alain roumestand (avatar)

alain roumestand

Journaliste webpress,radio

Abonné·e de Mediapart

24 Billets

0 Édition

Portfolio 25 mars 2022

alain roumestand (avatar)

alain roumestand

Journaliste webpress,radio

Abonné·e de Mediapart

Grégory Herpe au Karabakh

Grégory Herpe a réalisé au Karabakh un reportage photographique. Il nous livre ses impressions.

alain roumestand (avatar)

alain roumestand

Journaliste webpress,radio

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Illustration 1

    Grégory Herpe s'est rendu au Karabakh alors qu'il y avait eu guerres meurtrières et destructrices entre 2 pays, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, annexion de 20% du territoire azerbaïdjanais par l'Arménie pendant 30 ans, reprise de ce territoire par l'Azerbaïdjan. Mais plaies ouvertes, destructions et ruines, reconstruction nécessaire après cessez-le-feu précaire contrôlé par les troupes russes sur le territoire azerbaïdjanais alors que des bases russes sont en Arménie depuis des décennies.

    Grégory Herpe était déjà venu au Karabakh pour un premier reportage photo en juillet 2021. Son deuxième séjour s'effectue au sein d'un pool de journalistes venant de différents pays, de différents médias : CNN Turquie, Algérie, Malaisie, etc., et aussi 2 journalistes ukrainiens qui, pour rentrer chez eux, ont mis 33 heures par la route en traversant 4 pays, sans s'arrêter, quasiment d'une traite. Ils ne sont pas retournés à Kiev. Une journaliste est rentrée chez ses parents à côté d'Odessa avec l'attente insoutenable de l'attaque de la ville par les troupes russes.

    Le but du voyage était de voir la situation du Karabakh après la fin de la 2ème guerre de 2020. « Quelle progression ! Ils mettent les moyens ! Ils carburent ! », nous dit Grégory Herpe, soulignant « l'intention d'afficher une image du pays réellement tourné vers l'avenir, vers les technologies nouvelles, notamment en matière d'écologie et d'énergie. Toujours ce souci de montrer une image, une autre réalité du pays que celle qui circule généralement à l'Ouest. La jeune directrice du service de presse du ministère des Affaires étrangères Leyla Abdullayeva, première interlocutrice a d'ailleurs répondu à toutes les questions des journalistes même les plus dérangeantes, sur l'état des lieux après la guerre dans les « territoires libérés » (appellation importante qui revient souvent dans la conversation)."

    Dans le Karabakh, nous dit Grégory Herpe, « la première impression porte sur les routes toutes goudronnées maintenant, alors que, lors du premier voyage on avait encore des pistes. Tout a été nettoyé. Quand je suis rentré dans le Karabakh pour la première fois, on voyait beaucoup d'obus, de mines anti-personnel qui étaient ostensiblement laissées là pour montrer aux journalistes ce qu'il en était de la guerre passée, les tanks aussi. Cette fois-ci, moins de check points que la dernière fois avec des petites guérites et 3 ou 4 gars armés qui sortent et qui photographient les passeports à chaque fois ».

    « Nous sommes allés à Edilli. Là, cela a été une claque pour tous, car personne ne nous avait dit ce que l'on allait y trouver. Un village défoncé, des maisons debout mais défoncées. On monte une colline, une quarantaine d'officiels, des militaires en armes évidemment, sont là. On tombe sur un charnier avec des crânes, des fémurs, qui sortaient, çà et là des os, des lambeaux de vêtements. Un témoin de la guerre de 1992 Shamsi Shikhaliyev nous présente le « chantier de fouilles ». Seyfulla Iskandarov, anthropologue et spécialiste de médecine légale y travaille pour faire un état des lieux. Un travail de longue haleine pour retrouver l'identité des victimes de ce charnier découvert il y a peu de temps. On touche du doigt ce qu'est la guerre. Visiblement des civils. Les fouilles débutent, toute la colline sera creusée. La guerre et les exactions entre ennemis, qu'on soit d'un côté ou de l'autre, on ne peut que déplorer ».

    Après Edilli, Shusha. « Avant de monter à Shusha, l'éperon de Shusha, nous sommes passés à un check point tenu par l'armée russe, tampon entre les arméniens et les azerbaïdjanais. Lors du premier voyage, il n'y avait qu'un vaste grillage mal posé. Maintenant clôture définitive, couloir de passage avec guérites structurées, militaires russes en treillis, cagoules (seuls les yeux apparaissent), fusils d'assaut, 2 chars d'assaut de chaque côté. Lors du premier voyage c'était un peu la pagaille ; là ils te regardent et si tu bouges... Ça rigole pas."

