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Où sont passés les artistes? Il est temps d’écouter leurs urgences créatives.
De Elisabetta Sbiroli, actrice, metteur en scène de théâtre.
Article paru dans le quotidien “Repubblica”, pages de Bari, du 23/03/2021
A quoi ça sert, la culture? Paraphrasant le titre d’un pamphlet de Tomaso Montanari, “A quoi sert Michelange?”, nous pouvons nous demander aujourd’hui à quoi peut servir la culture. Montanari écrit: “Il y a une idée qui circule - à l’intérieur même du Ministère des Biens Culturels italien ces dernières années - suivant laquelle l'Italie pourrait devenir un énorme Disneyland culturel : mais est-on sûrs que c’est vraiment à ceci qui doit servir le tissu artistique et paysager dont nous avons hérité et que nous sommes en train de ruiner?” La question devient plus compliquée évidemment si on pense non seulement à la tutelle du patrimoine hérité du passé, mais aussi à la production culturelle contemporaine.
Fabrizio Bellomo a parlé de façon provocatrice d’une culture “morte”, en opposition à une culture “vivante” pour laquelle il n’y aurait plus besoin d'espaces dédiés. L’artiste d’aujourd’hui, à son avis, crée dans la rue, ou plongé dans la nature: comme un génie romantique fatigué par la culture, et pourtant toujours obsédé par ses visions.
Mais puisque tourisme et culture forment un binôme gagnant (et qu’il s’agit d’une opinion partagée par beaucoup de gens), il faudrait mieux prendre soin des vieilles pierres et des chefs-d'œuvre qui font pleuvoir une manne économique sur ce pays devenu inculte. Et revoir la logique expositive des musées, en créant des parcours d’approche à l’art, soit-il classique ou contemporain, pour un public de tout âge. L’exemple de l’extraordinaire “conteneur” inventé par Renzo Piano pour le Centre Pompidou montre bien comment une approche plus démocratique à la connaissance et à la pratique de l’art peux profiter à la communauté entière, et non seulement à des touristes de passage.
Nous étions là donc à nous demander ce que l’on pourrait bien inventer, pour remplir de contenus les nouveaux conteneurs de la ville de Bari, quand la pandémie est arrivée, et elle a tout changé. Tout? Pas vraiment, nous nous sommes après tout adaptés assez facilement au changement, en renonçant à la nourriture spirituelle de la culture vivante, pour la remplacer par ses succédanés en streaming. Plutôt que la pandémie, c’est l’échec de la candidature de Bari à devenir capitale italienne de la culture qui fait revoir les vieilles habitudes. Angelo Ceglie a le mérite d’avoir lancé la réflexion sur les défis de demain avec l’image de Bari analoga empruntée au projet utopique (et pour certains aspects un peu obscur) de Aldo Rossi.
On cite aussi la réussite même économique du modèle culturel français, en oubliant par contre qu’elle n’est pas seulement le fruit de choix éclairés de politique culturelle, comme celui de la décentralisation, mais aussi le résultat de luttes syndicales encore palpitantes. En Italie, la tentative faite par Paolo Grassi dans l'après-guerre est restée isolée. Il n’est pas inutile de rappeler que déjà il y a cinquante ans, il proposait d’amener les enfants à la Scala De Milan. A la demande: “à quoi ça sert la culture?”, Grassi aurait répondu: à faire un peuple.
Dans quelle mesure les artistes participent-ils au débat d’aujourd’hui? Pas seulement les très célèbres qu’on essaye d’attirer à Bari avec des images de carte postale, mais aussi ceux qui essayent de poursuivre ici leurs recherches avec beaucoup de peine. Où est passée, par exemple, la génération d’artistes réunie sous l'étiquette Z/000, dans la belle expo organisée par Christian Caliandro? Dans quels espaces, dans quels réseaux peuvent- ils produire et exposer leurs œuvres? Où sont passés les acteurs convoqués avec Licia Lanera à l’inauguration du nouveau Théâtre Piccinni à Bari? Dans quels lieux, situés aux antipodes du centre, continuent-ils à répéter et à présenter leurs spectacles?
Même dans le domaine culturel, comme dans chaque entreprise, il n’y aura pas d’excellence si on ne fait pas place à la recherche et à l’expérimentation.
Pour contribuer à la réflexion sur le futur de la culture dans cette terre de Bari, je voudrais inviter les experts à penser le centre à partir des périphéries. A Putignano on est en train d’essayer. Putignano, une petite ville à quarante km de Bari, célèbre pour son Carnaval. Ici aussi nous avons un problème de conteneurs, un en particulier: un nouveau théâtre, qui pourrait être ouvert au public à la fin de l'année, si le Covid le permet. Nous sommes en train d’essayer de mettre autour d’une table virtuelle artistes et techniciens, spectateurs et sponsors, poètes et administrateurs de la chose publique. Nous discutons du futur de notre Théâtre Communal. Pas un conteneur, mais un outil pour créer des opportunités de travail et de croissance non seulement économique, mais aussi culturelle pour la communauté.
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Portfolio 26 mars 2021
A quoi ça sert la culture?
Je recois et je partage avec vous l'article de Elisabetta Sbiroli paru dans le quotidien italien Repubblica, pages de Bari, du 23/03/2021
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