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Billet de blog 15 septembre 2010

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La BD fait sa rentrée (4/5): Made in USA et autres légendes

Quatrième volet de la rentrée BD. Au menu du jour : one-shots, adaptations, contes et légendes et inventivité. 

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Quatrième volet de la rentrée BD. Au menu du jour : one-shots, adaptations, contes et légendes et inventivité.

Deux romans noirs à déguster sans modération chez Rivages / Casterman / Noir. Dans cette collection dédiée à l’adaptation de textes d’auteurs de polars, ce sont Elmore Léonard et Hugues Pagan qui font leur entrée au catalogue.

Illustration 1
© Berlion-Leonard / Rivages - Casterman - Noir

Elmore Leonard est l'auteur de plus de quarante romans et nouvelles et il a été maintes fois adapté au cinéma. Le Kid de L'Oklahoma (Rivages/Thriller – 2008, The Hot Kid en VO) est la première adaptation en BD d'un roman de l’auteur de Get Shorty, Be Cool, Rum Punch - ce dernier étant plus connu sous le titre Jackie Brown.


Entre les années 20 et 30, une traque s'engage. Carl Webster est Marshall des Etats-Unis. Sur sa route, il a déjà croisé par deux fois Emmet Long, criminel endurci sans foi ni loi, et c’est Jack Belmont, ennemi public Numéro 1 à l’âme torturée qui se dresse maintenant devant lui. Le Kid est magnifiquement adapté et dessiné par Olivier Berlion, avec une lumière écrasée, des personnages réalistes, des « gueules cinégéniques », un cadrage et un découpage de l’histoire savamment travaillé. Et une ambiance de polar qui ne se dément pas au fil des pages.


Le Kid de l’Oklahoma, d'Olivier Berlion, adapté du roman d’Elmore Leonard, collection Rivages / Casteman / Noir, 18 €

Illustration 2
© Mako- Daeninckx - Pagan / Rivages - Casterman - Noir

Hugues Pagan est un ancien flic, auteur d’une dizaine de romans à la noirceur extrême. Dernière station avant l’autoroute ne fait pas exception. Le personnage principal, un flic usé et désabusé, se noie dans son quotidien fait de flics pourris, de supérieurs carriéristes et de collègues qui le verraient bien mis au rebut. Il n’a pas de prénom, il n’a plus aucun but. Une ultime enquête fera le reste… Didier Daeninckx est également romancier, scénariste de bandes dessinée et également auteur de polars. Avec Dernière station avant l’autoroute, il signe sa deuxième adaptation en BD chez Casterman après Le Der des Ders avec Tardi (Casterman). Associé à Mako, avec qui il a déjà réalisé plusieurs albums, il compose une petite musique de nuit noire, dérangeante, glauque à souhait. L’atmosphère pesante, les démons, les faux-semblants, tout les ingrédients sont réunis pour un voyage sans retour, une descente jusqu’à l’enfer personnel du « héros » de cette histoire.


Dernière station avant l’autoroute, de Mako, Daeninckx et Hugues Pagan, collection Rivages / Casteman / Noir, 17 €

Illustration 3
© Kelly - Wood / Delcourt

Megan a quitté Portland depuis un an. Elle traverse les Etats-Unis en quête d’un foyer, en quête d’elle-même. Elle traversera toute l’Amérique du Nord, de l’Oregon à Chicago en passant par Austin, Brooklyn ou encore Halifax en Nouvelle-Écosse… Tel est le pitch de Local.


Local s’ouvre sur une scène hypnotique comme l’est le regard de Megan. Dans une scène d’exposition jouée et rejouée de manière subjective. Selon les choix possibles, les chemins potentiels, selon les issues évidentes. Megan cherche sa voie. « Road trip existentiel », Local est une histoire magnifique et sombre qui prend sa source en Megan, héroïne perdue, personnage récurrent tantôt omniprésent, tantôt spectateur, dont on suit l’évolution, ville après ville, au cours d'un périple initiatique.


Local, de Ryan Kelly et Brian Wood (traduction d’Anne Capuron), collection Contrebande, Delcourt, 27 € 50

Toujours de l’autre côté de l’Atlantique, difficile de ne pas mentionner Harvey Pekar, dont le tome 2 d’American Splendor va paraître en octobre, peu après Working, une adaptation graphique par Paul Buhle et Pekar aux éditions Ça et là, alors que le scénariste est décédé au cours de l’été dernier.


Working est l’adaptation des textes de Louis « Studs » Terkel, journaliste de radio et auteur de nombreux ouvrages d’histoires orales sur l’histoire des États-Unis au XXe siècle. Grande figure de la gauche radicale américaine, il a reçu le Prix Pulitzer en 1984, sous la direction de Paul Bulhe, Harvey Pekar a écrit la majorité des histoires présentes dans Working.

