7 heures par mois, 14 minutes par jour: c'est le temps moyen passé par 116 millions d'internautes américains sur Facebook selon les chiffres Nielsen de janvier 2010. Ce qui signifie qu'ils passent en moyenne un dixième de leur temps sur ce site de réseau social. Par comparaison, il ne consacrent que 4 minutes par jour au site le plus visité (Google, 162 millions de visiteurs uniques aux Etats-Unis, sur une population totale de 300 millions de personnes) et environ 40 secondes aux sites d'information.
Certes, mais à quoi, pour l'éditeur d'un site, faire des efforts pour retenir longtemps l'internaute sur un page, alors que, de toute façon, la publicité est facturée à la «page vue» (le nombre de fois où la page est affichée, en fait)? Pleins de bon sens, les sites ont donc développé une politique de contenus courts (courts à réaliser, courts à consulter), émietté l'information (une brève, une interview en 3 questions, un diaporama, c'est 3 clics au minimum, alors qu'un article complet, avec photo, ça ne fait jamais qu'une page vue), limité les liens pointant vers l'extérieur pour éviter l'«évasion» des lecteurs tout en érigeant le «buzz» comme aune unique de la valeur d'une information, multiplié les entrées qui sont à chaque fois l'occasion d'afficher (et de facturer) un bandeau de publicité à l'annonceur. Et comme ce dernier peut désormais mettre en regard le nombre d'annonces facturées et celui des visiteurs venus sur son site en cliquant sur celles-ci, le «coût pour mille» n'a pas tardé à s'effondrer.
C'est donc bien aux prémices d'un changement logique que l'on assiste (voir l'article «Les recettes des journaux pour passer au payant») lorsque les sites d'information développent les aspects communautaires et passent à des formats longs. Ils basculent progressivement, éventuellement sans le formuler, à une logique de «temps d'exposition». Techniquement, ce genre de mesure ne pose aucun problème (voir la démonstration d'Alenty).
L'évolution est moins spectaculaire que la création de zones payantes, bien que les deux aient souvent lieu en même temps, mais elle est probablement plus profonde. Non que l'information de flux soit morte: il y aura encore longtemps cette course un peu vaine au scoop reproductible, et d'ailleurs reproduit dans les secondes qui suivent sa révélation par l'ensemble de la concurrence (de préférence en oubliant de négliger la source).
Mais, en ces temps d'«infobésité», cette information en plus est de la valeur en moins. Presque une pollution, puisque l'éditeur a tendance fort naturellement à privilégier ces informations au détriment de la hiérarchie normale (basiquement: «plus l'information concerne de personnes et plus elle affecte profondément leur vie, plus elle doit être considérée comme importante») et que l'avantage que le lecteur tire du fait d'avoir l'information en primeur n'est pas avérée (voir l'article «Si l'info est importante, elle me trouvera»).
Au contraire, le fait de prendre le lecteur par la main, de le mener d'un point à un autre du récit (tout en le laissant libre d'y adhérer ou non), le fait de lui donner une information complète et construite permet de retenir l'internaute et de construire progressivement une audience stable et fiable, même si elle ne donne de résultats spectulaires en termes de «pages vues» ou de «visiteurs uniques».
La faveur actuelle que rencontre le webdocumentaire (chez les éditeurs au moins) est symptomatique de cela. D'abord parce que le genre n'est pas bien défini sur la forme et qu'on peut y trouver aussi bien des documentaires qui n'ont rien de Web, des diaporamas sonores, des jeux vidéos parfois, des sites complets, etc. Mais pour ce qui est de l'objectif, il est clair: tenir l'internaute en haleine, l'impliquer, lui faire passer pour entrer dans une certaine complexité du sujet (lire à ce sujet Webdocumentaire, une présentation).
Le modèle économique associé à ce genre journalistique en construction reste à inventer: ils sont bien souvent produits par des chaînes de télévision, qui ont l'habitude de manipuler des centaines de milliers d'euros pour une production unique, et bénéficient pour les mieux introduits de subventions du Centre national du cinéma; ils sont donc très loin des normes habituelles de production de contenu sur le Web (trois bouts de ficelle, un bout de scotch, hébergement chez des amis, dîner d'affaire au McDo).
C'est aussi ce changement de logique qui a présidé au lancement de Living Stories par Google avec le New York Times et le Washington Post (voir Google et la presse: l'option dossier). Jusqu'ici, les deux journaux avaient mis un zèle assez mesuré dans l'expérience (voir le dossier «réchauffement climatique» du New York Times). On les comprend: l'idée de disposer d'autant de rubriques que de sujets, de ne plus papillonner d'un sujet à l'autre mais de disposer d'archives structurée par des outils simples et compréhensibles a beau être séduisant, le lecteur lit quand même, avec Living Stories, les articles chez Google et non sur le site du journal.
Pourtant, après deux mois d'expérimentation, il apparait que les internautes ont plutôt apprécié. Selon Google, les 3/4 des personnes qui ont commenté le service ont dit préférer la lecture sous forme de dossiers que sous forme d'article. Et surtout, ils ont consacré plus de 9 minutes à chaque dossier pour chacune de leur visite. Là encore, le temps passé en ligne devient le nouvel étalon de la valeur des information. Le 17 février, Google a décidé de publier le code source de Living Stories (manuel ici) afin que les éditeurs de sites d'information puissent s'en emparer — et pourquoi pas le détourner: j'imagine qu'il n'y aura pas longtemps avant que l'un deux tente de rapatrier ces modules sur son propre site, maquettés comme s'ils en faisaient partie.
On pourrait se dire finalement que cela valide le choix de Mediapart d'enquêtes développées, d'entretiens au long cours, de reportages lointains en 5 ou 6 épisodes. Mais ce ne serait pas tout à fait juste. Certes, vous passez un peu plus de 9 minutes par visite et donc presque 12 minutes par visiteur unique et par jour sur ce site (abonnés et non abonnés confondus, on compte 1,3 visites par visiteur unique et par jour), ce qui est singulièrement long pour un site où ce qui est lisible en grande partie payant.