Bien sûr il y a les fantastiques AG, où la parole passe vite vite, 2 minutes chrono (et encore, il ne faut pas répéter, les moulinets des bras ont tôt fait de faire comprendre que ça, on l'a déjà dit) mais où l'on entend toutes les voix. Celle des timides qui se lancent, celle du SDF un peu pris de boisson, mais qui nous aime et qui le dit, celle de l'intermittent qui sait causer mais qui n'aura pas plus que 2 minutes, celle de la lycéenne babultiante et encouragée, celle de celui qui n'intervient que 10 secondes, pour exhorter de ne pas dire "VOUS êtes formidables" mais "NOUS sommes formidables". La parole sérieuse et politique est forte. Mais ce n'est pas tout. Il y a tous les soirs le climat magique d'une fête éphémère. Des éclairages changeants, accrochés aux lampadaires, ou mieux, c'est le lampadaire entier qui est recouvert d'un drap, et qui diffuse sa lumière adoucie sur les stands d'une bibliothèque partagée. Infirmerie, plateau de la TV debout, stand de la radio debout, le village de la place est reconstruit tous les soirs.Tous les soirs, il y a des abris, des bâches, des ficelles... et des palettes. Omniprésentes, elles se montent et se démontent au gré des activités, estrades pour l'AG, sièges, et bien sûr tables. Ce sont des palettes qui supportent les grandes marmites fumantes des cantines debout, où mitonne la soupe du soir: navets un jour, tomates le lendemain, oignons, poireaux... Les légumes sont ceux des fins de marché, ou récupérés à Rungis. La corvée de pluche n'en est pas une, tant elle est partagée, car à peine vous posez la question, vous avez déjà l'épluche-légumes dans les doigts. Et cette soupe de récup partagée, gratuite (on alimente une caisse avec ce que l'on veut, si on peut), bonne, chaude, abondante, odorante, n'est pas l'un des moindres plaisirs du lieu, tant la météo des jours passés a souvent été froide et mouillée.
Et bien hier, Place de la République, les palettes et la soupe ont été jugées indésirables. Quiconque arrivait, portant tout ce qui de près ou de loin ressemblait à une planche était refoulé de la place. Voilà pour les palettes. Pour la bouffe, les CRS ont renversé dans le caniveau les marmites fumantes (http://www.lesinrocks.com/2016/04/news/marmite-gate-crs-vident-soupe-de-nuit-debout-caniveau/) . Sur twitter, c'est le marmitegate.
Comme quoi des légumes un peu flétris et des palettes de récup sont identifiés comme dangereux. Et ils le sont! Constructions d'un jour qui ne coûtent rien, nourriture de la foule en marche... se répand l'idée dangereuse que les manants en colère peuvent s'abriter et se nourrir sans rien débourser, (ni surtout non plus ne rien gagner!) , juste en faisant autrement...