JUST FOR ONE DAY
• Harlem, le 12 octobre 2010
À quelques jours de mon retour, je reprends le cours de ce journal une nouvelle fois.
Lundi soir dernier, retour à Smalls pour découvrir le nouveau quartet du batteur Ari Hoenig, avec Gilad Hekselman (guitare), Tigran Hamasyan (piano), et Chris Tordini (contrebasse). Un disque vient d'être enregistré chez Peter Karl à Brooklyn et pourrait sortir bientôt sur un label français. Je crois que c'est le meilleur groupe que j'ai entendu de lui. Le rapport télépathique qui soude ses membres est assez sidérant. Tigran et Gilad tissent un écheveau aux couleurs vives d'une grande souplesse et qui produit des moments totalement inouïs, car ils réussissent la prouesse de jouer quasiment en permanence ensemble sans jamais que cette surenchère ne soit un handicap à la musique. Au contraire, c'est précisément cette matière qui constitue le corps de celle-ci. C'est presque comme s'ils parvenaient à produire ce qui d'ordinaire revient à la batterie, permettant à Ari de projeter son instrument souvent vers une fonction beaucoup plus mélodique. Le répertoire allie composition originale et arrangement habiles de standards. Le set passe en une seconde. Quel groupe !
Mardi, je retrouve Ricardo au pied de l’immeuble où il travaille pour déjeuner dans un diner de la 2e Avenue, ces restaurants typiquement américains avec leur tables compartimentées par des grosses banquettes, et leur comptoir aux tabourets fixés à même le sol, ou directement au bar. On y sert toute la gastronomie américaine (hamburger) et quelques specials agrémentés de soupes en boîte et de purée arrosée de gravy. C’est assez effrayant de songer au nombre de poulets, de dindes et de bœufs qu’il faut abattre pour nourrir quotidiennement cette ville, où il semble que les gens mangent de la viande à chaque repas (quand ce n’est pas entre les repas). Je comprends mieux pourquoi tant de personnes se convertissent au régime végétarien, surtout si l’on songe aux méthodes d’élevage intensif de ces espèces.
Après notre déjeuner, nous marchons vers le nord jusqu’à un magasin de produits diététiques. J’y trouve mon précieux Psyllium, ce supplément de fibres sans lequel je ne peux pas fonctionner. En redescendant, on passe devant le Queen Borough Bridge et son imposante dentelle de fer bleu. La station du périphérique qui faisait la liaison entre Manhattan et le Queen est dorénavant fermée, à la suite d’une panne l’année dernière, qui avait maintenu les cabines suspendues pendant plusieurs heures. Que deviendra-t-elle ? Il faudra sans doute attendre longtemps avant que ce dispositif colossal soit démonté.
Mercredi, je retrouve Clovis chez lui pour une session avec Luca. On commence par Evidence de Monk et la musique est fluide, facile. Pourtant, dès la fin du morceau, Clovis a un message sur son portable. Le gérant de l’immeuble, dont les bureaux sont juste en dessous, se plaint du bruit et particulièrement de quelque chose qui tape sur le sol. Je pense à mon pied, et enlève mes chaussures mais rien n’y fait, au deuxième morceau et au deuxième message, il faut se rendre à l’évidence (c’est le cas de le dire) ; nous devons arrêter. Quelle frustration ! Nous convenons de nous retrouver à la Julliard School of Music samedi. C’est d’autant plus râlant que c’est la première fois que cela arrive à Clovis qui d’habitude n’a jamais de problème avec le voisinage et qui organise fréquemment des sessions chez lui. C’est d’ailleurs une autre des grandes joies de cette ville ; la tolérance au bruit et à la musique dans les immeubles. Je ne compte plus le nombre de musiciens que je connais qui font des sessions chez eux, dans leur appartement. Il y a comme ça des immeubles entiers qui, quand on entre dans la journée, font penser à des conservatoires. On entends des groupes et des gens qui travaillent à chaque étage.
Mes intestins font grève depuis quelques jours et je suis de plus en plus crevé. Je quitte l’appartement de Clovis et vais m’allonger pour une longue sieste.
