C'est ce qu'ils disaient pour justifier les inégalités : la croissance de la richesse des plus riches favorisera une sortie progressive de la pauvreté pour les plus pauvres. Que nenni ! Une étude du FMI himself démontre le contraire, chiffres à l'appui, mettant en évidence que la théorie libérale du "ruissellement" selon laquelle la richesse des uns favorise la croissance, et donc la sortie de la pauvreté, ne tient pas. En plus, trop de pauvres c'est pas bon pour la reprise...

Nous savons, par plusieurs études, que les inégalités se creusent dans les pays développés. Certains journaux en font leur pain annuel : tel Challenges qui se fait un malin plaisir de nous livrer chaque année l'état des fortunes françaises, qui ne cessent, depuis quelques années, de s'engraisser sans vergogne (voir mon billet Les grandes fortunes ne connaissent pas la crise).
Le FMI vient opportunément de publier une étude, qui confirme un constat fait par l'institution internationale depuis l'an dernier, démontrant que l'enrichissement exacerbé des plus riches ne profite pas au reste de la population. En effet, lorsque les 20 % les plus riches ont des revenus qui progressent de 1 %, la croissance diminue de 0,08 % dans les 5 ans. Par contre, une augmentation de 1 % des revenus des 20 % les plus pauvres engendre une augmentation de la croissance de 0,38 %.
Cela paraît un peu fou de devoir aller chercher auprès du FMI ce qui nous semble d'emblée une évidence. D'autant plus que le FMI ne s'interroge pas sur le type de croissance. Respectueuse de l'environnement ? Ce n'est pas le problème des comptables. Ils ne s'embarrassent pas de morale : c'est juste un constat, ce n'est pas bon pour leur économie, alors ils le disent. C'est ainsi que Mme Lagarde, lors d'une conférence récente à Bruxelles, a déclaré : " « Nul besoin d’être altruiste pour soutenir des politiques qui rehausseront les revenus des pauvres et des classes moyennes. Tout le monde y gagne, car ces politiques sont indispensables pour rendre possible une croissance économique plus vigoureuse, plus solidaire et plus soutenable. »
Les économistes du FMI notent que ces inégalités rendent les coûts d'éducation trop élevés et découragent les classes les plus défavorisées qui n'accèdent plus aux postes les meilleurs. Cela crée même des tensions dans la société, cela alimente la méfiance entre citoyens. Lorsque la cohésion sociale ne tient plus, le développement économique, à moyen terme, ne sera pas au rendez-vous.
Comme les économistes du FMI craignent que l'oligarchie les accuse de rêver un peu, alors ils préviennent : un peu d'injustice c'est pas mal, tout de même, car cela permet de motiver les acteurs : un "certain degré d'inégalité peut ne pas être un problème dans la mesure où cela incite les individus à exceller, à se battre, à épargner et à investir pour aller de l'avant".
On croirait entendre Christophe Barbier, le directeur de la rédaction de L'Express qui, lors d'une récente émission de C dans l'air (17 juin) affirmait que, compte tenu du taux d'imposition en France [qui, ceci dit en passant, est bien plus bas qu'à certaines autres époques] les classes moyennes supérieures et les professions libérales réfrènent leur ardeur au travail. Mais grâce à la fameuse "année blanche" 2017 (les impôts de 2018 seront basés sur les revenus de 2018, et donc les revenus de 2017 ne seront jamais pris en compte) cela va doper l'économie. Il sautillait de joie, et réclamait que tout le monde paye des impôts, n'ayant pas remarqué que les plus démunis payent aussi la TVA.

