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Billet de blog 14 octobre 2009

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Misanthrope sociable. Diacritik.com

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Enrico Marini : «je veux que l’on sente les coups de pinceau, la matière, le papier»

Enrico Marini est italien, né à Liestal en Suisse, pays où il vit actuellement, et il était de passage à Paris à l’occasion de la sortie du deuxième tome de la série dont il est à la fois le scénariste et le dessinateur : Les Aigles de Rome. Dessinateur talentueux, il réalise Le Scorpion avec Stephen Desberg , Rapaces avec Jean Dufaux, Gipsy avec Thierry Smolderen. Les Aigles de Rome est sa première série en solo, rencontre avec l’auteur dans un restaurant parisien… 

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Misanthrope sociable. Diacritik.com

Journaliste à Mediapart

Enrico Marini est italien, né à Liestal en Suisse, pays où il vit actuellement, et il était de passage à Paris à l’occasion de la sortie du deuxième tome de la série dont il est à la fois le scénariste et le dessinateur : Les Aigles de Rome. Dessinateur talentueux, il réalise Le Scorpion avec Stephen Desberg , Rapaces avec Jean Dufaux, Gipsy avec Thierry Smolderen. Les Aigles de Rome est sa première série en solo, rencontre avec l’auteur dans un restaurant parisien…

Ma première question est une question découverte. Comment es-tu venu à la bande dessinée ?

Je suis venu à la bande dessinée parce que j’aimais tout d’abord en lire, regarder des dessins animés aussi. J’aimais ces media, je lisais Astérix, des comics avec des super héros, les fumetti en Italie. Et comme dans mon coin, en Suisse alémanique, il n’y avait pas réellement d’accès possible à la bd francophone, en tout cas quand j’étais petit, ce n’était pas simple. Mais quand j’ai eu 13-14 ans, un magasin de bandes dessinées s’est ouvert, avec des auteurs comme Hermann, Schuiten, Ceppi, Hugo Pratt… des auteurs auxquels je n’avais jamais eu accès. C’est comme ça que je les ai découverts et que j’ai pris conscience d’un univers très vaste qui se réduisait jusqu’alors pour moi à quelques comics, à Astérix et Tintin. Par ailleurs je dessinais beaucoup et me suis dit qu’il y avait moyen de gagner sa vie avec le dessin. J’en ai proposé à des maisons d’édition, notamment au Lombard. J’étais tellement gonflé que je voulais reprendre Comanche à l’époque parce que j’avais entendu dire qu’Hermann abandonnait la série. J’ai croisé Hermann à une dédicace à Bâle, je lui ai montré mes dessins. Mais ça n’a pas marché.

Illustration 1
Le Scorpion © Marini

Quel a été le déclencheur ?

C’est la rencontre avec un éditeur des Humanoïdes Associés, qui, après avoir vu mes planches, m’a demandé de réaliser un projet. C’était les Dossiers d’Olivier Varèse. C’est comme ça que tout a commencé. J’étais pas mal influencé par le manga à l’époque, mais aussi la bande dessinée italienne, espagnol et les aventures d’Olivier Varèse sont influencées par ce mélange de styles qui me formaient, m’inspiraient, à l’époque. Puis, il y a eu Gipsy et Le Scorpion. Les Aigles de Rome aujourd'hui.

Tes dessins sont très différents d’une série à une autre. C’est une volonté de ta part ? Le reflet d’une évolution ?

Plutôt une évolution… aujourd’hui j’ai trouvé une technique qui me convient. Rien n’est évidemment jamais acquis mais j’essaie, dans Les Aigles de Rome, d’aller jusqu’au bout de ce style. J’essaie de faire de même dans Le Scorpion, même si, d’album en album, il y a des changements. Mais je travaille, toujours, à la couleur directe. Je commence par faire la planche au crayon, je l’encre et passe la couleur par-dessus. Ensuite je la scanne, cela me permet d’enlever quelques taches, de faire des retouches d’ordinateur, mais je n’en abuse pas, je veux garder cette technique de couleur directe, que l’on sente les coups de pinceau, la matière, le papier.

Illustration 2

Il y a un très grand jeu sur les couleurs, dans chaque planche, case par case, une manière de souligner des éléments par ce biais dans Les Aigles de Rome. C’est un travail spécifique pour ces albums ou cela caractérise, selon toi, l’ensemble de ton travail ?

Oh, c’est tout mon travail, L’Etoile du désert, même Gipsy ou Le Scorpion. La couleur sert à créer une ambiance, souvent d’une scène à l’autre je change de couleur, en respectant une harmonie sur la planche, qui facilite la lecture. Cela permet aussi de dramatiser certaines scènes. Je garde une lisibilité. Certains coloristes utilisent maladroitement la couleur. Tout est si coloré qu’on ne reconnaît même plus le dessin ! Il faut au contraire simplifier, harmoniser. La case est un support.

Comment est venue l’idée de cette série en solo ?

