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Portfolio 22 septembre 2024

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Musée précaire Albinet : une utopie réaliste ? Récit par l'anecdote

Discours tenu à l'occasion des 20 ans Musée Précaire Albinet, le 21 septembre 2024. Au printemps 2004, au cœur du Landy à Aubervilliers, le Musée Précaire Albinet, construit et déconstruit avec les habitants, exposait pendant 8 semaines les plus grands artistes du XXe siècle, en partenariat avec le Centre Pompidou.

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  1. Illustration 1

    Lorsqu’Yvane (Chapuis) et Thomas (Hirschhorn) m'ont écrit il y a quelques semaines, pour me faire part de ce projet de commémoration critique, j’ai douté. En quoi cette expérience a compté ou pas dans ma vie? me demandait-on. Que me restait-il, 20 ans après de cette expérience ? Avant ce mail, il y a quelques mois, je n’y avais pas pensé depuis longtemps. Non pas que cette expérience n’avait pas été importante, au contraire, mais cette expérience n’avait pas été simple, facile, légère. Ce mail a rouvert la porte aux images et aux souvenirs. En premier, j’ai revu le trajet en RER et le chemin que je prenais pour rejoindre ce quartier et la rue Albinet. J’ai revu après le bâtiment de placo, les tags, le scotch omniprésent, les vitres de plexi gravées, les canapés défoncés, les effluves de shit et les beignets. J’étais stagiaire au musée, chargée des contrats des jeunes (donc des plannings et de la paie des jeunes souvent propices à la tension et à la négociation) et de la documentation photographique si mes souvenirs sont exacts. Je me suis souvenue aussi de la fatigue les soirs quand je rentrais chez moi, de la tension vécue sur place dans cette expérience que je savais déjà unique et extraordinaire (une nervosité plus qu’une tension, comme si tout était électrique et pouvait exploser à tout moment… je ne parlerais pas de la violence des jeunes à mon égard (verbale et non physique, relationnelle en tous les cas) _ qui tous ont reconnu 20 ans après n’avoir pas été tendres avec moi, mais s’il y avait la violence des jeunes il y avait aussi la violence du monde de l’art, un monde lissé et poli mais bien plus violent), et des questionnements qui m’avaient occupé longuement et qui m’occupent encore. Mais je ne suis plus l’étudiante que j’étais il y a 20 ans. A l’époque, le Musée Précaire était mon sujet de mémoire de maîtrise d’esthétique. Rapidement après, je partais pour New York pour un autre stage, avant de terminer mes études, de voyager et finalement d’aller travailler auprès des personnes exclues pendant presque 10 ans. Pour finalement quitter mon travail auprès des habitants de bidonvilles et des sans abri, faire une thèse et devenir enseignante chercheuse. J’y reviendrai. Ces méandres de ma vie, n’avait a priori aucun rapport. Que me reste t il donc de l’expérience du musée précaire ? Pour me rappeler, j’ai exhumé mes souvenirs : j’ai lu les articles de presse de l’époque, des articles scientifiques citant Thomas ou le Musée, j’ai relu mon mémoire, j’ai feuilleté en détail la grosse publication qui recensait l’histoire et le quotidien du musée, j’ai vu le film, … j’ai reconnu les visages, je me suis souvenue des prénoms. Pour raconter « mon » Musée précaire (car l’enjeu est à mon avis dans ce possessif _ à partir de ma position / mon expérience), je voudrais partager trois souvenirs, trois anecdotes qui m’ont laissé un arrière goût amer. Je m’excuse, ce sont mes souvenirs de mon musée, les souvenirs d’une jeune fille de 22 ans blanche et privilégiée.

  2. Illustration 2

    Le soir du premier vernissage Je revois quelques personnalités, issus du monde parisien de l’art, se vanter d’avoir passé le périphérique pour venir. J’ai le souvenir d’une vitre cassée dans une belle voiture. C’est flou _ est-ce vrai ? Ce qui est sûr c’est que ce soir-là des mondes s’entrechoquaient le “monde de l’art” d’un côté, le “monde du quartier” de l’autre, deux groupes, deux grappes distinctes, qui évoluaient dans le même lieu sans se rencontrer. Hormis Thomas et Yvane qui passaient d’un groupe à l’autre. L’ouverture de l’espace urbain allait-il suffire à se faire rencontrer des personnes et des cultures à la fois si proches et différentes ? Tout au long du musée, les objets et les personnes passeront de l’autre côté du périph. Mais dans un sens plus qu’un autre … L’Atelier de Thomas est à quelques rues, pour autant avant le projet (et pour certains ce soir-là encore), les gens du quartier ne connaissaient ni l’homme ni l’atelier et lui ne les connaissait pas. Cette œuvre d’art se voulait la tentative de créer un être ensemble plus qu’un vivre ensemble. Les jours passant, les habitants se sont assez vite appropriés le lieu, les habitants entre eux se sont rencontrés (je me souviens de ces tables devant la buvette lorsqu’il faisait beau et de ces conversations de femmes surtout) mais au-delà du quartier, le collectif s’est il vraiment fait ? A-t-on vraiment été au-delà d’un côtoiement entre le monde de l’art et le monde de la rue Albinet ?

