La quête de sens pour l’aventure humaine
L'éthique des affaires surgit comme une réponse aux questions que les hommes se posent dans un cadre historique particulier. Les idéologies collectivistes se sont évaporées dans la chute du bloc communiste, favorisant la légitimité politique de l’individualisme. L’idéologie du progrès est secouée par des interrogations sur le sens de l’activité économique des entreprises (« L’horreur économique » de Viviane Forester).
La quête de sens devient universelle. Mais elle se heurte à la mondialisation libérale, marquée par le prima de la valeur monétaire. La valeur d’usage s’effondre au profit de la valeur d’échange. L’entreprise moderne crée de nouveaux produits, non parce qu’ils sont utiles, mais parce qu’elle peut les faire et qu’elle sait les vendre. L’entreprise, autant que les objets qu’elle fabrique, devient une fin en soi. La consommation de l’inutile, les maladies de la terre et le gaspillage des ressources limitées heurtent les consciences.
La mondialisation libérale apparaît comme le résultat d’un rapport social de domination et d’exploitation à l’échelle planétaire. Elle rétrécit l’imaginaire et les représentations culturelles, sans proposer de nouvelles valeurs de référence. Le matérialisme effréné qui la sous-tend provoque des réactions identitaires et des résistances nationales. Un nouveau discours idéologique se construit (Seattle 1999). Une sorte d’éclectisme qui mêle l’humanisme, le prophétisme, le panthéisme, l’universalisme.
Dans un tel contexte de rapport de forces, l’éthique des affaires s’annonce comme la réponse exigée. Elle apporte des normes et des compensations dans une économie mondiale dérégulée. Elle produit un questionnement qui permet de justifier l’entreprise. Elle répond à la quête de sens dont témoigne singulièrement le Forum social de Porto Alegre.
La centaine de milliers de personnes venues de la société civile, qui se rassemblent lors du Forum social mondial de Porto Alegre, en contrepoint du World Economic Forum de Davos, témoigne d’une prise de conscience mondiale qui ne peut être ignorée. Elus, ONG, syndicalistes, religieux, représentants des associations les plus diverses, viennent des quatre coins du monde. Tous témoignent de l’espérance d’une société solidaire, en vue d’un développement humain qui s’accommode peu des contraintes du capitalisme libéral. Il s’agit d’une réflexion critique sur les responsabilités économiques et politiques, face à la misère humaine et au saccage de la planète.
Les grandes entreprises sont directement mises en cause par la société civile mondiale. L’une après l’autre, elles seront toutes confrontées aux pressions de l’opinion publique, bientôt suivies des injonctions gouvernementales. Elles doivent rapidement modifier leurs pratiques si elles ne veulent pas se trouver, un jour ou l’autre, désignées à la vindicte publique.
La société américaine a pris conscience que la responsabilité des entreprises allait bien au-delà du seul « bottom Line » des résultats financiers. Au Royaume-Uni, les entreprises Royal Dutch/Shell (violation des droits de l’homme au Nigeria), British Petroleum (forages dans l’Arctique, énergies renouvelables, Petrochina), Rio Tinto (gouvernement d’entreprise, respect des droits de l’homme) ont été confrontées à des résolutions signalant leur absence d’éthique. Toutes trois ont modifié leurs politiques sous la pression des « stakeholders ». Dans la période de crise économique qui pointe à l’horizon, l’on peut penser que les entreprises françaises seront sévèrement confrontées à leurs responsabilités sociales.
La logique des « investissements éthiques » (« Socially Responsible Investments ») se développe. Elle lie la performance financière à la plus-value sociale et environnementale. Les paramètres de « développement durable » viennent compléter les critères financiers classiques (Dow Jones Sustainability Indexes). L’idée est qu’à long terme, la rentabilité globale d’une entreprise dépend de son environnement social et naturel. Aux Etats-Unis, 10 % des sommes investies sont aujourd’hui placées dans les fonds « SRI ». En France, les grandes banques proposent de tels investissements (OPCVM « éthiques » ou « de partage »). L’on assiste indubitablement à l'arrivée d’une catégorie d’investisseurs qui cherchent à affirmer leur « citoyenneté mondiale », en donnant du sens à leurs placements.
« L’activisme d’actionnariat » constitue une pression croissante sur le gouvernement d’entreprise en vue d’une stratégie de développement durable. Initié par Greenpeace, ce biais consiste à acquérir la part minimale de capital qui permet, notamment, de déposer une résolution en assemblée générale, dans le but de dénoncer certaines pratiques et d’infléchir les orientations stratégiques. Aujourd’hui, plusieurs ONG abandonnent les actions radicales pour se rapprocher des entreprises et s’engager dans des relations de partenariat à long terme (FIDH/Carrefour, Friend of the Earth/ LVMH-GDF-Ciments Calcia, WWF/Lafarge). Peu à peu, il appert que l’entreprise doit se conformer aux exigences fondamentales de l’opinion publique mondiale, sauf à courir le risque d’une grave désaffection préjudiciable à son développement.
Développements précédents :
L’éthique a un sens que les affaires ne peuvent corrompre
La problématique de la mondialisation
Développements suivants :
La gouvernance et les parties prenantes
Le management éthique redécouvre l’homme comme la véritable valeur
L’éthique est un questionnement permanent de la conscience
Yves Maris