Mais, peut-être dois-je commencer par expliquer pourquoi j’entreprends de te parler à travers ce blog.
C’est simple : il y a quelques mois, tu m’as ghostée. Qu’est-ce que le ghosting ? Le dictionnaire Le Robert en ligne explique qu’il s’agit d’un anglicisme, utilisé dans un registre familier, pour décrire le fait de « rompre soudainement tout contact avec quelqu’un sans fournir d'explication, spécialement dans les relations amoureuses. (cf. faire le mort) » (2).
J’ai pensé à du « contrôle de la pensée ». C’est une expression que je prends à Steven Hassan, un auteur que j’utiliserai souvent, dans mes prochaines analyses. Steven Hassan a été membre de la secte Moon, pendant plusieurs mois, avant d’en être délivré par ses proches et de passer le reste de sa vie à lutter contre les mouvements sectaires (3). Il a notamment écrit un ouvrage édifiant sur le fonctionnement des sectes et la manière d’en sortir (4).
Fort de son expérience, il explique comment une secte exerce un contrôle sur la pensée de ses membres : « il est évident que I'on ne peut pas comprendre le contrôle de la pensée sans prendre en compte les techniques de modification du comportement, autant que la volonté de se conformer aux désirs du groupe et la soumission à l'autorité. Si nous prenons les découvertes de la psychologie sociale comme fondement, nous pouvons identifier les composantes de base du contrôle de la pensée. Cela peut être compris par l'analyse des trois composantes décrites par le psychologue Leon Festinger dans ce qui est devenu la « théorie de la dissonance cognitive ». Ces composantes sont le contrôle du comportement, le contrôle de la faculté de réflexion et le contrôle des émotions. Chaque composante a un effet considérable sur les deux autres : vous changez l’une et les autres suivent. Si vous arrivez à modifier les trois, l’individu est détruit. Cependant, d’après mon expérience des sectes, j'ai ajouté une composante qui me semble vitale : le contrôle de l'information » (pp. 107-108).
Je reparlerai peut-être de la théorie de la dissonance cognitive, dans des prochains billets. Hassan précise : « d’après Festinger, il est nécessaire de conserver à sa vie un ordre et un sens. On a besoin de penser qu'on agit en accord avec ses valeurs et avec l'image que l'on a de soi. Si la conduite change pour une raison quelconque, l'image de soi et les valeurs s'adaptent pour ne pas être en contradiction. L'important en ce qui concerne les sectes est de savoir qu’elles créent volontairement la dissonance » (p. 109).
Hassan apporte, enfin, des détails sur le contrôle de la faculté de réflexion : cela « suppose un endoctrinement de fond qui oblige les membres à intérioriser la doctrine du groupe, à incorporer un nouveau système de langage, et à utiliser des techniques qui empêchent de réfléchir pour être sûr de garder l'esprit « centré ». Pour être un bon membre, il faut apprendre à manipuler ses propres pensées.
Dans les sectes totalitaires, l'idéologie est intériorisée comme étant « la vérité », le seul reflet véritable de la réalité. La doctrine ne sert pas seulement à filtrer les informations qui entrent, mais elle donne aussi les clés de leur interprétation. D'habitude, elle est manichéenne, divisant tout en « blanc » et « noir », « nous » et « eux ». Tout ce qui est bon est incarné par le chef et le groupe. Tout ce qui est mauvais est à l'extérieur. […] Un autre aspect clé consiste à forcer les membres à ne laisser filtrer aucune information critiquant le groupe. Les mécanismes de défense sont déformés de telle façon qu'ils soutiennent la nouvelle identité contre l'ancienne. […] Si une information transmise à un membre de secte est perçue comme une attaque soit contre le chef, soit contre la doctrine, soit contre le groupe, un mur hostile s'élève aussitôt. Les membres sont exercés à ne pas croire une seule critique » (pp. 110-112).
Un jour, tu m’as écrit : « J'aime l'idée d'un art qui prend des risques et qui « crie ». Le street art répond largement » (à cet objectif). Je ne m’autorise pas à écrire sur les murs mais j’écris ce blog. C’est le cri de douleur de la fin de notre amitié, par lequel je veux essayer de ne pas devenir un fantôme, moi aussi.
*****
Crédits et sources :
(1) Aufray, Hugues. « Céline », interprète : Hugues Aufray, auteur : Manu Larrouy, compositeur : Mort Shuman, éditeur : Warner Chappell Music France, Mort Shuman Songs.
(2) Éditions Le Robert (s. d.). « Ghoster ». Dans Dico en Ligne Le Robert. Consulté le 8 avril 2025 sur https://dictionnaire.lerobert.com/definition/ghoster.
(3) Solé, Robert. « A l'ombre des gourous », Le Monde, 6 avril 1995 (https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/04/06/a-l-ombre-des-gourous_3864472_1819218.html, consulté le 11 avril 2025).
(4) Hassan, Steven. Protégez-vous contre les sectes. Editions du Rocher. Paris, 1995.