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A UNE PASSANTE
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !Charles Baudelaire
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SENSATION
Par les soirs bleu d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds,
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, - heureux comme avec une femme.
mars 1870
Arthur RIMBAUD
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MER
La mer est
Le Lucifer de l'azur,
Le ciel tombé
Pour avoir voulu être lumière.
Pauvre mer condamnée
À l'éternel mouvement,
Après avoir connu
La paix du firmament !
Mais de ton amertume
Te délivra l'amour.
Tu fis naître Vénus,
Gardant tes profondeurs
Vierges et sans douleur.
Tes tristesses sont belles,
Mer aux glorieux spasmes.
Mais en place d'étoiles
Tu as des poulpes verts.
Supporte ton tourment,
Formidable Satan.
Christ marcha sur tes flots
Mais Pan le fit aussi.
L'étoile Venus est
L'harmonie du monde.
Silence, l'Ecclésiaste !
Vénus est le profond De l'âme...
...Et l'homme misérable
Est un ange déchu.
Et la terre, sans doute,
Le Paradis perdu.
FEDERICO GARCIA LORCA
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UN EN DEUX
Moi,
C'est toi;
Nous, c'est toi-moi;
NOUS DEUX c'est UNE fois;
Cœurs-de-nous, c'est, Dieu-Ciel en soi;
Si un jour, SEULE et SEUL... Enfer d'effroi !!!
Jamais ! Elle est ma reine, et Moi je suis son roi.
XAVIER FORNERET
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INSTANCE
Je frapperai à cette porte,
Malgré la nuit, malgré le vent,
Jusqu'à ce que la mort m'emporte,
Ou que l'on réponde en m'ouvrant.
Écoute, écoute ma prière,
Car je ne m'en irai jamais !
Fais-la surgir de sa poussière,
Rends-la-moi, celle que j'aimais !
Ouvre-lui sa maison natale,
Même pécheresse, absous-la;
Sur la Russie coupable étale,
Étalez ton manteau d'éclat...
De la revoir vivante et belle
Permets à l'esclave obstiné,
Sinon la porte paternelle
Je ne pourrais abandonner.
Je frappe. Un cœur renaît des cendres,
La porte tremble sur ses gonds,
Oh ! ne tarde plus à m'entendre,
Je crie vers toi, réponds, réponds !
ZÉNAIDE GHIPPIUS
Agrandissement : Illustration 6
LENINGRAD
Me voici de retour dans la ville connue
Jusqu'aux larmes, jusqu'aux amygdales d'enfants...
C'est toi - vite alors, bois cette huile de morue
Des lanternes du quai, dans l'eau se déversant !
Vite, il faut t'adapter à ce jour de décembre
De sinistre goudron mêlé de jaune d'ambre !
Pétersbourg je veux vivre, ou bien serait-ce trop?
Tu sais du téléphone encor mes numéros.
Pétersbourg, les voici, les adresses perdues,
Où je peux retrouver des voix qui se sont tues.
Logé sur l'escalier de service, en ma tête,
Arrachée de son mur, résonne la sonnette.
Toute la nuit j'attends, j'attends des hôtes chers,
Sur la porte agitant les menottes de fer.
JOSEPH MANDELSTAM
Agrandissement : Illustration 7
L' ATTENTE
Les branches sur notre croisée
Frappent à coups multipliés ;
D'une rapide chevauchée
J'entends le rythme régulier.
L'hôte se fraiera-t-il passage ?
L'ombre sur le chemin s'étend,
Comme un grand fauve qui l'attend,
Dans la forêt triste et sauvage.
Qui donc est-ce ? Un vieux pèlerin,
Spectre d'une mort effrayante ?
Ou bien, vengeur, un séraphin
Aux larges ailes flamboyantes ?
Les saules chantent dans le vent,
La tempête devient plus forte,
Lève-toi, mon âme, à présent !
Le cavalier est à la porte.
NICOLAS KLUEV
Agrandissement : Illustration 8
L' OISEAU
En pays étranger,
Fidèle au vieil usage,
J'ouvre aujourd'hui la cage
A cet oiseau léger.
Et je me sens renaître,
Heureux, réconforté,
De mettre en liberté
Ne fût-ce qu'un seul être !
ALEXANDRE POUCHKINE
Agrandissement : Illustration 9
TAM TAM DE NUIT
train d'okapis facile aux pleurs la rivière aux doigts charnus
fouille dans le cheveu des pierres mille lunes miroirs tournants
mille morsures de diamants mille langues sans oraison
fièvre entrelacs d'archet caché à la remorque des mains de pierre
chatouillant l'ombre des songes plongés aux simulacres de la mer
AIMÉ CÉSAIRE
Agrandissement : Illustration 10
LE CYGNE
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui!
Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.
Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.
Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.
STEPHANE MALLARMÉ
Agrandissement : Illustration 11
Poupées de la famille Royale
la figurine de l'empereur
" qu'il règne longtemps ! "
MATSUO BASHÖ
Agrandissement : Illustration 12
" Il y a même pas un moment de calme
Au coeur qui aime la fleurs,
le vent souffle déjà ".
IZUMI SHIKIBU
Agrandissement : Illustration 13
LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE PLUS GROSSE QUE LE BŒUF
Une grenouille vit un Bœuf.
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : " Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore?
Nenni. -
M'y voici donc ? - Point du tout.
M'y voilà ? - Vous n'en approchez point. "
La chétive pécore S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands
seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
JEAN DE LA FONTAINE
Agrandissement : Illustration 14
Puisqu'un jour a passé
Sans rêve sans histoire
Puisque tout est changé
Et que je n'ose y croire
Puisque le souvenir
S'est perdu pour un temps,
Pour ce seul avenir
Que je croyais pourtant.
Échappé de ma vie,
Toi ma si douce chose
Enfin tu m'as souri,
Et cet instant repose
Plein d'espoir et d'envie,
En mon cœur comme rose.
1967
YVAN DELCRUZEL
Portfolio 20 juillet 2020
Photographie entre les lignes
L'image d'une littérature
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