Ce film émouvant peut se lire comme une enquête sur ses propres souvenirs, une œuvre d'esprit critique et de prise de recul que pourrait entreprendre quelqu'un qui serait victime d'amnésie, à cause d'un accident ou d'une maladie, ou encore quelqu'un qui douterait de souvenirs suggérés par un préda-thérapeute.
En effet, pour son enquête, Chloé Barreau confronte deux types de matériaux : d'une part, des photos et films pris sur le vif, à l'époque, dans une démarche qu'une des personnes protagonistes qualifie "d'archiviste de [leurs] vies". Comme la période couverte par le documentaire débute, dans les années 1990, cette démarche a bien commencé alors qu'aucun smartphone n'était disponible pour prendre des photos, quasiment n'importe où et n'importe quand, et alors qu'aucun réseau social n'invitait à la mise en scène de soi. Elle est donc originale.
D'autre part, Chloé Barreau confronte à ces archives des interviews entre une journaliste et ses anciennes amoureuses et anciens amoureux.
On est proche du recueil de témoignages oraux provoqués, que Florence Descamps considère comme une véritable méthode de recherche en histoire contemporaine (2). Elle en dégage trois grands intérêts. D’une part, le recours au témoignage "peut se révéler un formidable gain de temps pour problématiser une question historique et élaborer des hypothèses" (p. 134). D’autre part, il impose le principe "selon lequel une source est toujours située, datée, subjective, adressée, à contextualiser et qu’elle est toujours le fruit d’un point de vue local" (idem, p. 134). Enfin, le témoignage serait plus immersif que les archives écrites. Le recueil de témoignage oral permet ainsi au témoin de s’exprimer, non seulement avec le verbe, mais aussi avec tout son corps, et au chercheur de prendre des informations avec plusieurs sens.
En revanche, ce qui manque à ce film, à certains égards, c'est le témoignage de Chloé Barreau elle-même, qui s'est totalement effacée. Les observations de Rebecca Zlotowski, dans le documentaire, n'en sont que plus pertinentes, pour qui "on ne maîtrise pas le souvenir de soi qu'ont les autres", elle-même n'étant "pas une fétichiste de [sa] biographie".
Ainsi, Chloé Barreau met en scène l'idée que son histoire ne lui appartient pas totalement, voire pas du tout.
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Dissociation ? Altération du rapport à la réalité ? Induction d'états proches de la psychose ?
"N'oublie pas qui je suis et combien je t'aime" : c'est presque ce qu'on peut redouter de la pratique de la méditation, dans certains cas, comme le montre Élisabeth Feytit, dans le 6e volet de son podcast sur cette pratique (3) : "il est une chose que les publications scientifiques, et même les témoignages personnels, rendent peu visible : les effets indésirables de la méditation, qu’ils soient liés à la pratique de la mindfulness ou de formes plus spirituelles comme la méditation Osho, la méditation transcendantale ou la méditation vipassana".
Retrouvez le podcast ici : https://metadechoc.fr/podcast/chroniques-de-la-spiritualite-contemporaine-2/la-meditation/
Qu'attend-t-on d'une psychothérapie et à quel prix ? Veut-on en passer par un état modifié de conscience et pourquoi ? Est-ce raisonnable de s'en remettre à un seul guide thérapeutique ?
Ce sont des questions auxquelles il appartient à chacun de répondre. Sans ignorer qu'un moyen des auteurs d'emprise mentale est de nous faire oublier qui nous aime et combien nous sommes aimés.
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Crédits et sources :
(1) Barreau, Chloe. "Fragments d'un parcours amoureux", produit par Mario Di Fabio, Leonardo Godano et Matteo Rovere (2023). Notice IMDb : https://www.imdb.com/fr/title/tt28635725
(2) Descamps, Florence. Archiver la mémoire - De l'histoire orale au patrimoine immatériel, EHESS (2010).
(3) Feytit, Élisabeth. "Les dangers de la méditation" in "La méditation - Script, saison 2, épisode 6". Méta de Choc, tous droits réservés (2025). Url : https://metadechoc.fr/podcast/chroniques-de-la-spiritualite-contemporaine-2/la-meditation/#ressources-tab-chapitre-6