REGULAR SLICE
• Paris, le 17 octobre 2010.
Lumière grise, froid relatif et grand calme dans l’immeuble en ce dimanche d’automne à Paris. C’est la rentrée, je reprends mes cours demain à l’Edim et New York est bien derrière moi.
Mardi dernier, je retrouve Ricardo à son boulot et nous faisons le tour du bloc avant de trouver un salad bar. Deux salades, deux bouteilles d’eau pour un peu plus de 30 dollars. Bienvenue dans l’Upper East Side. Nous allons nous asseoir dehors, sur des chaises et des tables près d’une petite fontaine coincée entre deux immeubles. Derrière nous, un groupe d’ados discute par grappes quand soudain surgit de nulle part une jeune fille de petite taille complètement furieuse et qui se rue sur un garçon et une fille de cette petite bande. S’ils n’en viendront jamais aux mains, ils vont se hurler dessus pendant vingt minutes interminables. La violence de leurs échanges est telle que je me demande s’ils ne sont pas sous influence. Il s’envoient tous du my nigger alors qu’aucun d’eux n’est noir. Ils sont plutôt latinos pour la plupart, avec peut-être un métisse et une Blanche. Ricardo m’explique qu’ils sont issus du grand dormitory (dortoir) qui se trouve dans le même bloc. Nous laissons cette hystérie juvénile et je raccompagne Ricardo à la porte de l’immeuble où il travaille.
J’ai rendez-vous chez Mariah à 16 heures pour filmer une interview qui servira à la réalisation d’un EPK (Electronic press kit). Elle habite un très grand immeuble à l’angle de la 86e rue et de la 2e avenue. Son studio se situe au 2e étage et je retrouve le genre de volume auquel je suis habitué à Paris. Elle a récemment changé entièrement la configuration du lieu et je dois dire qu’elle a su tirer le meilleur profit de cet espace confiné qui lui sert aussi de bureau. Quand j’entre dans l’appartement, je reconnais le jeu de Luis Perdomo. C’est son dernier disque en trio qui devrait sortir très prochainement sur le label de Ravi Coltrane avec Drew Gress à la basse et Jack Dejohnette à la batterie. Mariah a déjà préparé le dispositif nécessaire à cette interview et je ne tarde pas à m’asseoir devant la caméra pour répondre à une série de questions qu’elle a rédigées sur une feuille. Le tout ne durera pas longtemps et je les laisse, elle et son chat (Snoop Dog), à 17 heures. Nous nous reverrons à New York j’espère très vite, peut-être pour la sortie de Rayuela cet hiver, sinon, lors de sa prochaine visite au printemps à Paris.
Je prends une bouteille de vin chez le caviste qui se trouve en face de chez elle et me dirige vers Lexington Avenue où j’attrape la ligne 6 jusqu’à la 116e rue, puis le crosstown jusqu’à la 8e Avenue. Je retrouve Shawn qui se prépare pour le dîner chez les Dahlman ce soir.
Il est 20 h 10 quand nous sonnons à leur porte. Ils nous ont gentiment invités alors qu’ils ont tous les deux des emplois du temps surchargés. Michael sort tout juste d’une réunion avec la copropriété dont il est le directeur. Karen a mis les petits plats dans les grands et le repas est un sans-faute. Du houmous au saumon et poireaux sautés, de la salade au gâteau aux amandes, tout est fait maison. C’est délicieux et au final, nous passons une soirée très agréable. J’espère que Shawn trouvera le moyen d’entretenir des liens avec eux.
Mercredi, dernier jour à Avatar pour finir le mix avec Katsu et Miguel. Nous y passons treize heures d’affilée sans voir le jour. Je crois qu’il restera deux ou trois détails à corriger, mais on est arrivé à quelque chose de satisfaisant. Je pousse la porte de chez Shawn à minuit bien passé, épuisé.
Jeudi, déjeuner avec Bruce Barth, Eri Yamamoto — sa compagne depuis six ans — et Katsuhiko dans un bon restaurant indien sur la 9e Avenue, entre Avatar et l’appartement d’Eri où nous avions joué Jérôme et moi il y a deux ans lors d’une session du Circle 57. Ce sont des concerts qu’elle organise chez elle et qui sont toujours des occasions de rencontres passionnantes. Nous la laissons courir à un rendez-vous professionnel et allons prendre un café dans le grand immeuble de Time Warner sur Columbus Circle, où nous échangeons nos vues sur les vertus comparées des programmes d’enregistrement midi et audio. C’est toujours bon de passer du temps avec des gens si investis et compétents dans leurs domaines. Ils sont les dignes représentants de l’excellence qui fait de cette ville une destination à part pour les musiciens du monde entier.
Je suis en train de tomber malade. Un angine probablement. je rentre à 16 heures passées et m’effondre sur le lit de Shawn pour une longue sieste. Quand j’émerge, il est déjà temps de repartir pour le Jazz Standard où j’ai rendez-vous avec Jérôme et Michelle. C’est le premier soir d’une série de quatre pour le groupe à deux altos de Rudresh Mahanthappa avec Bunky Green, Jason Moran, François Moutin, et Damion Reid (qui nous a mis trois places à l’entrée). Dès les premières notes, je suis gêné par cette rythmique désunie et la suite du set ne va pas s’arranger. En définitive, cette musique est trop en force et démonstrative pour moi. Je me concentre sur Damion, qui a monté un set de batterie identique à celui de Eight Fragments of Summer (avec deux toms basse de chaque côté de sa caisse claire) et qui arrive néanmoins à dérouler son jeu si singulier. Bunky aussi, du haut de ses 75 ans. Je rentre quand même bien frustré de ce dernier concert ici avant mon retour à Paris.
Rafales violentes, pluie glaciale et lumière d’hiver. Vendredi, jour du départ, le temps est si exécrable que c’est comme si la ville me jetait dehors. Je croise Clovis au métro à qui je rends ses clefs, passe au laundromat récupérer mon sac de linge, puis au supermarché pour acheter de quoi déjeuner et dîner en vitesse avant de filer à l’aéroport. L’après-midi, je descends dans le village et trouve un joli blouson tout simple pour Shawn qui m’a si gentiment hébergé pendant un mois. Je déambule un dernière fois dans ces rues que je connais bien, mais rien n’y fait, le temps est trop pourri et tout est déprimant. Je m’arrête quand même dans une pizza pour manger une regular slice, la première et la dernière de ce séjour assez diététique finalement. Un policier est là, qui discute avec le patron obèse et goguenard. L’après-midi est encore calme, mais la journée ne fait que commencer en ce vendredi soir dans ce quartier.
De retour à la maison, je finis de faire mes valises, avale une soupe de lentilles en boîte et je pars à 20 heures pour choper la ligne A du métro qui dessert l’aéroport de JFK. C’est le moyen le moins cher pour s’y rendre mais il ne faut pas être pressé. J’arrive au terminal 1 à 21 h 35, et me plie une nouvelle fois au rituel des contrôles et des heures perdues. Les aéroports occidentaux sont devenus au fil des ans de grands centres commerciaux pour millionnaires et face à cette orgie de luxe, je marche en regardant mes pieds. Il ne faut pas compter se restaurer non plus. Le moindre sandwich est à 9 dollars, la petite bouteille d’eau à 2,50. Vivement que je pousse la porte de mon studio parisien.
Et que je revienne à New York.
Laurent.
À lire aussi les chroniques #1, #2, #3, #4, #5 et #6
Un très grand merci à Michèle Simon pour avoir pris le temps de corriger les nombreuses fautes d'orthographe de ces chroniques.