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Billet de blog 14 mai 2025

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Représenter l’emprise : Notes on a Scandal

Dans « Chronique d’un scandale » de Richard Eyre (2007) (1), l’héroïne, Sheba, jouée par Cate Blanchett, est mise sous emprise par une collègue de travail plus âgée, Barbara, jouée par Judi Dench.

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Attention, si vous n’avez pas vu ce film, sachez que je divulgâche l’intrigue largement, dans les propos qui suivent.

L’histoire commence à la rentrée scolaire, dans un collège anglais. Sheba est la nouvelle professeure de dessin. Inexpérimentée, elle peine à discipliner ses élèves, sans bénéficier de l’aide de ses collègues, jusqu’à l’intervention, au cours d’un chahut particulièrement bruyant, de Barbara. Les deux femmes sympathisent et Sheba invite Barbara à déjeuner un dimanche, avec sa famille. Après le déjeuner, Sheba se confie à Barbara sur ses états d’âme et ses problèmes de couple.

Toutefois, ce n’est qu’à la faveur d’une faute professionnelle et pénale commise par Sheba, que Barbara trouve une faille sur laquelle asseoir son emprise. En effet, Sheba a une liaison avec un élève mineur et ne peut en parler à personne d’autre que Barbara, qui les a surpris. En confiance avec Barbara, Sheba lui raconte d’ailleurs moult détails, qui constitueront autant d’éléments de vulnérabilité.

Le tournant de la relation entre les deux femmes survient quand Sheba arbitre en faveur de sa famille, à un moment où Barbara souhaitait un soutien exclusif. Jalouse, Barbara informe un collègue enseignant de la liaison de Sheba, avec l’adolescent. Cette révélation coupe Sheba de tout soutien et de toute autre relation, que ce soit au sein de l’établissement scolaire comme auprès de son mari. Sheba part donc s’installer temporairement chez Barbara.

Ce renforcement de l’emprise permet finalement le déclic, qui va permettre à Sheba d’en sortir. Elle découvre, en effet, chez Barbara, une page de journal intime, dans lequel cette dernière exposait tout ce qu’elle avait fait. Sheba se met violemment en colère, avant de s’expliquer avec Barbara pour comprendre ses motifs. Puis, Sheba retourne auprès de son mari, encore amoureux, et de ses enfants.

 Ce film nous interroge sur les limites (ou le continuum ?) entre séduire, charmer, chercher à plaire et mettre sous emprise. Anne-Laure Buffet définit ainsi l’emprise comme : « un système relationnel allant au-delà de l'ascendant intellectuel ou moral, car tout ascendant n'est pas destructeur. L'emprise colonise l'individu jusqu'à sa perte d'identité et parfois sa mort ». Autrement dit, l’emprise « est à la fois un abus de confiance, une manipulation, un harcèlement et une maltraitance ». Abus de confiance, comme « I’exploitation d'un état de vulnérabilité physique, émotionnelle ou mentale. La victime n'a pas conscience de la portée de son engagement et de ses conséquences ». Manipulation visant à « contrôler le comportement, l'esprit et les émotions de la personne manipulée [qui] utilise un système de récompenses et de punitions ayant pour seul but de satisfaire celui ou celle qui manipule ». Enfin, harcèlement pour « tourmenter sans cesse par de petites mais fréquentes attaques ». Finalement, l’emprise entraîne « la domination (psychologique, physique, relationnelle, affective, sexuelle et économique), la réification et I'infantilisation de la victime » (2) (pp. 11-17).

Au contraire, le choc amoureux est, pour Francesco Alberoni, la rencontre d'un autre dont on reconnaît pleinement l'intégrité :  « l'amour à l'état naissant tend à la fusion, mais à la fusion de deux personnes différentes. Pour que naisse l'amour, il faut qu'il y ait diversité et l'amour naissant est une volonté, une force pour surmonter cette diversité qui cependant existe et doit exister. La personne aimée intéresse parce qu'elle est différente, parce qu'elle est porteuse d'une spécificité propre et que l'on ne peut confondre avec aucune autre. Cette spécificité, cette unicité s'exaspèrent encore plus dans l'amour naissant. Nous voulons être aimés en tant qu'êtres uniques, extraordinaires, irremplaçables, absolument pour nous-mêmes. On ne peut atteindre cet objectif dans les organisations où nous sommes tous interchangeables et fongibles. On ne peut l'atteindre dans la vie quotidienne familiale où nous sommes uniques et irremplaçables mais pas extraordinaires, et si nous sommes uniques, nous ne le sommes pas exclusivement pour nous-mêmes en tant que finalité.

Au contraire, nous désirons nous sentir la fin ultime. II ne nous suffit pas d'être adorés par quelqu'un de transparent, par quelqu'un de fongible. Nous voulons être vus comme uniques, extraordinaires, indispensables, par un être qui lui aussi est unique, extraordinaire et indispensable. Voilà pourquoi l'amour naissant est, et ne peut être, que monogame. Nous exigeons l'exclusivité. Nous exigeons que notre caractère extraordinaire soit reconnu par quelqu'un d'extraordinaire et nous nous abandonnons à lui parce qu'il est seul capable de nous donner le plaisir, la joie et la vie. Je suis donc I'absolument unique et lui, l'absolument unique, celui que rien ni personne ne pourrait remplacer. Chaque nuance et toutes les nuances de sa voix, de son corps, de ses gestes deviennent les signifiants de cette unicité. [...]

Mais en même temps, l'amour naissant déclenche un autre mouvement, d'une certaine maniere opposé au premier : celui de la fusion. La fusion tend à produire une convergence des deux volontés. L'amour partagé implique que les deux sujets veulent ensemble ce qui est important pour chacun d'entre eux. L'individuation différencie, met en valeur ces différences, les transforme en valeurs absolues, fait en sorte que les préférences de l'être aimé deviennent pour moi un modèle idéal et une loi  » (3) (pp. 42-43). Quant à l'amitié, Alberoni la considère comme la forme éthique de l'éros...

Ici, Barbara, faute de vouloir ou de pouvoir attirer Sheba vers une relation amoureuse, par une attitude de séduction explicite, tente de la priver de liberté par la ruse. C'est une tentative de mise sous emprise, qui échoue. 

*****

Crédits et sources :

(1) Eyre, Richard (réalisation). "Notes on a Scandal"/ « Chroniques d’un scandale », produit par Searchlight Pictures associé à DNA Films, UK Film Council, BBC Film, Scott Rudin Productions et Ingenious Film Partners (2007). Présentation du film, dans la base IMDb : https://www.imdb.com/fr/title/tt0465551/

(2) Buffet, Anne-Laure. L'Emprise. Que sais-je ? Paris (2023).

(3) Alberoni, Francesco. Le Choc amoureux. Pocket, Paris (1981).

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