Illustration 4


Sans oublier Harv & Bob de Robert Crumb et Harvey Pekar, qui vient de paraître en France aux éditions Cornélius, à découvrir dans l’article de Vincent Truffy : Pekar-Crumb, une épopée des petites vies.
American Splendor, de Harvey Pekar (dessins de Gary Dumm, Frank Stack, Val Mayerik, Gerry Shamray et Greg Budgett... ), Traduction de Jean-Paul Jennequin, Ça et là, 20 €.
Working, une adaptation graphique de Paul Buhle et Harvey Pekar (dessins de Peter Kuper, Gary Dumm, Sabrina Jones, Sahron Rudahl... ), Traduction de Aurélien Blanchard, lettrage de Hélène Duhamel, Ça et là, 22 €
Harv & Bob, de Harvey Pekar et Robert Crumb, Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Mercier et Jean-Paul Jennequin, Collection Solange, éditions Cornélius, 128 pages, 21 euros

Illustration 5
© Mizuki / Cornélius

Shigeru Mizuki est l'un des grands maîtres de la bande dessinée au Japon, précurseur du manga d’horreur et avec Mon copain le Kappa, il renoue avec la grande tradition du conte populaire et philosophique, naviguant entre le fantastique et le réel. Son personnage, le jeune Sampei Kawara ressemble étrangement à un kappa, petit personnage issu de la mythologie japonaise. Le kappa est un diablotin anthropomorphe vivant dans les rivières et les étangs, et dont la légende dit qu'il attirait les jeunes filles au fond de l'eau afin de leur prendre leur vertu. Un beau jour, deux kappas entrainent Sampei Kawara dans de folles aventures. Humour, burlesque et slapstick sont les ressorts de cet album tendresse, gravité et critique du Japon moderne affleurent sous l’ironie permanente.

Mon copain le kappa de Shigeru Mizuki, éditions Cornélius, 22 €

Illustration 6
© Nine Antico / Glénat

Nine Antico semble aimer les titres chantants. Après Coney Island Baby (L'Association 2010), elle impose son style, sa marque, avec ses cases arrondies, son dessin subtil et épuré, dans Girls don’t cry, troisième album de cette jeune dessinatrice et scénariste française née en 1981. Girls don’t cry est une suite de courtes histoires, qui parle de pérégrinations amoureuses, de questions existentielles, d’après-midi entre filles, de notes donnée aux garçons (pour mieux s’en souvenir), de voyages à New York, de rentrée scolaires. Le propos est tout sauf futile et Nine Antico pratique l’ellipse dans la succession des saynètes, tel un zapping permanent sur les questions que se posent les filles, dans l’instant, où se mêlent tendresse, mélancolie et lucidité cruelle.

Girls don’t cry, Nine Antico, Collection 1000 Feuilles - Les couvertures, Glénat, 13 €.

Illustration 7
© Lucie Durbiano / Gallimard

Pour son quatrième album chez Gallimard, après Laurence, Orage et Désespoir et Trésor, Lucie Durbiano nous offre une réinterprétation de Daphnis et Chloé, nous plongeant dans le conte mythologique où les faunes croisent les nymphes, les dieux, les mortels, dans un virevoltant chassé-croisé amoureux. Lucie Durbiano aime le vaudeville et ses ressorts. Elle dépeint émois et sentiments avec naturel et nous entraine dans un marivaudage décalé, vers des jeux de l’amour et du hasard faussement innocents. Rafraîchissant comme Lo.

LO, Lucie Durbiano, collection Bayou (Gallimard), 16 €.

Illustration 8
© Trondheim - Bonhomme / Dupuis

Dans Omni Visibilis, Lewis Trondheim et Mathieu Bonhomme revisitent le roman graphique à l’américaine et composent une fable déjantée, drôle et sombre et où l’absurde le dispute à la profondeur. C’est un véritable exercice de style, d’une part pour le dessinateur primé à Angoulême en 2010 avec Messire Guillaume – L’esprit perdu (Dupuis), et challengé ("contraint" ?) par le scénariste de réaliser ce conte moderne en bichromie froide avec un graphisme et un trait épuré qui n’est pas sans rappeler certains comics made in USA, tels les Archie Comics de Bob Montana. Pour ce qui est de l’écriture d'autre part, Lewis Trondheim semble avoir pris un malin plaisir à inventer cette histoire socio-fantastique, laissant libre court à son inspiration, puisant cette fois-ci dans le quotidien et les obsessions de ses contemporains.

Trondheim montre une fois de l’étendue de son talent pour capter les sentiments humains les plus divers. Au dessin, Mathieu Bonhomme insuffle un mouvement, une gravité dans la sobriété qui servent admirablement le récit. Point de départ de cette histoire : un personnage, Hervé, trentenaire célibataire peu sûr de lui et un modeste employé de bureau, se réveille un matin avec une faculté peu ordinaire : son entourage entend ce qu’il pense. Hervé devient alors un émetteur-récepteur pour la planète entière. Et six milliards d’être humains voient et entendent à travers lui.

Métaphore du world wide web, de l’accès gratuit en temps réel à n’importe quelle source d’information, critique de la starification facile et à outrance, tableau ironique de la mondialisation et de la médiatisation à marche forcée, Omni Visibilis parle de notre époque et de ses travers et du monde moderne où chacun voudrait être quelqu’un aux yeux de tous et le faire savoir, tandis que d’autres n’aspirent (tel le personnage principal) qu’à être eux-mêmes. Omni Visibilis, un roman graphique made in France. Immanquable.

Omni Visibilis, Trondheim et Bonhomme, Dupuis, 19 €.

– D. B.

Articles précédents :

La BD fait sa rentrée (1/5)

La BD fait sa rentrée (2/5) : des événements et des séries

La BD fait sa rentrée (3/5) : renouveau et nouveautés