ou,
"Peut-on être de gauche et le croire ?" (en petit clin d'oeil espiègle au billet de Philippe Marlière)
L'heure est peut-être venue de s'acquitter vraiment du devoir d'inventaire.
J'avais, il y a quelques temps déjà, envisagé d'inviter à cet exercice au détour de plusieurs billets consacrés à un préalable lessiviel (une petite suite de billets inachevée, ici).
60% d'abstention et les fachos aux premières loges de notre pseudo-démocratie nationale, voilà qui donne l'occasion possiblement opportune de passer aux actes.
Non qu'il s'agisse pour la ènième fois de revenir sur les petites et grandes turpitudes des uns et des autres et de relancer une invite partisane à la cantonnade en ne se privant pas de s'y soustraire pour soi-même, comme il est de coutume... mais bien en effet de se livrer à l'exercice, à partir d'une expérience vécue, à titre personnel.
Ce qui ne m'empêchera pas toutefois d'indiquer avec qui et pourquoi (sans ambition d'exhaustivité) il me serait agréable de partager cette ambition critique et auto-critique à l'horizon de laquelle nous pourrions probablement envisager la suite, semble-t-il moins désemparés, voire abattus.
C'est en tout cas le préalable que je pense indispensable au réarmement idéologique après lequel disent courir toutes ces voix de gauche qui s'obstinent pourtant à éviter soigneusement l'obstacle.
Or donc je vais vous parler d'Education Populaire. Avec les majuscules et sans guillemet.
Car c'est en effet dans cette "galaxie" qu'il m'a été donné de m'engager à la fois professionnellement, politiquement et très volontairement il y a 36 ans, plus 8 années préalables d'engagement bénévole, soit un bail de 4 décennies bien tassées inaugurées à la jointure de mai 68 et des premiers épisodes de la "bataille du Larzac".
Un bail qui couvre cette période au cours de laquelle, à rebours de toutes nos prétentions, s'est peu à peu délité l'engagement citoyen et le "camp progressiste" pour en arriver aux 60% d'abstention et aux 24 bourrins nationaux représentants de la France au parlement européen d'aujourd'hui.
Quel succès !
Et je vais donc vous expliquer, rapidement, comment nous, militants de "l'Education Populaire" (les guillemets arrivent) avons pris notre part dans la génèse de ce succès.
En tout bien tout honneur, comme il se doit.
Un petit préalable s'impose. Ce qui suit ne vaut que pour ce qu'il m'a été donné de vivre et auquel j'ai personnellement contribué, et ne saurait en rien prétendre illustrer ou représenter la totalité des activités et institutions qui se revendiquent de l'Education Populaire, ni leurs petits soldats... dont je ne doute pas que certains ont su être plus perspicaces.
Néanmoins, m'étant engagé au sein de l'un des réseaux les plus importants et représentatifs, ayant de surcroît exercé quelques responsabilités qui m'ont permis en participant à des instances de concertation ou de coordination, de constater une réalité très largement partagée, je pense pouvoir affirmer et traduire sans risque de me tromper le rôle qui a été globalement le notre.
Cette Education Populaire dont il s'agit, s'adresse logiquement et prioritairement (mais non exclusivement) aux enfants et aux jeunes (de fait, jusqu'à leur insertion professionnelle) auxquels elle ambitionne d'apporter ce complément d'éducation qui doit faire d'eux, "des citoyens autonomes, solidaires, responsables et engagés".
C'est l'objectif, au coeur de l'ambition républicaine et démocratique d'émancipation, à la croisée de l'éducation parentale et de l'instruction scolaire, une sorte d'adjuvant de conception assez cohérente.
Pour ce faire, nous avons tous développé quantités d'initiatives, plus ou moins innovantes et centrées sur ces temps de loisirs ou de vacances que les conquêtes sociales antérieures avaient offerts aussi aux enfants.
Ainsi ont fleuris les foyers de jeunes, les centres aérés, les colonies de vacances et camps d'ados (à la suite mais en rupture avec les précédents hygiénistes), puis toutes leurs déclinaisons en clubs et stages sans cesse plus à la mode, toujours plus diversifiés et sophistiqués.
Et j'ai souvenir de ces "premières" classes de neige organisées jusque dans nos campagnes à la fin des années 60 par d'intrépides instits militants, soucieux d'offrir à leurs élèves les plus modestes, grâce à l'école de la république, les joies de la glisse qu'eux-mêmes venaient de découvrir au volant de leurs R16 et 404.
C'étaient nos précurseurs.
Faisons court... petite énumération désordonnée, en survol des décennies 70, 80, 90, 2000... : ski, rando à cheval, tennis, voile, char à voile, planche à voile, plongée sous-marine, canyoning, surf, parapente, golf... snowboard, kitesurf... je vous laisse compléter.
Rien que des trucs vachement intellectuels et de pauvres.
Ah... mais justement mon bon monsieur ! Il fallait dé-mo-cra-ti-ser !
Il n'y a pas de raison. Et puis... tout est dans la méthode... dans la pédagogie de l'activité...
"Et sa soeur !
Elle est dans la pédagogie sa soeur ?"... me demande Maurice.
