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Billet de blog 23 mai 2025

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Avoir un passé traumatique fictif : le mauvais scénario de la "mémoire retrouvée"

Dans la première partie de ce billet, je résumerai le dossier de Brigitte Axelrad, pour L’Observatoire zététique. Je comparerai ensuite son analyse à une affaire jugée récemment par le tribunal judiciaire de Paris.

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Dans la première partie de ce billet, je résumerai le dossier de Brigitte Axelrad, pour L’Observatoire zététique, même s’il est un peu ancien (1). Je laisserai de côté, aujourd’hui, les développements sur les psychothérapies en général et les perspectives d’écoute des psychotraumatismes. Je comparerai ensuite, en seconde partie, l’exemple étudié par Brigitte Axelrad à une affaire jugée récemment par le tribunal judiciaire de Paris.

1] Brigitte Axelrad introduit son dossier en racontant la pièce d'Arnold Wesker, « Denial » ou « Souvenirs fantômes », qui traite des thérapies de la mémoire retrouvée (TMR). La pièce a été jouée à partir de 2000, au Théâtre Old Vic de Bristol (Royaume-Uni).

Les TMR disent s’appuyer sur la théorie de la séduction de Freud, qui postule qu'un grand nombre de difficultés psychologiques ont pour origine le refoulement de souvenirs d'abus sexuels pendant l'enfance.

La pièce d'Arnold Wesker commence par un film de l'enfance heureuse de son héroïne. Jenny, 30 ans, divorcée, traverse une période difficile qui l'amène à consulter une psychothérapeute, Valérie. Jenny se métamorphose, au cours de sa thérapie, jusqu’à affronter violemment son père en portant des accusations d'inceste. Elle rompt également avec le reste de sa famille.

« Pour en venir là, Valérie a utilisé toutes les cordes à son arc. Tout devient désormais sujet à interprétation, au moyen d’une grille unique. N’était-ce pas le rêve perpétuel de Freud, comme il le dit lui-même, d’« ouvrir tous les secrets avec une seule clef » ? (Webster, Le Freud inconnu, 1995) :

  • Jenny est déprimée, cela ne peut venir que de l’enfance.
  • Elle porte des lunettes, c’est qu’elle ne veut pas voir quelque chose de grave.
  • Son père a mis de côté pour elle de l’argent, c’est qu’il savait qu’elle allait rater sa vie.
  • Elle se gratte le bras, c’est parce que son bras comme tout son corps se souvient d’une souffrance...
  • Et puis, il y a la longue liste des symptômes "classiques", qui tous convergent vers le diagnostic d’une victime d’inceste : manque d’énergie, mauvaise estime de soi, tristesse chronique, sexualité compulsive, voracité compulsive... » (p. 2).

Toute la thérapie est orientée vers la recherche de traumatismes et de coupables. Ainsi, ce dont Jenny se souvient spontanément ne prouve rien, puisque seuls les événements à révéler auraient des effets. L'absence de souvenir conscient relève du déni et est en soi une preuve. Au lieu de s'assurer que la vérité révélée est bien celle de Jenny, Valérie lui en fait fabriquer une de toutes pièces, qui colle avec ses propres convictions.

Divers procédés manipulatoires sont utilisés :

  • prétendre que la patiente est libre de partir,
  • promettre une guérison prochaine,
  • faire peur,
  • appeler à la confiance,
  • séduire, montrer de l'empathie,
  • répéter sans cesse les mêmes idées.

La psychothérapeute divise la famille, accusant tour à tour le père et la mère, excitant la jalousie de Jenny et de sa sœur et préparant sa patiente à une confrontation agressive. En s'écartant de sa famille, Jenny se rapproche de sa thérapeute dont elle devient une disciple. Il s'agit d'un processus identique à celui de l'emprise sectaire.

Pourtant, une vraie psychothérapie ne saurait rendre le patient prisonnier de son passé. Pire, les méthodes de suggestions des TMR sont susceptibles de créer des troubles traumatiques, renforcés par le sentiment d'impuissance et le renoncement du patient. Finalement, de nombreux patients en TMR, venus consulter pour des problèmes psychologiques légers, sombrent dans des dépressions sévères, ne distinguant plus les fausses réalités des vraies.

Le dossier se termine par les résultats d’une étude menée sur plusieurs centaines patients de TMR, dans les années 1990 aux Etats-Unis. Cette étude met en évidence que :

  • 93% des accusateurs sont des femmes dont la moyenne d’âge est de 32 ans.
  • 77% des accusateurs exercent un métier en profession libérale ou sont des employés et cadres.
  • 92% des accusations font référence à des souvenirs refoulés.
  • 86% des accusateurs étaient en thérapie au moment des accusations.

