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Billet de blog 22 janvier 2010

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La tablette d'Apple ne sauvera pas (forcément) les éditeurs

Dans moins d'une semaine, après la conférence de presse de Steve Jobs, le 27 janvier, tout le monde vous parlera du nouveau joujou d'Apple. N'en parlons donc plus.

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Dans moins d'une semaine, après la conférence de presse de Steve Jobs, le 27 janvier, tout le monde vous parlera du nouveau joujou d'Apple. N'en parlons donc plus.De toute façon, on l'a déjà fait ici et les nouvelles spéculations (10 pouces ou non? écran OLED ou non?) ne valent pas forcément que l'on s'y attarde tant que le «keynote» (littéralement «discours inaugural», mais dans la terminologie d'Apple, c'est juste un de ces spectacles minutieusement scénarisés que donne Jobs pour faire parler de ses produits) .

Plus intéressant: l'utilisation qui peut être faite de tels outils (on avait déjà commencé à l'envisager ici) et les manœuvres et négociations qui entourent l'annonce pour faire en sorte que ce bébé naisse doté, comme dans les bons contes de fées, de tous les dons (dont, essentiellement, celui de se vendre au plus grand nombre).

Lors du Consummer Electronic Show de Las Vegas, au début du mois de janvier, Microsoft a grillé la politesse à Apple en montrant un prototype de sa propre tablette tactile construite avec Hewlett-Packard, le Courier, montrant chacun sa compétence, comme fabricant de logiciel pour l'un, de matériel informatique pour l'autre.

Mais depuis le lancement d'iTunes en 2003, Apple est devenu bien autre chose qu'un constructeur d'ordinateurs. L'iTunes Store a rapporté 2,5 milliards de dollars en 2007, 3 en 2008, 4 en 2009. Surtout, Apple revendique 100 millions de comptes avec numéro de carte de crédit permettant aux utilisateurs d'acheter d'un seul clic dans sa boutique. En pratiquant la facturation groupée des articles acquis dans sa boutique, Apple abaisse le coût de la transaction (une seule facture, une seule requête auprès de la banque) et résoud l'un des problèmes majeurs du commerce sur Internet: le prix de revient du micropaiment. >>> Lire l'article du WSJ.

Avec la tablette, Steve Jobs parie qu'il pourra refaire pour l'édition, la presse et la télévision ce qu'il a réussi avec l'iPod et la musique: s'imposer comme un intermédiaire incontournable (8,5 milliards de chansons vendues depuis 2003). >>> Lire l'article du Guardian.

Si l'on en croit le Wall Street Journal, Apple vise essentiellement deux marchés: celui des tables basses dans le salon (pas question en effet de transporter une tablette 10 pouces dans sa poche!) et celui des cartables, avec l'édition scolaire.

L'édition

Le directeur de la maison d'édition HarperCollins (groupe News Corp., celui de Rupert Murdoch), Brian Murray, y voit notamment la possibilité d'ajouter, dans les manuels, des vidéos à titre de démonstration et de documentation (c'est moins pertinent pour la littérature générale), et des applications de réseau social qui permettront aux éditeurs de vendre des livres plus chers, donc avec une marge plus importante, sur Internet. >>> Lire l'article du WSJ.

On rappellera également que des livres «techniques» sont aussi beaucoup plus facile à vendre «par tranche» que ceux de fiction, et que dans une logique de «playlists», ils peuvent bénéficier d'un effet viral qui justifie l'idée de coupler ces objets à des fonctions sociales. >>> Lire le blog de Mediapart.

Pour débaucher les éditeurs, Apple leur promet de les laisser fixer le prix des livres et de ne prendre «que» 30% de commission sur le prix de vente, alors qu'Amazon facture un fixe de 9,99$ pour les ventes de livre sur Kindle ou, pour les livres moins chers, une commission de 70% plus les frais d'expédition. >>> Lire l'article du NYT.

Beaucoup, néanmoins, doutent que ce marché soit aussi porteur que ne le fut celui de la musique. La BBC relève ainsi que les livres papiers sont «portables, sans batterie, et peuvent se prêter à un ami beaucoup plus facilement que l'édition Kindle du dernier thriller» quand la musique, en passant sous la forme de fichiers échangeables ou en flux (streaming) a gagné en autonomie par rapport au CD. >>> Lire l'analyse de la BBC.

