Petit à petit, le modèle sur lequel s'est construit Google – celui d'un réseau entièrement ouvert et interconnecté dont le moteur serait l'indispensable guide – s'effrite juridiquement. Après la rebuffade américaine sur l'accord Google Books, la société californienne vient une nouvelle fois de perdre en justice contre la presse belge.
Jeudi 5 mai, la cour d'appel de Bruxelles a confirmé le jugement rendu quatre ans plus tôt en faveur de la société gérant les intérêts des éditeurs de presse belge, Copiepresse. Celle-ci accusait le moteur de recherche de diffuser sans autorisation et de façon systématique ses contenus textes, photographies et vidéos. «Nous pensons que le fait de référencer l'information avec des titres courts et des liens directs vers la source – comme le font les moteurs de recherche, Google News et presque tout le monde sur le Web – est non seulement légal mais encourage, en outre, les internautes à lire les journaux en ligne, a expliqué Al Verney, porte-parole de Google à la suite de l'arrêt. Nous restons déterminer à aller plus loin avec les éditeurs et à chercher de nouvelles façons, pour eux, de commercialiser leur informations en ligne.»
Après la première décision, Google News avait déréférencé les contenus ces journaux, tout en faisant appel. Dans un communiqué, Copiepresse a dit regretter que Google «tente encore de justifier des positions qui ont été clairement rejetées par la cour d'appel» tout en espérant que la société proposera «la conclusion d'un accord équitable pour l'ensemble des parties». Dans une autre procédure, les éditeurs réclament une indemnisation évaluée entre 33 et 49 millions d'euros pour la période pendant laquelle Google a utilisé leurs contenus sans autorisation (voir le mode de calcul de l'indemnisation sur le site Droit belge).
«C'est une décision d'une portée limitée: la Belgique francophone, ça ne fait que 4 millions de personnes, relativise Alain Strowel, avocat au barreau de Bruxelles qui vient de publier Quand Google défie le droit. Le risque pour Google est que cela crée un précédent sur lequel s'appuient les éditeurs d'autres pays.» Pour l'heure, la presse francophone belge a plutôt été en pointe sur ce sujet: «les néerlandophones ont renoncé de peur d'être également déréférencés du moteur général», ajoute M. Strowel.
Contenu contre trafic, là où les éditeurs sont accoutumés à vendre du contenu (aux lecteurs) et du trafic (aux annonceurs) contre de l'argent: c'est le cœur de l'offre de Google. «Chaque mois, Google News fournit un milliard de clics aux éditeurs du monde entier, assurait le patron de Google News, Josh Cohen, à Mediapart en 2009. Rien qu'avec le trafic que nous générons, qu'ils utilisent ou non nos offres publicitaires les éditeurs peuvent en tirer des revenus, même s'ils n'ont aucun rapport avec nous. A eux de choisir s'ils veulent travailler avec Google. Nous pensons qu'ils ont intérêt à travailler avec nous, mais ça relève de leur seule décision».
Précisément, le juge belge considère que le consentement des éditeurs n'est pas acquis par défaut sur le modèle du «qui ne dit mot consent» et qu'il faudrait le dénoncer si l'on s'y oppose (opt-out). Au contraire, il fait, comme dans l'affaire Google Books, de l'autorisation préalable (opt-in) la règle. «C'est une approche systématique de Google qui met le droit d'auteur la tête en bas, analyse Alain Strowel, avocat au barreau de Bruxelles qui vient de publier Quand Google défie le droit. Ils font tout ce qui est techniquement possible sans se demander s'il faut demander des autorisations. Je crois que les éditeurs sont tout à fait disposés à se faire référencer par Google News, mais contre rémunération.» C'est d'ailleurs ce que fait Google, après une procédure du même type, depuis 2007 pour les dépêches d'agences... qui sont également la matière première des sites d'information continue.
On comprend aisément l'intérêt de Google à préjuger de l'accord de tous. Pas besoin de négocier individuellement avec chaque éditeur les condition de la collaboration, ni même à se couler dans leur logique de syndication de contenus. Lorsque Google décide d'indexer et de trier un nouveau pan du contenu numérique (voire du contenu à numériser pour les livres), ses choix deviennent, par son envergure, une norme de fait du marché. Les clauses que la société pose – suivre la marche du plus grand nombre ou se contenter de sa propre notoriété pour exister sur le Web – deviennent léonines.
«Sous la pression du droit, Google est en train de faire évoluer son approche vers un modèle plus respectueux», nuance M. Strowel. Ces derniers temps, le site a lancé First Click Free (octobre 2008) qui permet au lecteur de lire quelques articles avant de buter contre le mur payant ou Pass Média (février 2011) qui offre aux éditeurs un système de paiement pour leurs articles et leurs abonnements avec une commission de 10% contre 30% avec Apple. Mieux, insiste M. Strowel, Google propose avec Fastflip (septembre 2009) sa propre alternative à Google News, mise en place avec l'autorisation des éditeurs et rétablissant une approche par titre plutôt que par sujet.
«Sans doute les patrons de presse ont-ils tendance à charger de tous les maux un agrégateur comme Google News oubliant trop vite que c'est l'irruption de l'Internet qui force au changement, estime dans son livre Alain Strowel. Mais n'y a-t-il pas un comportement commercial à tout le moins agressif, d'autant moins justifié qu'il émane d'un opérateur largement dominant sur divers marchés de l'information en ligne? Où tracer la limite entre la citation légitime et l'établissement d'hyperliens qui contribuent à la liberté d'expression d'un côté, et le “resquillage” ou parasitisme (le free-riding) qui diminue, à terme, la liberté d'expression de l'autre côté?»
Quand Google défie le droit, plaidoyer pour un Internet transparent et de qualité
par Alain Strowel (avocat au barreau de Bruxelles, professeur de droit),
préface de Jean-Noël Jeanneney
De Boeck & Larcier éd., Bruxelles 2011
240 pages, 19 euros.
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