La Brisée (avatar)

La Brisée

Abonné·e de Mediapart

10 Billets

0 Édition

Portfolio 24 février 2024

La Brisée (avatar)

La Brisée

Abonné·e de Mediapart

Cerf élaphe : petites biographies d'aujourd'hui

Apercevoir une biche ou un cerf libres au détour d’un chemin forestier est un moment rare et fugitif. Ces grands animaux sont si discrets qu’il est difficile de les surprendre. Ils sont pourtant bien présents dans la plupart de nos forêts et de leurs lisières. Mais que savons-nous d’eux ? De la vie de tel ou tel individu né ici et mort là ? Que pouvons-nous imaginer de leur destin tragique ?

La Brisée (avatar)

La Brisée

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Illustration 1
    © La Brisée

    Allée Neuvière. Faon déhardé. Né le 30 mai 2012 dans les prés du Bois joli. Il a deux mois et demi sur ce cliché où il est surpris à l’écart de la harde. Il a quitté sa mère tardivement, à l’âge de deux ans et demi et a beaucoup appris d’elle, notamment le réseau des coulées dans la forêt des Pugles. Il était particulièrement friand de pousses de colza au printemps et de châtaignes à l’automne. Après avoir quitté sa mère, il a rejoint deux jeunes cerfs de son âge l’hiver de sa troisième année. Devenu troisième tête fourchue, il a préféré accompagner un cerf adulte pendant l’hiver 2016. Il était un jeune cerf en pleine forme et arborant un fanon sombre et deux petites empaumures lorsqu’il a été tué de deux balles par Fernand Royer, 66 ans, lors d’une battue le 12 janvier 2017. Sa mère a été abattue trois semaines plus tard, à quelques centaines de mètres de là, par la même société de chasse.

  2. Illustration 2
    © La Brisée

    Bois Cautret, septembre 2018. Biche suitée surprise au débuché début septembre. Sa petite était née sur l’autre versant de la forêt, dans le vallon d’Orges le 16 mai 2018. Elle-même n’avait alors que quatre ans. Elle avait vu le jour dans un gaulis dans le secteur des Beuvrons appartenant au même massif. C’est dire si elle connaissait toutes les sentes et les coulées de son périmètre vital, héritage qu’elle tenait de sa lignée maternelle et qu’elle devait léguer à son tour à sa fille. Celle-ci a été tuée par balles un dimanche matin, le 22 novembre 2018, âgée de 6 mois, par un jeune père de famille, Arnaud Ferrand, 23 ans. Sa mère la chercha trois jours. Elle eut depuis deux autres fils, dont un est encore vivant, et une fille, avant d’être elle-même abattue lors d’une chasse administrative avec trois autres individus, le 5 janvier 2021, par Yann Petit, 37 ans.

  3. Illustration 3
    © La Brisée

    Pré de la Grifferie, fin août 2015. Faon au gagnage. Ici à l’âge de cinq mois, elle est entourée de ses proches dans un pré brûlé par la longue sécheresse de l’été 2015. Sa livrée mouchetée est encore bien marquée. Elle est née dans un roncier en lisière de la forêt des Salaines, dans le secteur des Boisseaux, le 1er juin 2015. Très vite, sa mère avait rejoint les deux cellules formées autour de sa sœur et de sa tante, lui assurant une rapide socialisation et une plus grande protection. Elle n’eût à connaître de toute sa courte vie que les itinéraires menant du bois du Refait, où se remisait la petite harde aux heures chaudes, aux gagnages des prairies des Grands Prats où, jusque début novembre, elle alternait entre graminées et lait maternel. Alors qu’elle se rembuchait au matin, elle se prit dans un filet de pâturage illégal tendu depuis peu sur la zone de passage. Elle y mourut d’épuisement, le 15 décembre de la même année.

  4. Illustration 4
    © La Brisée

    Clairière du Sardonnet, octobre 2016. Jeune faon mâle de six mois de retour du gagnage au lever du jour, entouré de sa mère et de son frère aîné, deuxième tête. Né le 2 mai 2016 dans un champ de colza d’hiver aux Reheries, il n’a rejoint d’autres groupes qu’occasionnellement au gagnage, sa mère n’ayant plus de liens familiaux dans le secteur. Évincé durablement du harpail de mi-septembre à la fin octobre par différents mâles dominants, il dut très vite acquérir son autonomie. Écuyer deux hivers de suite, il avait pris l’habitude de recéler dans des forts distants de plusieurs dizaines de kilomètres du domaine maternel. C’est dans l’un de ces forts, dans la commune d’Harduis, qu’il a été lancé par l’équipage de Fossenoire le 3 février 2021. Après un pénible courre de six heures, il est mort a demi noyé au bat l’eau et percé à deux reprises par François Lheureux, 54 ans, dit « La Bruyère », occupant la fonction de piqueux de l’équipage. Il était alors douze cors avec des surandouillers bien développés mais n’avait jamais encore été maître de place.

