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Billet de blog 6 juin 2025

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Représenter l’emprise : quand "dabada" devient cauchemar

Aujourd'hui, je souhaite mettre en lumière plusieurs œuvres, qui montrent comment une rencontre amoureuse dissimule le début d'une mise sous emprise, qui se transforme en asservissement voire en exploitation d'une des personnes du couple, par l'autre, loin de la chanson romantique interprétée par Nicole Croisille (1).

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Quand ELLE le rencontre, elle est, dans une situation de relative vulnérabilité : « s’il compte sur moi pour le renseigner sur ma famille, il risque d'être déçu. Deux pères et une mère dont les souvenirs s'estompent de ma mémoire comme des silhouettes dans le blizzard. D'elle, je n'ai gardé que quelques images. Celle du jour où elle m'a abandonnée. Une autre, plus ancienne, d'un soir d'hiver où je la regardais à la lueur de la lampe. C'est une image muette à laquelle je ne crois pas tout à fait. Guère plus qu'aux autres, en tout cas. Nos souvenirs sont aussi mouvants qu'un tas de neige poudreuse en plein vent. Aussi trompeurs qu'une assemblée de fantômes s'interrompant les uns les autres. Seule demeure en moi la certitude que ma réalité n'est pas celle d'autrui. Partager un souvenir, c'est risquer d'entacher ma mémoire des faits. Le révérend est-il l’homme dont je me souviens, ou un parfait inconnu ? Est-ce moi ou une autre qui ai fait ci ou ça ? Magnús ou Jón ? Comme la fine pellicule de glace sur I’eau d'un étang, la vérité est trop fragile pour mériter notre confiance. Ma mère a-t-elle regardé mon visage de nourrisson en pensant : « un jour, je te quitterai » ? A-t-elle scruté ma peau fripée en souhaitant que la mort m'emporte ? Ou m'a-t-elle incitée à m'accrocher à la vie comme une tique sur un chien ? Elle a peut-être tourné son regard vers la vallée noyée de pluie et de silence en se demandant ce qu’elle avait à m'offrir. Un mensonge pour père. Un râtelier à foin en guise de berceau. Un casque de cheveux sombres. Un baiser. Un caillou pour parler aux oiseaux et ne pas être seule » (2) (p. 155).

IL est à la recherche d’une femme comme elle, de façon plus ou moins consciente : « son récit signe un désastre, et pourtant Charles embrasse la situation avec une immense clarté. Il regarde cette femme qui extirpe de son paquet chiffonné sa dernière cigarette et l’allume en tremblant, et comprend encore plus intensément le sens de leur histoire. Un long frisson le traverse : pour toujours, désormais, Myriam sera à sa main. Il devient son dernier recours, son fil qui la retiendra à la vie. Car il ne pourra pas en être autrement : elle va être condamnée, radiée de la fonction publique, sans doute va-t-elle éviter la prison, mais sa peine va inclure une lourde amende. Dans un an environ, après le procès, Myriam, qui n'a aucune famille, ne sera socialement plus rien. Sans lui, elle ne sera plus de ce monde » (3) (p. 247).

 Alors, il commence par la séduire, séduction d’autant plus active que ce n’est pas forcément lui que l’on trouve le plus beau : « [il] s’est dirigé vers nous, un grand sourire aux lèvres, comme s’il nous connaissait déjà. Il était ravi d'être un sujet de conversation, j'imagine. Il nous a saluées poliment. Il n'était guère plus grand que moi, mais il avait une belle voix profonde. « Puis-je savoir à qui j'ai l’honneur ? » a-t-il ajouté. «J'ai fait les présentations. Natan s'est incliné vers nous en souriant, et c'est alors que j'ai remarqué ses mains. Des mains de femme, très pâles, avec de longs doigts si blancs, si fins, qu'on aurait dit des brindilles de bouleau. On le surnommait « longs doigts » dans la vallée, et j'ai compris pourquoi. […]  « ll s'exprimait avec aisance, mon révérend. Toujours le bon mot au bon moment. II savait choisir ceux qui font plaisir. Et ceux qui font du mal » (2) (pp. 260-261).

