Pour la troisième année consécutive, les éditions Christian Bourgois publient les communications des Assises du roman, qui se sont tenues à la Villa Gillet du 24 au 31 mai 2009. 42 textes inédits et trois grands entretiens, qui paraissent directement en poche, réunis par un thème commun : « Le roman : hors frontières ».

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La Note de l’éditeur qui ouvre le volume l’énonce très clairement : il s’agit d’« être témoin de la littérature de notre époque quand elle s’écrit, quand elle est éditée ». Entreprise passionnée et passionnante pour les auteurs présents – qui pensent le genre – comme pour les lecteurs qui retrouvent des univers romanesques, des territoires, en abordent d’autres. Le principe du volume est celui de la variété – en témoigne le pluriel du mot « frontières » – dans l’unité (le roman). Un principe de polyphonie.
Le texte de Siri Hustvedt pourrait servir d’introduction à ces Assises. Elle y définit le roman comme un « caméléon » qui « peut tout inclure ou laisser presque tout au-dehors », qui ne se soumet à aucune règle, genre « hybride » et polyphonique propre à accueillir et ingérer tous les discours. Ainsi ce volume qui accueille des voix mêlées, parfois antagonistes, qui donnent l’une après l’autre leur définition subjective du genre. Certaines entrent en écho, comme ces mantras du « jeu », de la « mémoire », du rapport fécond du réel et de l’imaginaire. Les univers se rencontrent, se répondent, en un volume proprement baudelairien en ce qu’il est synesthésie et invitation au voyage.
L’originalité de cette entreprise est d’être un laboratoire, de ne jamais figer le sens en une théorie creuse ou artificielle. Mais aussi de proposer un panorama de la littérature en cours, quels que soient le territoire ou la langue d’origine. « Hors frontières », à proprement parler.
Treize thèmes organisent cette pensée en mouvement : de l’écriture de la violence aux épreuves de la retraduction, de questions psychanalytiques au conte, de l’enquête à l’ailleurs, en un parcours jalonné de trois très longs et passionnants entretiens, avec Alain Badiou, Alfred Brendel et Adam Philips.
Chaque lecteur choisira son parcours : intégral, thématique, ou choisi au gré de ses lectures et découvertes de l’année. Avouons avoir lu d’abord les « observateurs du monde réel » d’Arnon Grunberg – parce que Tirza –, « 12845 cabines téléphoniques » de Véronique Ovaldé – pour Ce que je sais de Vera Candida –, Will Self confiant être « l’enfant spirituel de Céline » - pour No Smoking – Julia Leigh – parce qu’Ailleurs fut un choc. Avoir poursuivi avec Aharon Appelfeld, avoir lu et relu son texte, être restée plusieurs minutes en suspens, face à cette communication qui pense l’histoire avec un humanisme essentiel. Qui explique que la mémoire est, comme le langage, un pharmakon, un poison comme un remède. Bien sûr la mémoire est une « boîte merveilleuse » :
« La mémoire vient nous dire que ce qui a été n’est pas perdu mais demeure en nous. On peut se le représenter et s’y relier. Pour l’homme pieux, qui croit en une vie après la mort, la mémoire ne fait que renforcer la foi, mais pour l’homme né dans la non-croyance, la mémoire est peut-être l’unique moyen de ressentir que l’existence est autre chose qu’un présent morcelé. Nous portons en nous des mondes qui nourrissent notre vie de façon visible et invisible. »
Trace de nos morts en nous, mais aussi des moments heureux avec eux, la mémoire est ce qui peut sauver du « chaos mental ». Et ce fut le cas pour Aharon Appelfeld qui perdit ses parents dans les camps, parvint à s’échapper, fut recueilli, se réfugiant dans ses souvenirs pour survivre. Puis la mémoire fut une compagne fâcheuse pour lui, comme pour tous ceux qui survécurent à la Shoah, assaillis par des images de mort, de torture, d’atrocités.
En diptyque, lire l’appel de Colum McCann, héritier de Zola, à « vivre tout haut », à rendre au roman sa force politique, à refuser la crise de désengagement de notre début de XXIème siècle :
« L’écriture doit être à l’écoute des blessures apparentes dans le présent telles qu’elles se manifestaient hier, et ainsi donner sens à ce qui est à venir. Il y a de longs fils au sein de la toile. Les grands écrivains, en ce sens, vivent à deux, trois époques : leur temps immédiat, le passé et le temps qu’ils ne peuvent pas encore appréhender ».

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Le roman est mémoire et aventure, intime et universel, « hors frontières » parce qu’il les contient toutes. Il les pense, les met en perspective, les déplace. Ces « longs fils au sein de la toile », les Assises du roman 2009 les entrelacent. Tout texte est tissu, ce volume le prouve une fois encore. Le roman, dans sa puissance à dire le réel comme à le subvertir, est le genre de la liberté et du jeu. De l’à venir, comme le note Stéphane Audeguy :
« J’ai commencé tard à faire des livres. Je n’ai même pas écrit une ligne au XXème siècle, et je m’en félicite, même si toutes les époques sont dégueulasses. Le siècle actuel possède un seul avantage sur les précédents : il n’est pas terminé. J’espère qu’il a un avenir. Ou plutôt plusieurs ».
Pour l’avenir du roman, vivement 2010.
Le Roman : hors frontières, Assises du roman 2009, Le Monde / Villa Gillet, Christian Bourgois, « Titres », 510 p., 10 €.
Textes de : Aharon Appelfeld, Stéphane Audeguy, Rick Bass, Neil Bissoondath, Alfred Brendel, Anne Brunswic, John Burnside, A.S. Byatt, Julia Escobar, Fabrizio Gatti, Ghamal Ghitany, Sergio Gonzalez Rodriguez, Arnon Grunberg, Bernard Hoepffner, Yu Hua, Nancy Huston, Siri Hutsvedt, Lidia Jorge, Leslie Kaplan, Hanif Kureishi, Julia Leigh, Toby Litt, Elena Lozinsky, Jean-Paul Manganaro, Colum Mc Cann, Rick Moody, Marie NDiaye, Stewart O'Nan, Véronique Ovaldé, Sergi Pàmies, Adam Phillips, Pascal Quignard, Jorn Riel, Manuel Rivas, Michel Schneider, Will Self, Sjón, Saša Stanišic, Adam Thirwell, Antonio Ungar, Philippe Vasset, Abdourahman A. Waberi, Julie Wolkenstein, Juli Zeh.

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Sans oublier, sorti en mai le Lexique Nomade de ces Assises 2009 : Lexique nomade, Assises du roman 2009, Le Monde / Villa Gillet, préface de Raphaëlle Rérolle, Christian Bourgois, « Titres », 107 p., 7 €

Les quatrièmes Assises du roman se tiendront à Lyon, Villa Gillet, du 24 au 30 mai 2010. Sont attendus Richard Powers, Marie Darrieussecq, Sara Stridsberg, Emmanuel Carrère, Erri De Luca, Laurent Mauvignier, James Frey, entre autres. Le programme prévoit des débats sur la folie, l’autocensure, le journal, le corps ou la première personne.