  5. Illustration 5
    © La Brisée

    La clairière Simon était un des lieux de gagnages favoris de cette biche adulte qui perpétuait là les habitudes de sa lignée maternelle. Elle avait vu le jour en mai 2014, à plus d’un kilomètre de là, dans une coupe des Sauvets. A chaque saison, elle empruntait les passages ancestraux creusés dans le terreau de la forêt. Elle y mena cinq générations, dont ce faon, né tardivement, un 18 juin 2021. Une fille très attachée à sa mère, qui la suivait pas à pas, mimant tous ses gestes et ses attitudes pour apprendre aussi vite que possible les nécessités de la vie, goûtant les mêmes végétaux aux mêmes endroits, s’efforçant de capter les mêmes effluves, sondant de son regard encore myope ces profondeurs du bois que sa mère savait si bien interpréter.

    Une voiture lancée à 95 km/h sur un tronçon pourtant signalé faucha la petite un 15 octobre 2021, en pleine nuit, alors qu’elle tentait de suivre sa mère. Celle-ci, aveuglée par les phares, avait résolu au dernier moment de franchir la voie en deux bonds. Elle portait déjà en elle une nouvelle promesse de vie qu’elle ne put mener à terme. Une balle de calibre 270 wsm tirée par Isabelle Rochard, 36 ans, lui ayant traversé les poumons l’hiver suivant, le 17 février 2022, elle s’effondra à l’orée de cette même clairière.

     

  6. Illustration 6

    Étang Sauldres. Cette jeune biche entretenait avec son faon, un fils né le 2 juin 2015, une relation très tactile. Bien que les périodes d’allaitement allaient en s’espaçant, chaque arrêt était propice au toilettage attentionné de l’un ou à un retour sensible de l’autre. Né tardivement, ce jeune mâle avait certainement besoin d’une attention plus soutenue. Cette relation était assez forte pour qu’il ne se résolve à quitter sa mère qu’à deux ans et demi. Il était ensuite devenu un douze cors à empaumures avec surandouillers bien développés, présentant un fanon fourni en août finissant. C’est un jeune chasseur à l’arc, Marcus Winders, 26 ans, qui le choisit pour cible un 15 octobre 2022, sans doute pour son trophée, puisqu’il en fit faire un massacre à ajouter à sa collection. Les poumons traversés par la flèche, le cerf parcourut encore près d’un kilomètre dans une course désespérée avant de s’écrouler dans les fougères, laissant sur sa dernière piste des giclées de sang noir. Sa mère était morte depuis deux ans, épuisée par une mise bas difficile un mois de mai particulièrement froid et humide.

  7. Illustration 7

    Prats de l’Ouche. Jeune biche à la reposée avec son fils né au printemps dernier, le 23 mai 2016. En ce début de septembre, elle a joint une petite harde composée de sa mère, sa sœur et sa tante, toutes suitées. Leurs journées sont rythmées par les va-et-vient entre la remise diurne dans le secteur du Sauloup, une plantation d’épicéas bien fournies en ronces et les champs de l’exploitation agricole du Verdelet, où alternent prairies grasses et cultures de colza et de tournesol. Entre les deux, les paisibles prés du Binalou offrent des asiles de repos et de jeux aux jeunes faons.

    La ligne de miradors tendue en bordure du bois des Saudres, un matin de décembre 2018, a réduit la harde de deux membres : ce jeune cerf alors devenu daguet deuxième tête et sa cousine du même âge, qui portait son premier faon. La mère, quant à elle, vécut jusqu’en février 2021, victime à son tour du feu nourri de l’Association communale de chasse de Gennes-sur-Meuse.