  3. Illustration 3

    La Kermesse A la fin du Musée, après la déconstruction physique du lieu (qu’il a fallu expliquer, réexpliquer, argumenter), il y a une sorte de kermesse. Les outils et les objets ayant permis la construction du musée, de la buvette, étaient étalés par terre comme pour une tombola géante sur les traces mêmes du musée disparu. Au milieu, une immense montre de carton et de scotch réalisée et signée par Thomas. Je revois le jeune ayant obtenu ce lot, l’attraper sous le bras et s’éloigner rapidement des autres, avec son trophée, dans une nervosité et une quasi agressivité qui n’était que la suite logique de la tension ininterrompue vécue au sein du musée. En effet, tout au long du musée, il y avait ce sentiment que tout n’est que tension et exagération. Même les moments calmes, quasi endormis, le matin par exemple, pouvaient d’un coup s’animer, s’agiter, s’énerver. Il y avait une tension dans le rapport direct à l’autre, au voisin, au jeune, à l’artiste. Tout reposait sur une forme d’exagération, comme si cette dernière était liée à l’objet même, à l’œuvre d’art. Cette montre, cette œuvre, liée à l’artiste plus qu’au musée, n’avait évidemment pas la même valeur que les pelles, visseuses ou livres déposés par terre. Thomas tenait le musée, omniprésent, omniscient, génie, malgré les dires et les articles, ce musée m’a souvent semblé l'œuvre de Thomas plus que des habitants. Dès lors, qui était au service de qui ? Étions nous des fantômes au service de l'œuvre ou de l‘artiste ?

  4. Illustration 4

    Retour à Beaubourg Quelques jours après le musée précaire (une semaine ? un mois ? six mois ?), je me rends au Musée Pompidou. A l’entrée, passée la longue file d’attente du parvis, quelques agents de sécurité devant qui les visiteurs doivent ouvrir leur sac avant de passer les portiques. De loin, je repère un visage que je connais, il s’agit d’un jeune du musée. Un des jeunes que j’avais côtoyé. Mal à l’aise, je me déplace pour passer devant un autre agent, que je ne connais pas, et ne pas me retrouver face à un de ces anciens collègues. Est-ce la seule place, celle d’agents d’accueil, que l'institution voulait bien laisser à ces jeunes avec qui on a travaillé, sué, pour construire une œuvre d’art ? Ce jour-là, j’ai été très mal à l’aise. Mal à l’aise d’être face à un ancien collègue, de devoir ouvrir mon sac devant lui, mal à l’aise de l’avoir éviter ne sachant plus en dehors de cette bulle utopique du musée me comporter. La valeur de l’œuvre d’art s’était-elle faite au détriment des individus participants ? Est-ce cela les promesses de parcours d’insertion professionnelle qui avaient été faites pour l’après-musée ? Mais peut-être n’y avait-il jamais eu de promesses ? Est ce que ça pouvait être autrement ?

  5. Illustration 5

    Pour conclure, revenons à la demande d’Yvane et de Thomas… en quoi le MPA avait impacté ma vie ? En me remémorant le MP, les choses se sont imposées, je ne pouvais nier que ces quelques mois, que cette expérience, dans ce que je pourrais qualifier d’une expérience utopique réaliste, aux marges de la capitale, avait percuté ma vie. J’ai appris qu’il n’était pas inconséquent d’être fou, ambitieux, exubérant et utopiste. Je découvrais que la persévérance avait raison et qu’il ne fallait pas se satisfaire des idées reçues. Aujourd’hui enseignante et chercheuse, je travaille sur les mobilisations à destination des exilés en France. Je me concentre sur ce qui est appelé l’hospitalité alternative : ces hommes et ces femmes, à St Brieuc, Paris, Avignon, Marseille, Bordeaux, à la campagne ou en ville, qui accueillent, hébergent, accompagnent les exilés pour pallier les politiques publiques défaillantes, insuffisantes ou maltraitantes. Ils ouvrent leurs foyers, achètent des appartements ou des maisons, squattent des bâtiments et tentent d’y inventer une autre manière de vivre ensemble et de prendre soin des uns et des autres. Ces lieux en marge, aux marges sont ce que j’aime appeler des “utopies - réalistes » pour reprendre les mots de Thomas, qui s’efforcent de remettre en question le monde et les relations de pouvoir, qui jouent avec les codes des institutions, avec ces institutions mêmes, avec ce qu’elles sont et ce qu'elles font. Dans ces lieux d’utopie collective, comme dans le Musée Précaire, des convaincus _ peut être un peu fou _ tentent de s’imposer à la réalité collective pour l’expérimenter et, peut être, l’améliorer.

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