Par ailleurs, cette analyse classe les patients de TMR en trois catégories :

  • les « refusers », qui refusent tout contact avec les personnes qui mettent en doute leurs opinions (56% des accusateurs) ;
  • les « returners », en contact avec leurs familles mais qui ne sont pas revenues sur leurs accusations (36% des accusateurs, 6 ans (0 à 14 ans) de séparation, en moyenne, avec la famille) ;
  • les « retractors », qui reconnaissent que leurs accusations étaient fausses et recherchent des relations au plein sens du terme avec leurs familles (8% des accusateurs, 5 ans (0 à 23 ans) de séparation, en moyenne, avec la famille) (p. 14).

2] En effet, les thérapies de la mémoire retrouvée (TMR) ne sont pas seulement l’argument d’œuvres littéraires ou d’analyses anglo-saxonnes des années 1990. Elles demeurent proposées aujourd’hui à des personnes qui, en France, aujourd’hui, souhaitent suivre une psychothérapie.

C’est ce que montre la condamnation d’une kinésithérapeute parisienne, par le tribunal correctionnel de Paris, le 23 mai 2017, à la peine d'un an assortie d'un sursis probatoire, pour des faits d'abus frauduleux de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne en état de sujétion psychologique et physique résultant de pression ou de technique de nature à altérer le jugement, commis entre 2002 et 2007.

Le jugement précise que la condamnée avait implanté chez ses patients des faux souvenirs d'abus sexuels pour les couper de leur famille et leur soutirer de l'argent.

De nombreux articles sont parus, au moment de cette condamnation. Libération note que les patientes, « des femmes pour la plupart, décrivent toutes le même scénario : des séances de kiné ou d'ostéopathie prodiguées par une certaine P., qui glissent peu à peu vers des psychothérapies sauvages. Au fil de ces rendez-vous hebdomadaires, réglés 100 euros en espèces, la thérapeute conduit invariablement ses patientes à raconter des souvenirs qu'elles n'ont jamais vécus, toujours en lien avec des abus sexuels prétendument subis durant l'enfance » (2).

Le Monde relate qu’à chaque patiente, la thérapeute « promet qu’elle va l’aider à « réparer l’enfant qui est en [elle] » et qu’elle est la seule « à pouvoir [la] sauver ». Elle pose à cela plusieurs conditions : des séances à 100 euros, toujours en espèces, sur plusieurs mois, voire plusieurs années, une « obligation de tout lui dire et de lui être fidèle », et surtout, en préalable à une thérapie « efficace », la nécessité de rompre avec l’entourage « néfaste », « destructeur » des parents et des autres proches. A ceux-là, exigeait-elle, il faut « faire un procès ». Pas devant la justice, mais un « procès symbolique » en face à face. La suite de leurs récits est terrible. « Elle m’a dit que je devais les pulvériser », raconte Patricia P. « Je suis allée voir mes parents à Toulouse pour faire leur procès. Je me revois comme un soldat qui exécute des consignes. J’ai hurlé à mon père qu’il m’avait fait des attouchements, qu’il était un monstre pervers et à ma mère qu’elle ne m’avait jamais aimée », poursuit-elle » (3).

Marianne présente également la finalité lucrative du scénario : « fragilisées, les patientes de la kiné sont emmurées dans une prison psychologique dont elle seule possède la clé. Toute-puissante, la praticienne convainc Katy W. de rompre avec son entourage. Puis de se débarrasser d'objets « entourés d’ondes négatives ». Parmi ces objets, son indemnité de licenciement. Elle persuade une autre patiente de lui céder un appartement du IIe arrondissement de Paris au prix dérisoire de 61 000 €. Il sera revendu deux ans plus tard au prix de 455 000 €, soit plus de sept fois sa valeur d'achat. « On avait l'impression que, si on s’éloignait d'elle, on allait errer dans les limbes », explique une victime aux enquêteurs. Au total, ceux-ci estiment les bénéfices de la kiné à plus de 1 million et demi d'euros » (4).

Dans la pièce d’Arnold Wesker, comme dans l’affaire jugée en mai 2017, on constate des traits communs et saillants :

  • le genre féminin et les moyens financiers des victimes,
  • le caractère incestueux ou incestuel des souvenirs « retrouvés »,
  • le fait que ces « souvenirs » émergent durant la thérapie, que cela ne constitue pas le motif de consultation initial des patients,
  • la contrainte de rupture avec les proches, l’isolement,
  • l’hétérogénéité des réactions des patients vis-à-vis de la thérapeute, au cours de la procédure judiciaire (on postule que les plaignantes sont devenues des « retractors », mais les articles mentionnent une « refuser », qui n’a pas porté plainte),
  • l’escroquerie et l’objectif vénal du ou de la thérapeute.

*****

Crédits et sources :

(1) Axelrad, Brigitte. « Faux souvenirs et manipulation mentale », Dossiers de l’Observatoire zététique (2008). Url : https://brigitte-axelrad.fr/obs-zetetique/

(2) Fansten, Emmanuel. « Faux souvenirs, vraie emprise », Libération (23/05/2017).

(3) Robert-Diard, Pascale. « Des familles en ruine affrontent une ancienne thérapeute devant le tribunal », Le Monde (22/02/2017).

(4) Simon, Bartolomé. « Psy : La fabrique des faux souvenirs », Marianne (10/06/2017).

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