     

  8. Illustration 8

    Les Mussins. Biche suitée au gagnage. Pour la cinquième année consécutive, cette biche adulte avait donné naissance à un faon mâle dans le secteur des Jauffrets, à l’abri du vent. C’était le 7 mai 2012, entre deux touffes de molinie bleue. Biche meneuse d’une petite harde, comme l’avait été sa mère dans ce même massif, sa constitution robuste et son attention sans faille ont permis à son petit un développement rapide, laissant présager un premier hiver sans risque. Ce faon mâle, qui aimait jouer avec ses cousins et cousines dans la harde, quittera cependant celle-ci à son deuxième automne pour tenter l’aventure avec un autre daguet. Il prendra vite l’habitude de rejoindre un quartier distant pour passer les hivers, contraint pour cela de pérégriner sur plus de trente kilomètres.

    C’est au retour vers les lieux de gagnages maternels, pour ne pas manquer la période du brame, et devant traverser de nombreux axes routiers de nuit, qu’il entrera en collision avec une voiture. L’antérieur droit et le corsage brisés, il décède une heure plus tard, 150 mètres plus loin, un 28 août 2019. Il portait alors douze avec de belles empaumures et comptait bien être en mesure de prendre une place de brame cette année là. Sa mère, née le 5 juin 2005 non loin des Jauffrets, fut tuée par Eric Delhorme, 52 ans, d’une balle tirée d’un mirador alors qu’elle fuyait sa remise assaillie par les chiens, le 26 décembre 2014.

  9. Illustration 9

    Lisière du bois Béjousse, début octobre 2012, au matin. Cette biche montre de la tendresse à l’égard deson fils robuste et vif. Pendant son premier été, elle lui a fait apprécier les gousses de colza et le maïs laiteux, lui a appris à déterrer les tubercules de pommes de terre et à râper la betterave. Peu après, elle devait lui faire connaître la glandée sous la futaie et l’écorçage de l’épicéa. Par la suit, il deviendra un maître de place redoutable pendant quatre années consécutives et reviendra chaque année dans les halliers et les prairies de son enfance.Il connaîtra plusieurs décantonnements pour ses quartiers d’hiver mais réussira à maintes reprises à anticiper les battues et à tromper les chiens.

    Il sera toutefois blessé par balle à l’épaule en 2019, et réussira à se rétablir malgré un hiver rigoureux. Il mourra deux ans plus tard à la suite d’un coup d’andouiller qui lui percera le flanc à l’issue d’un combat désespéré, tant il était épuisé par un mois de rut intense. Sa mère, quant à elle, donnera naissance à trois autres faons, deux filles et un garçon, tous vigoureux, avant d’être abattue par Denis Royan, 51 ans, secrétaire de l’ACCA de Sainte-Soline-sur-Argence. C’était un 26 décembre 2015, au débuché du bois du Theil, par un matin clair et sec.

  10. Illustration 10

    Forêt d’Ardivau (03-10-2020). Biche, bichette et faon à la rentrée. La mère a attendu que sa fille de l’année dernière et sa fille née au printemps l’aient rejointe avant de prendre le chemin de la remise au travers du bois des Jaux. On voit la bichette communiquer son attachement par une caresse du museau. Si le lieu de gagnage est toujours le même, les Bertheries, la rentrée emprunte des passages différents d’un matin à l’autre. Ce sera l’occasion de compléter l’herbage de cette nuit-là par des abroutissements de chênes, de châtaigniers, de saules marsault, de merisiers, de coudriers et de genêts.

    L’hiver verra la disparition programmée de cette cellule maternelle, puisque le plan de chasse de l’ACCA de Villars s’est vu attribuer cette année onze bracelets de non boisés. Le 22 novembre lors de la battue, Laurent Thomas, 34 ans, tuera net la bichette née le 5 juin 2019 dans une combe des Forges. Au poste suivant, Pierre Sauzier, 65 ans, blessera grièvement la mère qui parviendra à s’enfuir et mourra seule à l’abri des fougères à plusieurs centaines de mètres de là, sans que le chien de sang n’ait pu la retrouver pour qu’on l’achève d’un coup de dague dans le cœur. Elle était encore jeune, étant née en 2016 dans un champ de colza des Faux. Son premier-né était mort après quelques semaines, malgré ses efforts et sa patience maternelle. La puînée, enfin, passera sans encombre la ligne de tir et suivra sa mère, paniquée et blessée, jusqu’à son dernier souffle de vie. Elle restera près d’elle deux jours entiers avant de partir à la recherche d’une autre cellule qui la protégerait. Mais peu intégrée, elle dépérira lentement et s’éteindra d’épuisement et de froid le 10 février 2021.

    (À suivre...)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.