Comme tous les premiers mercredis du mois, le Miguel Zenon Quartet est programmé à la Jazz Gallery. Malheureusement, Miguel — qui vient de rentrer d’un voyage d’une dizaine de jours avec Elga, d’abord au Brésil où il a joué avec Anthonio Sanchez, et en Argentine où il a retrouvé Guillermo Klein — est contraint d’annuler. A la suite d’un coup de froid et peut-être aussi d’une mauvaise position de sommeil, les muscles de son cou sont complètement tétanisés et pressent des nerfs qui le font terriblement souffrir. Le moindre geste est une torture. Ce sera Mark Turner qui le remplacera au pied levé accompagné par la rythmique de Miguel, à savoir Luis Perdomo, Hans Glawischnig, et Henry Cole qui rentre tout juste de Puerto Rico où il a enregistré son premier disque avec des musiciens de San Juan.
J’ai donné rendez-vous à Jérôme à 19 h 30 devant la Jazz Gallery et nous partons dîner au Ear End qui se trouve sur Spring Street, deux blocs à l’ouest de Hudson Street. C’est une institution de Soho. Un bar toujours très fréquenté et une salle basse de plafond aux tables dressées avec nappe en papier blanc. Sans doute la meilleure — voire la seule — option dans le coin pour les gastronomes peu argentés que nous sommes.
Après quoi, nous grimpons les marches de la Jazz Gallery où nous retrouvons Mariah Wilkins. Dès les premières notes, nous sentons qu’il va se passer quelque chose entre Mark et cette rythmique constituée depuis de nombreuses années. Il y a entre eux cette fluidité et cette qualité d’écoute qui font les plus belles rencontres. Le set se déroule entre compositions de chacun et standard (My shining hour) et quand les lumières se rallument, je n’ai pas vu le temps passer. Nous étions comme suspendus, emportés de bout en bout. Alors que les musiciens se dirigent vers les loges, Mark me demande s’il peut se joindre à nous. Il passera toute la pause à discuter avec Mariah, Jérôme et moi. Cet homme est une source intarissable d’inspiration depuis plus de quinze ans, et ce n’est pas cette soirée qui va changer le cours des choses. Malgré la fatigue et mon ventre qui me lance régulièrement, je reste pour le deuxième set. C’est Luis qui se charge des présentations. Il raconte notamment qu’il a eu son premier gig en ville au Village Gate, un club qui a fermé en 1993, avec... Mark Turner. Plus tard, il me dira qu’ils n’avaient pas rejoué ensemble depuis. Deuxième set au moins aussi bon et qui se termine en apothéose par un morceau qui commence free, et que Mark, à la faveur d’un sol# que Luis entretient patiemment, emmène vers un Con Alma (Dizzy Gillespie) bouleversant d’invention et de lyrisme. Hans prend un solo tout seul que j’aurai aimé enregistrer. Pendant tout le set, Henry est toujours à l’affût, crépitant comme un feu brindilles. Quant à Luis, que j’ai beaucoup entendu pendant ce séjour, il continue de m’impressionner par son autorité tranquille, une aisance naturelle quel que soit le contexte, et un time en acier. En définitive, c’est peut-être le meilleur gig que j’ai vu depuis que je suis là.
Dans le C qui me ramène à Harlem, je suis assis à côté d’un sans-abri (homeless) qui transporte avec lui un gros chariot chargé de journaux, de bouteilles en plastique, de canettes et autres objets divers, ainsi qu’une poussette dans laquelle se dresse un... buisson ! Une grosse touffe dont le vert vif tranche avec l’orange terne des banquettes. Notre homme — dans les 75 ans au minimum — dort profondément, penché sur le côté, mais il a pris soin auparavant d’attacher ces deux caravanes de misère avec des cordelettes au poteau de la banquette, si bien qu’elles tanguent lascivement autour de lui, comme dans un bateau. Il a une longue barbe et de longs cheveux blancs et il me fait fatalement penser à Robinson Crusoe dont je termine le récit par Michel Tournier.