Bizarrement, ce sont mes scénaristes qui m’ont poussé à le faire… Je m’entends très bien avec mes scénaristes. Mais quand tu travailles avec quelqu’un tu dois accepter ses choix, parfois tu t’adaptes, tu fais des compromis. Et là je voulais être libre et assumer mes erreurs ! Et puis je voulais parler de Rome, traiter ce thème de l’amitié, que jusque là mes scénaristes ne m’avaient jamais proposé, si dans Le Scorpion ni dans Rapaces alors que cela me fascine, les conflits d’amis d’enfance. Et cette toile de fond, la guerre. Pas loin de chez moi, il y a un site archéologique, qui date d’Auguste, Augusta Raurica, d’abord campement militaire devenu une petite ville. Il y a un musée, des animations, chaque année, tout le monde se déguise, des gladiateurs se battent, il y a des courses de chars, c’est très connu maintenant. Et c’est passionnant. Je suis en contact avec un historien qui fait des reconstitutions historiques, qui me conseille, j’aurai d’ailleurs encore plus besoin de lui pour la suite. L’histoire de ces deux personnages, j’y pensais depuis un moment déjà et j’ai découvert ce Barbare, Arminius, citoyen romain, officier, qui s’est rebellé, a mené les Romains dans ce guet-apens où ils ont été massacrés. Cela m’a rappelé le Vietnam, il y avait pas mal de connexions… Le conflit, le métissage, l’amitié, l’amour, tout cela était dramatique, cela permettait de créer une histoire complexe, une aventure pour ces personnages. Même si le personnage est attesté, connu, il y a des sources, il y a des trous et je pouvais en donner une version crédible et réaliste, évoquer ces événements qui ont peut-être changé le cours de l’Histoire de l’Europe. Les Romains n’ont pas pu s’installer en Germanie comme ils l’ont fait en Gaule, le Rhin est devenu une frontière naturelle. Sans cela, l’Europe ne serait probablement pas la même.

Illustration 3

Le tome 2 a-t-il été plus difficile à réaliser que le tome précédent ?

Oui parce que la ville de Rome est beaucoup plus présente. Il fallait travailler sur l’architecture, les quartiers, les intérieurs, les extérieurs, les fresques. C’était un immense plaisir, cela me manquait sur le premier. Donc je me suis attardé, avant de partir vers la Germanie, les forêts, le monde militaire… Profiter de la ville !

Je dis souvent que cet album est un miracle, mes enfants m’empêchaient de me concentrer et finalement il est là… Parfois j’essaie d’être dur et je chasse ma fille de l’atelier mais elle revient. Alors je lui dis que je travaille. Mais elle me voit dessiner, comment lui faire comprendre que je travaille ? Alors elle s’assoit à côté de moi, dessine et me dit qu’elle aussi travaille ! (rires) Et quand je pense que beaucoup d’auteurs ont des chats, je ne sais pas comment ils font… le chat qui se couche sur les planches ! (rires).

Tu en es à ta quatrième exposition, quel type de travaux présenteras-tu ?

Illustration 4
Un certain Regard © Marini

Les originaux des Aigles de Rome, des couvertures, des illustrations couleur, des crayonnés, des étapes de travail et il y a aussi une section avec Le Scorpion, Rapaces, d’autres travaux que j’ai fait, comme l’affiche du Festival de Cannes, pour Un Certain Regard.


C’est une expo-ventes, même si je ne vends pas tout. Je me limite, je ne veux pas trop vendre. Je suis obligé de me séparer de mes planches, c’est le jeu, et je l’accepte davantage. Même si j’ai eu du mal à m’en détacher, j’y tiens, ça m’appartient (rires). Surtout ces planches de Rome, c’est si personnel.

Dans le tome 2, les traits sont plus appuyés dans le premier, c’est érotique, voire explicite…

Rien n’est gratuit, ce n’est pas du sexe gratuit. C’est une évolution, positive, je l’espère. Les personnages ont grandi. Et puis on est à Rome, cela m’a inspiré, je ne voulais pas que la violence, mais la décadence, le romantisme. Je voulais des moments plus crus.

Illustration 5

Les scènes de sexe servent à caractériser les personnages, elles sont donc nécessaires. Quand le personnage rentre de la guerre, il ne va pas chez sa femme mais chez sa maîtresse. On comprend qu’il n’aime pas sa femme, que le mariage était arrangé, qu’il n’est pas heureux. Cela rend le personnage plus complexe, plus romantique.

J’ai beaucoup pensé à Rome, la série…

Oui, j’aime cette série de HBO, extraordinaire. Les personnages sont incroyables, cruels, imprévisibles, atroces parfois, bêtes, même, très humains en somme. Et l’histoire est présentée d’une manière inédite. C’est extrêmement documenté. Rome était comme Rome. On n’est pas loin de la Rome authentique. Contrairement au film Gladiator, même si c’est un beau film d’action, d’aventure, d’héroïsme. Ce dont je voulais m’éloigner, de cet aspect héroïque. Cela ne me semble pas crédible aujourd’hui, cette morale très chrétienne. Ce n’est pas l’époque. On est dans la décadence, le sexe.

Marcus Valerius ressemble un peu à Joachim Phoenix toutefois…

Illustration 6

Oui, dans plusieurs images, je sais, mais ce n’est pas volontaire. La bataille du début dans Gladiator m’a donné envie, j’aimais l’ambiance. Même si cela n’a aucun sens dans Les Aigles de Rome, on ne se battait pas comme ça.

Et les tomes suivants ?

J’ai prévu 4 albums, mais il y en aura sans doute 5. J’aimerais en fait consacrer plus de place à certains événements, les dramatiser, m’amuser. Et c’est un tel plaisir…

DB

Prolonger : La chronique consacrée au Livre II des Aigles de Rome sur Mediapart.

Illustration 7

Les Aigles de Rome, deux tomes parus, dessins et scénario d’Enrico Marini, Dargaud, 13 € 50.

Du 9 au 31 octobre, Enrico Marini expose ses originaux, crayonnés, planches, ex libris, portraits de la série Les Aigles de Rome à la Galerie 9ème art à Paris.

Propos recueillis par Dominique Bry, octobre 2009.

Crédits images © Marini / Galerie du 9ème Art / Dargaud