Oh surprise ce week-end. Là où je vais boire la beauté du monde - entre Yonne et Aube, petit hameau, petite campagne, vieux murs qui sont une transmission, sur lesquels on peut lire une décrépitude heureuse - l'horizon des arbres lointains de la forêt d'Othe, tout l'horizon, est soudainement barré d'une ligne d'éoliennes gigantesques (150 m), qui se dressent, blanches, surgies en une semaine.
Le jour, on voit leur blancheur dressée entre le ciel et la terre, comme une ceinture, une clôture. La nuit, c'est pire: finie la nuit rurale, après l'extinction des trois lampadaires du hameau, à 11 heures, quand se desserrait l'étreinte humaine, où le monde n'était que vent, étoiles, lune, cris furtifs d'animaux. Elles clignotent rouges, toutes les 3 secondes, en permanence, tuant le noir nocturne pour toujours. Elles sont visuellement proches, mais pourtant assez loin (6 km), hors du territoire de la commune, hors du département même, pour certaines, donc nous n'avions aucune prise sur les décisions.
Quand un des habitants du lieu avait couvert le versant sud de sa grange de panneaux solaires, cela avait généré une discussion générale, et nous avions même envisagé une éolienne au hameau, de 6 mètres de hauteur, à échelle humaine, donc.
La beauté d'un paysage lointain n'appartient pas à ceux qui le contemple. Elle découle de la propriété des sols. Les agriculteurs ont accepté le marché. Et vu leur situation actuelle, on peut les comprendre. Cette campagne n'est pas touristique, pas protégée par un "Parc national". Le préfet a avalisé le projet, monté par une société privée de vente d'éoliennes, Enel Green Power, implantée sur plusieurs continents.
L'énergie du vent est une belle énergie. Mais je croyais que l'éolien serait local, concerté, avec une prise de décision des habitants. Que chacun ne verrait que les éoliennes qu'il aurait acceptées. Comme les petites stations d'épuration qui se mettent en place dans la région. Il n'en est rien. Dans ce paysage qui était le mien, je ne vois plus que les éoliennes des autres. Le gigantisme de cette implantation, qui s'étale sur 5 communes, montre combien ces monstres dépassent les habitants. Il y a perte irrémédiable d'une beauté qui était juste offerte, présente, lisible. Une transformation formidablement brutale pour ceux qui vivent du monde.