Jeudi matin, c’est le premier jour de mixage. Je passe chez Miguel tôt pour récupérer le disque dur qui contient les séances. Il va mieux que la veille et il peut de nouveau se mouvoir sans souffrir le martyre. Il passera plus tard au studio. Il habite un quartier à l’identité portoricaine bien marquée et il vient d’acheter un appartement, dans le même bloc que celui où il louait depuis de nombreuses années. Nous sommes dans le nord de l’île, au bord de l’Hudson River. Avant de passer chez lui, je ne résiste pas à prendre quelques clichés des immeubles qui font face à la rivière et au George Washington Bridge. J’ai une pensée émue pour ce jeune étudiant gay qui a sauté du pont il y a trois jours, après que deux de ses collègues de lycée avaient mis sur Internet une vidéo tournée à son insu le montrant en train d’embrasser son petit copain.
De nombreux suicides d’adolescents ces dernières semaines ont relancé le débat sur la tolérance en milieu scolaire. Dan Savage, le célèbre chroniqueur du Village Voice, a du coup eu une initiative exemplaire : il a ouvert un blog sur Youtube qui s’intitule It Gets Better (ça s’arrange) où il invite toutes les personnes issues des minorités sexuelles à poster une vidéo où elles expliquent comment les choses ne font que s’améliorer avec le temps, qu’il ne faut surtout pas céder à la détresse et au désespoir et qu’il y a une vie après le lycée qui est un véritable chemin de croix pour les jeunes gays, ici comme ailleurs. Toutes les vidéos sont en anglais. À quand une initiative similaire en France ? http://www.youtube.com/itgetsbetterproject
Je retrouve Katsu à Avatar à 11 heures du matin. La journée est superbe avec un ciel totalement dégagé et une température de juin. Nous commençons à mixer tous les deux pendant deux heures. Nous retrouvons Miguel après notre déjeuner et nous reprenons ce gros travail à trois. Cette musique est aussi exigeante à mixer qu’à jouer, et c’est un processus plutôt fastidieux qui exige beaucoup de concentration, faculté également partagée par mes deux compères. Miguel nous quitte un peu plus tôt pour gérer un imprévu et nous finissons, Katsu et moi, avec l’impression d’avoir bien avancé. Rendez-vous demain matin.
Je quitte le studio à 20 h 06, et saute dans un taxi direction la gare de Grand Central où je vais tenter d’attraper le train de 20 h 27 pour Fleetwood. Ricardo m’a laissé un message un peu plus tôt. Il se charge du dîner. Mon chauffeur est un magicien et nous traversons Time Square sur un tapis volant. Il me dépose devant la gare à 20 h 24. Je fonce prendre un ticket au guichet, et quand j’entre enfin dans le train, c’est au moment où les portes se ferment. Quand j’arrive devant l’immeuble de Ricardo, je le trouve à la porte. Les ouvriers qui ont travaillé à refaire le mur de sa chambre complètement pourri par l’humidité ont fermé le verrou dont Ricardo n’a pas la clef. Tandis qu’il tente de joindre le superintendant, le concierge, qui gère la résidence, nous dînons sur les marches de l’escalier. Un homme finira par arriver à 22 heures avec une plaque de fer, le sésame magique qui nous manquait pour ouvrir cette satanée porte. Nous trouvons la chambre sens dessus dessous. Les ouvriers n’ont rien protégé, et la poussière est partout. Sans compter tous le meubles qu’il faut remettre à leur place. À 22 h 30, j’ai Miguel au téléphone ; il ne sera pas avec nous demain à Avatar. Quelle soirée chaotique ! Il est temps d’aller au lit.
Vendredi matin radieux. En arrivant à Harlem, je rejoins l’appartement à pied en prenant des photos sous une lumière exceptionnelle. Je retrouve Katsu après un déjeuner sur le trottoir d’Avatar chauffé par un soleil encore généreux. Il faut en profiter avant que le temps ne bascule pour de bon. Nous mixons tous les deux toute l’après-midi jusqu’à 2 heures, et je le quitte avec le sentiment d’avoir bien avancé. En remontant la 9e Avenue, je longe l’immeuble qui abrite le centre Dance America. Les grandes vitres au rez-de-chaussée ne laissent rien perdre des cours, et les passants ralentissent leur pas devant cette troupe hétéroclite qui enchaîne les mouvements sur un rythme de congas joué en direct par un vieux Latino. Certains s’assoient même sur des bancs prévus à cet effet pour observer : des jeunes de toutes les origines ethniques, mais également des personnes bien plus âgées et non moins agiles, qui tous, à l’heure où nous sommes nombreux à rentrer à la maison, continuent d’incarner à leur manière gracieuse et légère l’énergie si propre à cette ville. Me revient cette citation de Pina Bausch lue sur une affiche : « I’m not interested in how people move, but more in what moves then. »
Je m’arrête au grand Whole Food, cette immense épicerie qui se trouve dans l’immeuble Time Warner à Columbus Circle, où je trouve de quoi dîner. Quand j’arrive chez Shawn, je le surprends en compagnie. Du coup, je mange en quatrième vitesse et malgré, l’épuisement, repars pour la gare du Metro North de la 125e, direction Fleetwood. J’ai bien dû passer trois heures dans les transports en commun aujourd’hui.
