Quelques jours après la publication de l'enquête diligentée par L'Express sur la «consommation de l'information» en France, le Pew Project for Excellence in Journalism sort son rapport 2011 pour les Etats-Unis.
Sur 1001 personnes interrogées fin septembre 2010, on découvre que 97% des Français disent s'informer chaque jour (30% déclarent ne pas pouvoir s'en passer). Ils y consacrent en moyenne 2h16 par jour. Pour 72% d'entre eux, c'est plus qu'il y a cinq ans et pour 76%, le sentiment d'être «submergés» par l'information domine (82% pour les 15-24 ans). D'ailleurs, 39% des sondés consultent au moins 4 médias par semaine (la majorité – 74% – s'informe par 3 médias) et pour beaucoup cherchent à retrouver des point d'ancrage capable de synthétiser, de trier, d'analyser, d'expliquer, bref de ralentir le flux. 88% font eux-même ce travail, diffusant, partageant leur propre sélection à leur entourage (pour 59% par un réseau social).
L'étude américaine, moins sociologisée, donne de grandes tendances.
Le public se tourne de plus en plus vers le Net pour s'informer. Le Web est même le seul support à gagner du terrain. Quatre Américains sur dix s'y informent sur les sujets nationaux et internationaux (ils n'étaient que 17% un an plus tôt). Pour la première fois, l'information en ligne (46%) dépasse le papier (40% contre 52% en 2006) pour l'information régulière (au moins trois fois par semaine). Pour les actualités locales, le mobile touche 47% des Américians. Seule la télévision locale (50%) est plus populaire.
Un livre récent, News at Work: imitation in an age of information abundance de Pablo Boczkowski vient compléter ces études (l'introduction est lisible ici). Il constate une consultation accrue des sites d'information sur le lieu de travail, à plusieurs reprises dans la journée, alors que le papier et la télévision correspondent au temps des loisirs ou du moins de temps passé au domicile. L'usage de l'information serait alors, en conséquence, plutôt lié au rôle social pour le Web et familial/amical pour les autres médias.
Parmi les autres points relevés par Boczkowski dans ses entretiens, on note un «décalage thématique» entre la demande du public et l'offre des journalistes qui s'intéressent plutôt aux affaires publiques et à l'actualité immédiate, en mouvement. Les internautes consultent les articles «comme une opportunité qui n'a pas été nécessairement recherchée» envoyés par courrier électronique ou par les réseaux sociaux.
Enfin, la forme écrite reste le support «légitime» de l'information pour les personnes interrogées, même si elles accordent de l'attention aux contenus spectaculaires et courtes vidéos.
Tout cela évoque une théorie formulée par un professeur danois, Thomas Pettitt, nommée «parenthèse Gutenberg». Selon lui, l'époque du livre et de la presse «imprimée» qui garantissent la fiabilité d'une information parce qu'il est coûteux de les fabriquer et de les diffuser. Dès lors, toutes sortes d'intermédiaires relecteurs, éditeurs, rédacteurs en chef, etc. homologuaient à la fois la compétence de l'auteur et la qualité de l'écrit.
A partir du moment où il devient possible de s'auto-éditer, de publier à moindre prix (moindre effort et moindre coût), la confiance décroit et il faut trouver d'autres modes de validation. Et naturellement, explique Pettitt, on retrouve ce qui existait avant la «parenthèse»: face à la profusion de données, plus ou moins décontexualisées, sorties parfois des mises en formes connues et pratiques de l'imprimé, chacun se recrée une échelle de confiance dans l'information qui circule.
«Quand les livres n'existaient pas, comme les gens décidaient-il ce qu'ils devaient croire ou non? C'est un nouveau monde dans lequel il faut trouver sa voie. Un nouveau monde qui est en fait un ancien monde. Un monde d'avant l'imprimerie et les journaux.» Et le plus évident, alors, est de faire confiance à ses proches, à ses amis, à sa famille, dont on connaît les motivations et les défauts, la fiabilité, à quelques figures qui perdraient plus à nous mentir qu'à se taire.
L'essor de la recommandation sociale vient peut-être de là, autant que du trop-plein d'informations.
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