La coopération a mis en marche toute une série de travaux de recherches dans notre école et dans la leur en France. Les ingénieurs et les chercheurs ont échangé une masse formidable d'informations, d'hypothèses et de solutions. Les étudiants étaient comme des chiens fous devant tant de questions nouvelles à résoudre, avec la perspective d'une véritable mise en œuvre. Des simulations, des maquettes, des essais de toutes sortes nous ont permis aux uns et aux autres de faire les plans des adaptations pour notre usine. Mais le résultat dont je suis le plus fier c'est que notre usine et les usines sidérurgiques voisines, concernées par ce procédé nouveau, ont pu avancer des fonds pour le redémarrage de l'usine sidérurgique en France.
Tout d'abord, ils ont appliqué nos méthodes de concertation, puis ils ont institué des relations avec les communes d'où venait la majorité des salariés et ils ont signé des baux emphytéotiques exactement comme nous avec ces communes. En quelques mois, après la remise en marche et les premières ventes, ils ont pu avoir les fonds nécessaires pour démarrer à leur tour les adaptations de leurs hauts-fourneaux au procédé ULCOS. En même temps, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les autres usines sidérurgiques d'Europe se sont engagées dans une bataille pour chasser les actionnaires, faire adopter les lois sur l'actionnariat et constituer un réseau d'approvisionnement et de vente qui régulait la production en fonction des besoins… Nous étions trop éloignés pour pratiquer le troc, mais ils pouvaient le faire entre eux en Europe.
Ils sont allés très vite car ils avaient une main d'œuvre très bien formée, des réseaux commerciaux bien implantés et des syndicats qui ont soutenus tous les efforts. Leur exemple a été comme un détonateur dans les autres pays qui regardaient de très près les modalités d'organisation des pays européens. Il faut dire que les chiffres publiés étaient particulièrement convaincants et sans contestation possible de la part des anciens actionnaires et patrons. Le retournement de la population a été brutal et chacun a regardé d'un autre œil les chiffres qui étaient fournis par les commissaires aux comptes et autres agences de notation ! Les écarts étaient incroyables entre les résultats avant et après la prise en main par les C31. Les circuits financiers passant par les paradis fiscaux étaient coupés et les gains retournaient vers les personnels des coopératives, l'investissement et les impôts et taxes pour assurer les services publics.
M. Yamamoto insiste alors sur la remise en question générale des chiffres qui étaient fournis dans toutes les branches de production. Les prix se dégonflaient de multiples manières, achats surévalués, ventes sous-évaluées, intérêts bancaires inutiles car les prêts ou les avances de trésorerie étaient inutiles. Les fraudes aux impôts disparaissaient ouvrant aussi bien aux collectivités locales qu'aux États des moyens sans commune mesure avec ceux qui étaient accessibles précédemment, et plus le cercle vertueux s'élargissait plus les rendements des impôts augmentaient ! Si bien qu'on envisageait de baisser les taux d'imposition… ce que les patrons et leurs affidés politiques n'avaient jamais réussi à faire, s'ils avaient jamais voulu le faire.
Et M. Yamamoto marque à plusieurs reprises son étonnement et celui des salariés de son usine : ils avaient doublé le prix d'achat des ferrailles, baissé les prix de vente, ils payaient une location mensuelle à la commune, ils versaient au fonds d'investissement local 4 % de la valeur ajoutée, ils avaient revalorisé les salaires les plus bas et plafonnés les plus élevés, il est vrai, et malgré tout cela ils avaient encore des bénéfices qui leur permettaient d'autofinancer, avec l'aide partielle du fonds d'investissement, les travaux d'adaptation du haut-fourneau. Il disait : "Je n'aurais jamais cru cela possible, mais les chiffres étaient là, une masse énorme d'argent était régulièrement détournée par voies légales ou illégales de notre activité productive. Les syndicats qui faisaient des revendications depuis des années étaient bien en dessous de la réalité : de l'argent il y en avait à flots et on nous tuait à la tâche. Sans parler des conditions de production qu'il n'était pas question d'améliorer ni pour les salariés ni pour la planète !"
Les droits à polluer et autres marchés du carbone apparaissent comme ce qu'ils étaient des arnaques spéculatives qui permettaient aux actionnaires d'encaisser davantage sans réduire en rien les émissions de gaz à effet de serre. Les bourses coopératives de matières premières devenaient un moyen efficace de réguler les productions sur l'ensemble de la planète. Elles n'avaient le droit d'échanger que les excédents de production pour éviter les gaspillages et réduire l'empreinte écologique, sachant que ces excédents coûtaient cher à la collectivité et qu'il fallait trouver des solutions pour empêcher qu'ils apparaissent. Toutes ces règles émergeaient progressivement des débats des C31 et les institutions officielles étaient de plus en plus obligées de les inscrire dans leurs codes et d'effacer celles qui existaient au profit des spéculateurs capitalistes. Le bouleversement du fonctionnement des organismes internationaux comme le FMI ou l'OMC donnait des moyens nouveaux à l'ONU pour mettre en œuvre la règle qui se dégagea alors : toutes les ressources naturelles de la planète étaient propriété indivise de l'humanité et devaient être gérées à l'avantage de l'ensemble de celle-ci. Les conséquences comme on le sait en furent immenses et nous n'avons encore fini dans vivre les effets.
A suivre