Samedi matin encore radieux. Je traîne à Fleetwood avant de partir pour la Julliard où j’ai une session avec Clovis et Luca. Après avoir pris le train, puis deux métros, je pénètre dans le grand hall de l’école à 12 h 45 pétantes. J’ai un quart d’heure pour manger la soupe de lentilles et le sandwich trouvés à Grand Central. La Julliard est en plein cœur du complexe du Lincoln Center et tout ici transpire l’excellence. Alors que les étudiants de toutes origines, parlant toutes les langues, papillonnent autour de moi, les minutes passent sans l’ombre d’un Clovis ou d’un Luca. À 13 h 20, j’envoie un texto avec mon portable français et deux minutes après, je reçois un message de Clovis. Il y a eu un mic-mac, et tous deux ont pensé que la session n’avait plus lieu...
Un peu furieux d’avoir perdu tout ce temps, je repars vers la librairie Barnes & Nobles qui se trouve au coin de la rue où je trouve le livre que je veux offrir à Mariah de qui c’est l’anniversaire : Three Wishes : An Intimate Look at Jazz Greats, un recueil de photos et de vœux collectés auprès des plus grands jazzmen des années 1950 et 1960 par celle qu’on appelait la Baronne du jazz, Pannonica de Koenigswater. C’était une fille Rothschild qui, après avoir épousé un officier français, a émigré aux Etats-Unis, est tombée amoureuse du jazz et est devenue une figure incontournable de ce petit microcosme souvent confronté à de grandes difficultés financières et sanitaires, une égérie d’une grande disponibilité qui lui a valu d’être adorée par les musiciens et répudiée par sa famille. Elle habitait une maison dans le New Jersey, en face de Manhattan, qui était devenue un refuge pour cette communauté qui avait coutume de venir y soulager les excès de la nuit. Charlie Parker s’est éteint chez elle, et c’est aussi là que Monk s’est retiré à la fin de sa vie. De nombreux morceaux portent son nom ou son surnom (Nica). En fait, Mariah me fait penser à elle. Elles ont sans aucun doute en commun l’amour de cette musique, l’énergie et la générosité pour la soutenir, et une grande élégance naturelle.
Pour rentrer, je prends la ligne 1 jusqu’à la 110e et sors sur Broadway, juste en dessous du campus de Columbia. Là, je fais les courses pour les lasagnes que Ricardo m’a demandé de lui préparer, après qu’il a lu mes chroniques (il parle bien français). Je redescends à la maison à pied et traverse Morning Side Park où je trouve un enfant assis tout seul qui a l’air bien triste. Quand je lui demande si ça va, il grommelle quelque chose d’incompréhensible et s’en va. Je le suis du regard et le vois retrouver le sourire à la vue des canards qui se battent dans le petit point d’eau. Je dépose une partie de mes affaires chez Shawn et repars aussi sec pour le gare de la 125e où j’attrape un train pour Fleetwood. Je commence à connaître le trajet par cœur, mais ne me lasse pas d’observer les passagers qui montent et descendent. L’atmosphère est à la détente en plein week-end ensoleillé. On est si loin de Paris...