Mais les chercheurs du FMI sont finalement un peu moins ultra-libéraux que nos histrions, qu'ils se nomment Barbier ou Giesbert, puisqu'à la différence de nos "spécialistes" qui ratiocinent en permanence sur le "coût du travail", ils constatent que lorsque le marché du travail est plus flexible cela provoque un accroissement des inégalités et l'enrichissement des plus aisés. Les travailleurs pauvres ont moins de moyens pour se défendre. Le rapport incite les gouvernants à instaurer un impôt plus progressif, et la suppression des possibilités ("removing opportunities") de fraude et d'évasion fiscale. Il faudrait également favoriser l'accès au crédit pour les plus pauvres, ainsi que développer considérablement la formation et l'accès aux soins. Tout de même, on ne se refait pas : ils tiennent à souhaiter un "meilleur ciblage des avantages sociaux tout en minimisant également les coûts". Le but étant d'inciter à travailler et à épargner ! Mais ils ne vont pas jusqu'à remettre en cause les politiques d'assistance, comme le font certains de nos "économistes" en chambre ou politiques en droite "sociale".
L'OCDE a, dans un document daté du 21 mai, indiqué que les inégalités "ont augmenté plus nettement que dans d'autres pays entre 2007 et 2012". Bon, ça on le savait : le "président des riches" a bien fait son boulot. Et "les 10 % de personnes ayant les revenus les plus faibles ont plus sévèrement subi la crise". Ça aussi, on le savait : ça faisait partie du même boulot. Dans un autre document intitulé In It Together : Why Lesss Inequality Benefits All, l'OCDE consacre un chapitre à l'impact de l'inégalité des revenus sur la croissance économique pour constater que "when income inequality rises, economic growth falls" ("lorsque l'inégalité de revenus augmente, la croissance économique chute").
Moins d'inégalités pour affronter... la reprise
Est-ce que nos "experts" ont jamais tenu ce discours dans leur péroraison sur les plateaux de télévision, à part quelques honnêtes parmi eux ? Non : cette évidence n'est pas politiquement correcte aujourd'hui dans nos médias. Et pourtant, aujourd'hui des institutions tout ce qu'il y a de plus officielles, totalement inscrites dans le système, commencent à mettre en garde contre les excès de l'appauvrissement des populations. Le capitalisme se préoccupe en général de ses intérêts immédiats, mais cela n'empêche pas certains de ses défenseurs d'avoir des visées à plus long terme (comme jadis les oligarchies ont admis que les dictatures au Portugal, en Espagne, en Grèce pouvaient tomber : parce qu'un système qui favorise quelques privilégiés et renvoie le plus grand nombre dans la pauvreté, cela permet certes à quelques uns de consolider leur fortune, mais ce n'est pas économiquement viable). Le partage, sans avoir besoin d'invoquer des raisons morales, comme dirait Christine Lagarde, a quelques avantages. D'autant plus que tous ces spécialistes sentent que la reprise pourrait bien ne pas tarder.
Les auteurs de l'OCDE concluent que plusieurs points de croissance ont été perdus à cause des inégalités, pas seulement celles qui touchent les 10 % les plus démunis, mais aussi les 40 % des "classes moyennes vulnérables inférieures". L'aide sociale et les revenus minimum ne suffiront pas, les politiques sociales doivent être plus ambitieuses. Sinon, ces classes ne pourront pas "bénéficier de la reprise et de la croissance future".


Rapport OCDE : couverture et extrait !
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Rapport du FMI (39 pages) : Causes et conséquences de l'inégalité de revenus, juin 2015 (en anglais) : [il est précisé que ce rapport n'engage pas les autorités du FMI]
Rapport OCDE (336 pages) : Tous concernés : pourquoi moins d'inégalité bénéficie à tous, daté de 2015, paru en décembre (en anglais).
L'illustration en début de billet est la couverture du rapport intitulé Plus ou moins de Banko Milanovic, économiste de la Banque mondiale, qui, dès 2011, constatait que "loin de s'atténuer comme on l'escomptait, les inégalités de revenu se sont accentuées depuis un quart de siècle" (6 pages, en français).
Le Monde du 17 juin, qui a publié un article de Claire Guélaud sur ce rapport du FMI, relève que la fortune mondiale s'élève à 110 000 milliards de dollars (97 441 Mds€) : la moitié appartient à 1% de la population. Et les 10 % les plus riches détiennent une fortune 9 fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres.
Coût de l'énergie :
Autre idée reçue battue en brèche : l'ouverture à la concurrence de l'énergie devait faire baisser les tarifs. Sauf que le Médiateur national de l'énergie, en France, vient de constater que "c'est loin d'être au rendez-vous", dans un bilan publié récemment (voir le Figaro obligé d'admettre ce qui est contraire à sa religion : Energie : les prix ne baissent pas malgré la concurrence).
Le non-recours :
C'est ainsi qu'on nomme le fait pour de nombreux bénéficiaires potentiels de droits sociaux de ne pas y faire appel : par méconnaissance, ou par crainte d'être inscrit dans un processus d'assistance ou de devoir rendre les sommes perçues suite à des erreurs de l'administration. Ce non-recours est évalué par des observateurs les plus sérieux à 5,3 milliards d'euros. Ce chiffre devrait clore le bec de ceux qui s'engraissent en déblatérant sur la fraude sociale.
Les citoyens, qui disposent de faibles ressources, peuvent bénéficier de tarifs sociaux pour payer leurs factures d'énergie. Alors que la facture d'électricité a augmenté de 460 € en moyenne annuelle depuis 2007, 2,6 millions de foyers seulement bénéficient de ces tarifs fin 2014, alors que des études officielles évaluent à 4 millions le nombre de ceux qui pourraient y ouvrir droit. On attend que les pourfendeurs de la fraude sociale et de l'assistanat montent au créneau pour défendre les droits de ceux qui n'y accèdent pas.
Billet n°204
Billets récemment mis en ligne sur Social en question :
Des enfants sont pauvres, leurs parents aussi
"La lutte des classes n'est pas républicaine"
La loi du marché : c'est l'humiliation
"La Tête haute" ou la carrefour des enfants perdus
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]