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Billet de blog 13 août 2025

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En prise urbaine : des fortifications au périphérique parisiens

Étymologiquement, le mot emprise, apparu au 12e siècle, définit le fait d’empiéter sur la propriété foncière de quelqu’un (1). Je propose de faire un nouveau pas de côté estival, en évoquant l’histoire de l’emprise du périphérique de Paris.

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Au 19e siècle, Paris était ceinturée non par le « périph’ » mais par des fortifications.

L'hypothèse de la création de défenses fortifiées autour de Paris est étudiée par Vauban, en 1689, mais n’est mise en œuvre qu’en 1840-1845 (2). « Juridiquement les ouvrages de l'enceinte sont érigés sur des sols expropriés, à l'exception du bois de Boulogne, propriété de l'État et de terrains donnés par la Couronne à Neuilly. […]  Sur le terrain, le rempart est tracé entre la limite de la commune de Paris, alors circonscrite par l'enceinte des Fermiers généraux, et celle du département de la Seine. Il englobe la totalité des communes de Belleville, Grenelle, Charonne, Vaugirard, Montmartre, Bercy, Les Batignolles, Passy, La Chapelle, en divisant d'autres comme Ivry, Auteuil ou Montrouge, anticipant une extension de la capitale que Louis-Philippe n'ose décréter. […] Au terme du chantier, un ouvrage d'une largeur d'environ 128 mètres ceinture Paris, se développant sur presque 34 kilomètre » (2).

Les techniques guerrières et les projets urbains ayant changé, les fortifications sont déclassées à partir de 1919 et progressivement détruites. Aujourd’hui, ne subsistent plus des vestiges qu’à Bercy et près du nouveau tribunal judiciaire de Paris (2).

En 1956, le projet directeur de l'agglomération parisienne propose un système « radioconcentrique, dans lequel la ceinture fait figure d'anneau intermédiaire entre des arrondissements périphériques parisiens et une proche banlieue, modernisés d'un même geste accomplissant une transformation programmée. Le dispositif de la compensation et l'utilisation de la ceinture comme épine dorsale d'une opération menée conjointement dans Paris et dans la première couronne sont confirmés par le Plan d'aménagement et d'organisation générale de la région (PADOG) lancé officiellement le 31 décembre 1958, mais dont I’étude avait de facto commencé en 1955 » (2).

Ainsi apparaît le projet de périphérique parisien.

« Le premier tronçon du périphérique est inauguré en avril 1960, et l'ensemble des 35 kilomètres est ouvert à la circulation en 1973. La voie rapide prend bien l'allure d'une autoroute, réalisée essentiellement en viaduc ou en tranchée, et dont la largeur tend avec les années à s'uniformiser à 60 mètres […] L'originalité de Paris tient dans ce fait qu'il se superpose littéralement cette frontière administrative et la cimente, sans toutefois jamais la transgresser » (2).

A quoi ressemblait un tour de Paris avant la réalisation du périph’ ? Dans, Elise ou la vraie vie (3), publié en 1967, la narratrice cherche son compagnon qui a disparu, après avoir été arrêté par la police : « quand s'amorce la descente de Charenton, les mouvements oscillatoires de la voiture - le boulevard est en réfection - me balancent de l'espoir à l'angoisse. Et les souvenirs s'en mêlent quand nous passons devant le square de la Limagne. Arezki disait « de la Limace ». Il disait aussi : « Le Mont de Pitié et j'aimais beaucoup ce dernier mot.

Sur le pont National, à la vue de l’eau, je pense aux cadavres qu'elle charrie. Corps que l'on jette certaines nuits de grosse rafle, dans l’ivresse de la haine ; corps des faibles qui ont trop parlé et que la mort punit. Insolite en cet endroit, l’auberge du Régal regarde passer les routiers que n'arrête aucun feu rouge.

Boulevard Poniatowski se dressent ces bâtisses qui ceinturent Paris de leur laideur d'avant-guerre. Maisons antipathiques aux façades revêches, pierres ternes, ouvertures indécises, grandes cours intérieures privées de soleil, là vit toute une aristocratie ouvrière aspirant à la bourgeoisie. Foulée, broyée par l'indifférence, les idées reçues, la vie d'un Arabe est de quel prix ici ? Le goût de l'ordre sue de ces maisons. On l'a refoulé, renvoyé là-bas, dans la guerre. Je pourrai bien crier, qui m'écoutera ? S’il vit, où est-il ? S’il est mort, où est son corps ? Qui me le dira ? Vous avez pris sa vie oui, mais son corps qu’en avez-vous fait ? Mais, à la Porte de Vincennes, le boulevard se brise et sur un vaste Carrefour s'élèvent des appartements neufs, clairs dont les loggias garnies de stores bleus ou orange évoquent les après-midi chauds où l'on boit un verre embué en écoutant un disque. Qui se souciera d'Arezki ?

Henri ralentit encore. Nous sommes derrière un camion qui crache sa fumée. Voici Montreuil à ma droite et la rue d'Avron à l’opposé. Les cours des Halles déborderaient la palette d'un peintre. La vue des fruits rangés, des pyramides de légumes, arrache un lambeau de mes espoirs. Vers les monticules de primeurs convergent des milliers de fourmis qui font comme un rempart devant les étalages.

Dans la montée de Bagnolet vers Les Lilas, la voiture peine entre deux autobus. Sur un chantier à la Porte de Ménilmontant des ouvriers font la pause et boivent. Demain l'un d'eux ne reviendra pas et cinquante surgiront pour prendre sa pelle. Il y en a tant, i y en a trop, réserve inépuisable, toujours renouvelée.

Après Les Lilas, dans le virage qui descend vers le Pré-Saint-Gervais, apparaissent les décors d'Aubervilliers pâlis par la brume de chaleur. Sur l'esplanade en friche une étrange église solitaire fait naître en moi le désir d'y pénétrer, mais Henri conduit maintenant très vite et ce n'est qu'après la Porte de Pantin que resurgiront les taudis de cet autre Paris qui ne vient à Paris que pour le 28 mai. Pas dangereux, facile à rouler, satisfait de peu. Nous entrons dans le tunnel sous la Porte de la Villette. Je pressens que je ne verrai plus jamais Arezki » (3).

*****

Crédits et sources :

(1) Bloch, Oscar et Von Wartburg, Walther. Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF (2012).

(2) Cohen, Jean-Louis et Lortie, André. Des fortifs au périf, éditions du Pavillon de l’Arsenal (2020).

(3) Etcherelli, Claire. Elise ou la vraie vie, Folio (1967).

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