    "A Shusha de nouvelles autorités sont en place depuis 7 mois. Dans la ville à 9 heures du soir c'est le couvre-feu officiel, avec interdiction de marcher dans les rues sous peine d'être arrêté. De Shusha on peut voir au loin la ville de Stepanakert pour les arméniens (Khankendi pour les Azerbaïdjanais). Interdiction est faite de s'en approcher. Pas de tir comme lors du premier voyage. Les seules personnes vues dans Shusha sont des militaires et les familles des militaires. Dans Shusha les mêmes façades défoncées, les mêmes trous béants causés par les tirs d'artillerie de la dernière guerre, que j'avais pris en photos. Mais beaucoup de travaux de voirie. Dans la plaine qui donne sur la montagne historique escaladée par les troupes azerbaïdjanaises pour reprendre Shusha, des manœuvres militaires avec bazookas, fusils d'assaut, véhicules blindés. »

    Après Shusha, Fizuli. « Lors du premier voyage c'était le début ,observé de loin, de la construction de l'aéroport de Fizuli, livré flambant neuf après un chantier de 9 mois. Aujourd'hui les jardiniers s'affairent pour des plantations arborées sur la grande avenue qui mène à l'aéroport qui n'est pas sans rappeler l'architecture novatrice du Centre culturel Aliyev à Bakou. Tarmac nickel, belles tours de contrôle. Pour l'instant l'aéroport livré « clés en mains » ne fonctionne pas, car il faut, aux dires des autorités, reconstruire une localité qui a été détruite. Dès que la localité sera reconstruite, des vols avec l'Asie, le Moyen-Orient, l'Europe sont attendus. Shusha est à 60 km, berceau de la culture azerbaïdjanaise ( localité toujours réclamée par les arméniens d'ailleurs). Mais actuellement il ne peut pas y avoir de tourisme car il n'y a pas d'hôtel conséquent à Shusha, 2 ou 3 commerces pour les locaux. Des mines anti-personnel autour de Fizuli, même si beaucoup ont été extraites. »

    « A notre retour à Bakou au Center of analysis of international relations, lié aux déplacés et réfugiés du Karabakh, repliés vers l'est du pays après l'occupation arménienne, nous avons rencontré des descendants des victimes du massacre de Khodjali et d'autres exactions de la première guerre du Karabakh. Ces victimes, des civils, pas du tout dans la politique « jeu d'échec » Ils ont subi la guerre. On leur a dit : « voilà ce qui se passe avec l'Arménie ». Vous y allez. Et ils se font dézinguer. Nos interlocuteurs, une trentaine de femmes et d'hommes, avec des photos, des dépouilles prises sur le champ de bataille et conservées. Photos insoutenables, corps mutilés ; un homme, avec des mains pleines de tatouages, qui présente des photos de 6 personnes de sa famille mortes lors du massacre, avec une photo de sa mère, Anna, dont le nom est tatoué sur sa main. Ils nous racontent tous leur histoire. »

    « A Bakou toujours, deuxième rencontre tournée cette fois-ci vers l'avenir, avec le ministre de l'Énergie Elnur Soltanov qui nous présente l'installation de panneaux photovoltaïques dans la région de Zangilan et Jabrayil et des éoliennes notamment sur les bords de la Caspienne, dans la région de Khizi-Absheron. Opérations en coopération avec l'Arabie Saoudite ou la Banque mondiale. Et même à côté de Aghdam dans le Karabakh, on peut voir des panneaux photovoltaïques pour alimenter les réverbères, avec la mention « made in AZ ».

    « A Aghdam aussi nous avons pu observer les murs de pierre, vestiges du désastre de la première guerre avec un édifice dont seule la façade reste debout : la mosquée. Des milliers de mines anti-personnel et les démineurs d'Anama en action. C'est chaud ! Anama a reçu quelques cartes du camp arménien adverse, mais Anama n'a pas reçu toutes les cartes existantes, loin s'en faut. Donc il faut faire des recoupements entre plusieurs types de documents. Je n'ai jamais vu, avant,de démineurs sur le terrain.

    Là on les a vu bosser. On est allé avec eux sur le terrain autour d'Aghdam. Ils sont en bleu avec un équipement qui m'a scotché, parce que je m'attendais à voir des gars, comme dans les films, avec beaucoup de protections. Or là ,pas du tout : un casque avec une visière en plastique. Les Britanniques ont apporté une aide conséquente. Mais sur le terrain ce sont les Azerbaïdjanais qui sont là dans leurs combinaisons bleues avec 2 ou 3 éléments de protection. Ils iraient faire du skate board qu'on ne serait pas étonné, vu leur équipement sommaire. Ils ont une « poêle à frire » comme sur les plages pour ceux qui cherchent des pièces de monnaie ou des bagues égarées et ils marchent doucement. Quand ils ont fait un mètre ils plantent un petit bâton tout doucement. C'est vraiment chaud quand tu les vois faire. Et dès qu'ils trouvent une mine, en fait ils plantent un bâton avec un triangle rouge et une tête de mort qui indique qu'il y a donc une mine et il y en a plein à perte de vue. Il y en a pour une dizaine d'années pour déminer. Et en même temps les types te disent : « dans un an il y aura à nouveau la vie ». Il n'y a pas beaucoup d'endroits visités où on nous a dit : « vous pouvez aller gambader dans les champs ». Tous les présents pointaient du doigt le fait que l'Arménie n'avait pas envoyé toutes les cartes disponibles. A un moment donné la guerre est terminée et on se dit : « il faut donner les cartes ». Si l'Azerbaïdjan reconstruit, ce qui est prévu pour que les réfugiés puissent rentrer chez eux, qui va sauter sur les mines ? Comme en Asie après la guerre du Vietnam, des gamins qui vont jouer dans les forêts, dans les prés ! On va faire quoi, dans les 10 prochaines années ? On va livrer des jambes de bois ! Il faut donner des cartes précises ».

     

    Les photos de cet article sont de Grégory Herpe

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.