Bon... on se calme.
Qu'il s'agisse en effet de "loisirs bourgeois" constitue en soi un premier niveau.
Et tant qu'on y est, pourquoi ne pas ergoter sur la forme pléonastique de l'expression ?
Mais non, fausse piste, évidemment.
Manquerait plus que ça !
Non, il faut me semble-t-il creuser un peu plus.
Outre que toutes ces activités demandent certes des moyens (matériels, déplacement, hébergement...), ce qu'elles ont surtout en commun, c'est ce qu'elles véhiculent comme modèle de relation à soi-même, aux autres, à notre environnement... et la réprésentation du monde et de la vie qu'elles contribuent ainsi à contruire.
Le cas du ski est je trouve le plus emblématique.
Parce qu'il fut originel, parce qu'il connu un succès populaire indéniable et reste un phénomène de masse et, par son inscription dans les territoires.
Car en fait de quoi s'agit-il ?
Si ce n'est d'un grand manège, ou d'un grand toboggan ?
Qui plus est pour feignants... qui prenaient un tire-fesses, maintenant des cabines, pour pouvoir ensuite glisser jusqu'en bas, et puis recommencer.
Et ainsi de suite, toute la journée, à la queue-le-leu, comme des malades...
Non ! Pas comme des malades, comme des enfants autour d'un toboggan.
A la recherche de SENSATIONS !... LA GLISSE !
Et c'est pour ça, qu'on a bétonné la montagne, foutu des pylonnes et des cables partout, goudronné les vallées autoroutières, que bison futé gnagnagna gnagnagna... et que je ne sais combien de nos compatriotes continuent chaque année à faire la queue, à tirer sur leur compte en banque, puis à ramer pour le re-remplir et, éventuellement à gueuler pour la défense de leur pouvoir d'achat.
Franchement...!
et c'est à ça que nous avons contribué.
Objectivement, qu'on le veuille ou non.
Et pendant ce temps, le théâtre amateur et les ciné-clubs, par exemple, disparaissaient dans notre indifférence sous les coups de la télé qui n'en finissait pas, et n'en a toujours pas fini, de glorifier les exploits de vedettes lobotomisées ou complices que les gamins venaient et viennent toujours essayer d'imiter avec notre bénédiction, dans nos stages.
Voilà... c'est très synthétique.
Et sans doute faudrait-il analyser le pourquoi (peut-être au long du fil de discussion s'il vous chante), mais il faut au moins commencer par le constat.
Cinq décennies de contribution appliquée à une "éducation" de masse au consumérisme égotique et narcissique sans queue ni tête qui fonde aujourd'hui l'empire néo-libéral planétaire de la compétition pour le fric auquel nous sommes assujettis.
Et la dérive est aujourd'hui symboliquement achevée à travers ce double dévoiement en quoi consiste le prétendu "tourisme social" que revendiquent toujours nos organismes soit disant constitutifs de la nouvelle galaxie à la mode dite de "l'économie sociale et solidaire".
Et ceci m'amène naturellement pour conclure à préciser à qui je souhaite adresser prioritairement mon invitation au devoir d'inventaire. Je pense tout particulièrement aux comités d'entreprises qui furent et restent quand ils le peuvent encore nos partenaires zélés (en quête permanente de réductions et de tarifs préférentiels) et aux centrales syndicales qui les contrôlent. Je pense aussi aux Caisses départementales d'allocation familiale dont les présidences sont souvent occupées par les mêmes et qui mobilisent l'argent public de nos cotisations sociales pour contribuer au finacement de cette grande oeuvre éducative.
Il faudrait en élargissant le champ des activités "éducatives" considérées, s'intéresser aussi au rôle des mutuelles et de leurs succursales ...
Mais bon... l'ambition n'est pas d'être exhaustif.
Simplement de dire, à partir d'un exemple relativement simple et limpide, où doit aussi, et peut-être avant tout, se situer le travail qui permettrait le réveil des somnambules que nous sommes tous plus ou moins, et que tous appellent de leur voeux en s'adressant aux appareils, quand il faudrait surtout et urgemment ce préoccuper de la relance à gauche d'une pensée à nouveau critique pour être à nouveau conquérante.
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N.B. Il n'est pas inintéressant de constater que cet essor de la "dés-éducation populaire" n'a été possible que sur la base des "acquis" des prétendues "trente glorieuses".
N.B.² Il y aurait peut-être lieu de rapprocher tout ce qui précède du constat d'échec auquel sont confrontés à ce jour le FdG et le PG.
P.S. : Et c'est pour toutes ces raisons que sans hésitation, à la question posée il y a peu par Philippe Marlière : "Peut-on être de gauche et aimer le football ?", j'ai répondu, NON, en contexte NON.
(Mais je sais très bien qu'il y a des gens sincèrement de gauche qui aiment le football, comme il y en a qui aiment le Big-Mac ou qui croient en dieu, ou même les deux à la fois ! si si... et figurez-vous qu'il y a aussi des gens de droite et qui aiment la pétanque, Maurice en connaît avec lesquels il lui arrive même avec plaisir de jouer.)