 Quand elle ne doute plus et qu’elle est amoureuse, il change de visage : « je ne l'ai jamais obligée à rester. Le temps que Myriam a passé avec ce type en est la meilleure preuve, on voit ou ça l'a menée... C’est une femme fragile, influençable, elle besoin d'un cadre, de règles, de régularité. Ce Fratelli l'a bien compris, d'ailleurs, mais il a injecté du poison dans leur jeu, il n'a fait qu'utiliser Myriam. Comme moi, me direz-vous ? Restez en place, Madame, je vois que je vous énerve à faire les questions et les réponses, mais ici vous n'êtes pas la juge. Vous vouliez des confessions, eh bien les voilà, et ensuite vous ressortirez de ma vie. Oui, j’ai utilisé Myriam pour bâtir mon projet fou d'une double vie, mais je l’ai aimée et aidée, contrairement à Fratelli. Elle est ressortie tellement brisée par cette épreuve qu'ensuite je me suis occupé d'elle, Madame. Je sais, notre histoire est étrange, peut être dérangeante, mais n'oubliez pas de me regarder aussi comme un aidant : sans moi, Myriam aurait sombré, aujourd’hui elle serait à la rue. A la sortie du procès, elle n'avait plus un sou. Alors je l'ai remise sur pied, j'ai payé une partie de son amende, je lui ai acheté un appartement, assez grand pour elle et Lila, car vous connaissez l’existence de Lila, n'est-ce pas ? Oui, bien sûr. Et j’ai commencé à leur virer de l'argent, d'abord chaque semaine pour que Myriam apprenne à gérer, ne fasse pas n’importe quoi, puis tous les mois. Laissez-moi continuer, Madame, je connais vos questions, je lis dans vos yeux. La vie s'est installée ainsi. Myriam n'avait aucune perspective de travail sinon un petit emploi de service » (3) (p. 328).

 Elle ne peut plus s’échapper : « je n'en serais peut-être pas là aujourd'hui si Natan m’avait permis d'assister à l'office à Tjörn. Je m’y serais peut-être fait des amis. J'aurais rencontré une famille susceptible de m'accueillir quand la situation s'est dégradée à Illugastadir. J'aurais connu des fermiers prêts à m'embaucher. Mais Natan m'a empêchée y aller, et je n'ai rencontré personne. Je n'avais plus d'amis, pas la moindre lumière pour m'aider à sortir de ce long tunnel hivernal » (2) (pp. 334-335).

 Il peut alors la contraindre à des pratiques sexuelles non-consenties et violentes avec lui : « au début, il a surtout ressenti de l'abattement, une immense fatigue, un peu d'ironie, aussi, face à la fatalité, Puis, un jour qu’il ramollissait seconde par seconde, visualisant avec une incroyable précision son sexe se rétractant, il avait fouetté Myriam plus fort que d'habitude, d'abord pas pour lui faire mal, plutột comme s'il avait frappé le premier objet à sa portée. Puis, son sexe ayant définitivement renoncé, il avait frappé encore, et encore, cette fois la colère était bien là, le besoin d'un défoulement physique aussi, avec au final une vague satisfaction d'avoir palpé de la chair, d'avoir malgré tout vécu quelque chose. De ne pas être mort » (3) (p. 309).

 Il peut aussi l’exploiter, à la fois sexuellement et financièrement : « Puisque le monde est aux aveux/ Et que dans l′eau mes cris n'ont pas d′écho/ Seuls quelques murs/ Et quelques pages/ Connaissent mon histoire/ J'ai longtemps esquivé mon monde/ Pour des paysages inconnus/ Peuplés de démons bras ouverts/ Novice mais toujours bien guidée/ Les mots comme un coupe-gorge/ Ok j'enlève mon soutien-gorge/ J′fais du téléphone rose/ Du téléphone rose » (4).

Comment ces histoires se terminent-elles ? Je vous invite à lire ces livres et écouter cette chanson pour le savoir.

Mais, au-delà de la fiction, bien plus sordide, cette histoire est un peu celle vécue par Grace, qui témoigne dans le podcast La Vie en rouge, produit par le Mouvement du Nid. Venue en Hongrie pour poursuivre ses études, Grace a été séduite, puis isolée, battue et contrainte de se prostituer par son conjoint (5).

 2025 marque d’ailleurs le cinquantenaire de la révolte des prostituées, dite « de Saint-Nizier ». Cela fera l’objet de développements, dans de prochains billets.

*****

 Crédits et sources :

 (1) Lai, Francis, Barouh, Pierre, Croisille Nicole. « Un homme et une femme » (1966).

(2) Kent, Hannah, traduite par Reignier-Guerre, Karine. A la grâce des hommes, Pocket, Paris (2016).

(3) Tassel, Fabrice. On ne sait rien de toi, La Manufacture De Livres (2025).

(4) Combier, Louise « Téléphone rose » (2025). Url : sur Spotify ou sur YouTube.

(5) Mouvement du Nid. « Sous l’emprise d’un conjoint proxénète » in La Vie en rouge. Url : https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/podcast/

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