En arrivant à Fleetwood, Ricardo m’amène au Barber Shop. Celui-là est encore différent de ceux que j’ai fréquentés jusqu’à présent. Il y a un petit avion jaune et rouge dont la hauteur s’ajuste en face d’un miroir en forme de Monsieur Éponge, avec de chaque côté deux petits écrans de DVD pour passer des dessins animés. Avec ça, si les enfants ne veulent pas aller chez le coiffeur... D’ailleurs, un petit gaillard ne tarde pas à embarquer sur ce coucou immobile pendant qu’on me rase le crâne. Il a l’air de beaucoup apprécier son vol. Retour chez Ricardo pour cuisiner les lasagnes pendant qu’il prend des notes. Dîner et discussion politique, puis balade à pied de l’autre côté du bourg où je n’étais pas encore allé. Ambiance beaucoup plus populaire entre coiffeurs dominicains, strip clubs encore bien calmes à cette heure-ci, et dancing pour retraités en goguette.
Dimanche matin tranquille chez Ricardo. À midi, nous partons en voiture pour retrouver la mer. Il fait toujours très beau. Nous nous arrêtons dans une petite échoppe caribéenne où nous trouvons Oxtail et macaronis cheese. Déjeuner sur un banc à regarder les pêcheurs de l’autre côté de la baie. Je rentre à Manhattan à 16 heures.
Après une courte sieste — ma mauvaise digestion m’épuise —, je repars pour rejoindre Mariah qui a convié un petit comité d’amis dans le restaurant français sur Park Avenue entre la 28e et la 29e rue, Les Halles. Je suis en retard d’une demi-heure — le rendez-vous est à 18 heures — quand je pénètre dans cette grande salle pleine à craquer. Je suis content de retrouver Mariah qui préside une grande tablée d’une quinzaine de personnes où je retrouve aussi Luis Perdomo et sa compagne, ainsi que le batteur Henry Cole. Je m’assois entre Mariah et Ambrose Akinmusire, le jeune et talentueux trompettiste qui va sortir son deuxième album sur Blue Note très bientôt, et de qui Mariah s’occupe depuis quelque temps. C’est même elle qui a conduit les négociations avec ce label de légende. La soirée passe d’une traite. En face de moi est assise Celia, une amie de longue date de Mariah, qui vient d’emménager à New York. Elle enseigne à Columbia University et, comme Alheli rencontrée chez Guilhem, elle est logée dans le quartier du campus dans un appartement qui appartient à l’université. Elle est venue avec sa fille de 9 ans qui essaye de soutirer les bijoux de Mariah... Just for one day. Après que tout le monde est parti, nous nous quittons, Luis, son amie et Mariah, devant le restaurant après 22 heures. Je rejoins le côté ouest de l’île en traversant la 28e rue. La douceur de cette soirée est assez inhabituelle, même pour New York en cette saison, et je passe à quelques blocs de l’Empire State Building qui ce soir est en rouge et orange.
Lundi, je me réveille toujours tourmenté par mes intestins et j’hésite même à annuler la session que nous avons calée chez Jérôme Sabbagh. L’idée était de réunir le groupe qui a enregistré mon dernier disque, Eight Fragments of Summer, il y a deux ans. Malheureusement le bassiste Joe Sanders rentre de voyage l’après-midi. Ce sera Joe Martin qui le remplacera (oh combien brillamment !). Quel plaisir de retrouver le drumming tellurique de Damion Reid. Voilà quelqu’un qui a réussi à poser une patte absolument unique et reconnaissable en une seconde sur un instrument qui a pourtant déjà tant d’éminents représentants, passés et présents. L’histoire lui rendra justice, et viendra bientôt le temps de la reconnaissance bien méritée. En attendant, et malgré mes problèmes intestinaux, nous faisons une session d’une grande qualité et Joe est d’une solidité parfaite dans la manière dont il gère nos échanges survoltés.
Dans le train qui me ramène à Harlem, je donne dix dollars à un groupe de jeunes danseurs de hip-hop, des ados, qui se moquent de l’apesanteur dans un numéro époustouflant où les casquettes et les baskets volent autour d’eux sans jamais toucher le sol de la rame bondée qui ne cesse de tanguer de droite à gauche... Toujours cette énergie et cette beauté qui surgissent quand on s’y attend le moins. Soirée chez Shawn qui n’est pas là, à regarder un méchant orage fondre sur Harlem.
Prochaine et dernière chronique probablement depuis Paris.
Laurent.