobaties en matière de politiques économiques, financières et fiscales, et de contorsions protectionnistes à court terme.
Il est je pense plus réaliste de nous préparer à l’accélération des démantèlements déjà bien largement engagés. Tout au plus pourrions nous espérer un rythme plus ou moins lent ou rapide, selon qu’une alternance politique serait envisageable ou non, et que nos acrobates et contorsionnistes en chef seront audacieux ou non.
Cette perspective, que je pense réaliste, ne laisse guère de doute, la souffrance sociale va s’accroitre, dans des proportions fortes, vraisemblablement trop fortes pour être passivement acceptées. La question de la justice, c'est-à-dire du partage équitable des sacrifices va donc devenir centrale (ce devrait être le leitmotiv, l’obsession, à gauche).
Sauf, sauf si surgit tout à coup, tapie derrière les discours incantatoires des « plus défenseur que moi du modèle social Français tu meurs », la funeste stratégie du bouc émissaire désigné.
Un peu gris, pas franchement catholique, cagoulés, voilées ! et « quand y parlent entre eux, on sait pas ce qu’y disent ».
Dans ce cas, la justice sera vite rendue, très vite. Ce sera l’horreur.
Et ce ne sera pas difficile.
La marmite des banlieues est bien tenue au chaud, les motifs de révolte y sont florissants. Une petite allumette et hop, mise à feu.
Et coup double : comme d’hab’, détournement des colères populaires et sauvetage des privilèges.
Pour la justice, la vraie, vous repasserez.
Alors, dans ce contexte la candidature d’Ilham ?
Là aussi je ne vais pas reprendre tout ce qui a été dit.
En positif, la sincérité de son engagement personnel, les modalités démocratiques de sa désignation à la candidature, la laïcité bien comprise…
En négatif, le symbole de soumission sexiste, la communication désastreuse ou le coup foireux du NPA, la laïcité toute aussi bien comprise…
Une fois tout cela dit, pour moi, que reste-t-il ?
Il reste une jeune fille, si ce n’est fière, du moins respectueuse de son identité, respectueuse des institutions de son pays et de sa citoyenneté qu’elle honore en faisant acte de candidature pour un mandat politique, et animée de cette générosité que suppose l’engagement qui est le sien. (Sauf à dire qu’il faille lui faire, à elle, un procès en intention. Et à l’instruire.)
Il reste un acte symbolique de l’intégration réelle et progressive de cette autre France.
Il reste la prise de parole symbolique de cette autre France.
Il reste la visibilité de cette autre France.
Il reste l’affirmation de la France réelle.
Il reste l’espoir de mettre fin assez tôt à ce déni qui dure depuis si longtemps, avec tant d’injustice et qui prépare sournoisement l’horreur.
Je n’aime pas les déistes, je les sais capables eux aussi de tous les débordements, je me dois d’être vigilant à leur égard et le suis, mais ce sont aussi mes frères humains.
Entre deux dangers, je pense qu’il faut affronter d’abord le premier qui se présente, pour garder quelque chance de pouvoir faire face au second s’il doit un jour advenir.
(Mais je suis prêt à convenir d’une erreur de diagnostic.)
P.S. J’aurais pu faire à peu près le même billet à propos de l’affaire Frêche, mais selon d’autres motifs et je dois dire que c’est bien la concomitance de ces deux « évènements » qui a mobilisé la réflexion j’espère approfondie, que j’ai souhaité ici mettre en partage parce qu’elle ne vaut pas, je pense, qu’à l’aune de ces circonstances là.
Réédité pour ajout des deux liens suivants:
- Laïcité (1) : pourquoi une loi contre le voile intégral lui serait contraire. (E. Plenel)
- "Un racisme à peine voilé" docu vidéo de Jérôme Host (mis en ligne sur son blog par Patrick Daquin)