Pour Jobs lui-même, persuadé depuis longtemps que personne ne lit plus réellement, l'édition n'est que l'une des lames de son couteau suisse: «Je suis certain qu'il y aura toujours des appareils spécialisés et qu'ils feront mieux le petit nombre de choses pour lesquelles ils sont conçus. Mais je crois que les appareils généralistes l'emporteront, parce que personne ne veut dépenser de l'argent pour un appareil qui ne sait faire qu'une seule chose.» Ainsi, il ne croit pas au succès du Kindle d'Amazon et en veut pour preuve l'absence de communication sur les chiffres de vente: «D'habitude, si vous vendez beaucoup de quelque chose, vous voulez le dire à tout le monde!» >>> Lire le blog du NYT.

La vidéo

On sait peut de chose sur ce sujet, sinon qu'Apple négocie actuellement avec CBS et Disney (qui possède ABC) pour lancer un service de télévision à péage basé sur un système d'abonnement mensuel. Mais Disney, via son offre sportive ESPN, est aussi en négociation avec Microsoft, qui a montré au CES sa tablette construite par HP. Apple discute également avec l'éditeur de jeux vidéos Electonic Arts, leader du secteur, mais qui n'a pas de politique d'exclusivité (il développe pour Microsoft, Sony, Nintendo...). >>> Lire l'article du NYT.

La presse

Apple est en pourparler avec les groupes Condé Nast (Vogue, GQ, Wired, New Yorker...) et News Corp (National Geographic, TLS, Barron's, plus le Wall Street Journal, New York Post, le Times de Londres, le Sun et la 20th Century Fox). Ces deux groupes font partie du consortium regroupant également les groupes Hearst, Meredith et Time Inc. qui souhaite créer un «iTunes pour les magazines», qui leur ouvrirait un marché évalué à 145 millions de lecteurs uniques. Mais Time a fait savoir qu'il ne participerait pas au keynote du 27 janvier et diffuse une démonstration de virtuosité visiblement réalisé pour le Courier de Microsoft-HP. Et Hearst développe son propre appareil, le Skiff, avec Sprint. D'autres éditeurs (McGraw Hill, Wiley et Pearson) travaillent, eux, sur une tablette inventée par CourseSmart. >>> Lire l'article du Guardian.

De la façon la plus évidente, c'est avec le New York Times qu'Apple discute. Le patron du groupe, Arthur Sulzberger, répond d'un laconique «stay tuned» (gardez l'antenne, sous-entendu: il va se passer des choses) lorsque l'on évoque la question. Et Bill Keller, directeur de la rédaction du quotidien, a évoquer une «Apple Slate imminente» (alors qu'à ce moment-là, en octobre, le nom d'iSlate n'était jamais sorti) en octobre. >>> Lire l'article de NiemanLab.

Gizmodo note que l'équipe de recherche et développement du NYT travaille activement sur des versions du journal qui pourraient être manipulables sans clavier ni souris. En mai 2009, ils ont ainsi sorti un remarquable «Times Reader», déclinée en version Web sous la forme du Times Skimmer. >>> Lire l'article de Gizmodo.
Pourtant, là encore, les commentateurs ne croient que ces innovations apporteront à la presse des revenus supplémentaires. Paid Content souligne que cette tablette ne peut être qu'un plus pour le lecteur (lecture déconnectée, pratique, distrayante) mais pas une punition: «le contenu que vous avez acheté une fois doit être disponible sur tous les supports». Pas question, donc, de demander un supplément pour lire le NYT sur tablette. >>> Lire l'analyse de Paid Content.

New York magazine relève que le principal bénéficiaire de l'opération sera Apple, ne serait-ce que parce qu'avec iTunes, Apple contrôle entièrement le contenu, peut choisir de le diffuser ou non, garde la haute main sur la facturation et ne rétrocède jamais au fournisseur de contenu la liste de ses abonnés, dont il est dès lors, coupé. Une bonne façon pour Apple de collecter les données personnelles, les habitudes de consommation et, au final, de les revendre à des annonceurs. >>> Lire l'article de New York.


Les vidéos qui illustrent ce billet sont de projet d'ergonomie pour des publications sur «papier électronique» et sur tablettes.