Agrandissement : Illustration 1
Le visage de Transito Amaguaña est peint sur beaucoup de murs en Équateur, à Quito, à Cayambé,... mais c’est à La Chimba, au pied du majestueux volcan Cayambé endormi sous la neige, que vécut et repose l’une des leaders emblématiques du mouvement indigène qui bouscula au XXème siècle l’oligarchie raciste équatorienne.
Agrandissement : Illustration 2
Née à La Chimba en 1909 de paysans Kichwa, Transito Amaguaña fut très tôt marquée par les traitements inhumains infligés aux Indiens. Âgée d’une vingtaine d’années, elle participa activement au mouvement de protestation, en première ligne dans les grèves et les marches. Elle devint ainsi une des figures importantes du mouvement indigène et milita au sein du parti communiste équatorien créé en 1926. Cette lutte permit que cessa le servage (huasipungo) dans les haciendas tenues par de riches propriétaires, et que la terre soit rendue aux communautés indiennes.
Que les salaires soient augmentés
Que le travail se finisse le samedi
Que le journée de travail ne dure que huit heures
Que soit supprimé le cumul du travail et de la corvée
Que soient restitués les terres
Que soient supprimés l’impôt sur les récoltes
Que soient supprimés le huasipungo
Nous nous déclarons en grève ! Et nous arrêtons le travail !
Extrait des revendications de la grève de 1931 qui valut à Transito Amaguaña plusieurs années de clandestinité.
Elle décéda en 2009. Sa tombe imposante marque désormais l’entrée de La Chimba. L’ancienne hacienda où sa famille a été asservie a été reconvertie en centre culturel dédié à sa mémoire. Selon son souhait, sa tombe est faite d’autant de petites pierres que d’Indiens qui ont lutté à ses côtés.
Agrandissement : Illustration 3
Devant le centre culturel, Maura Necpas s’entretient avec une femme de la communauté portant les habits traditionnels. Responsable du centre, Maura a à coeur de transmettre l’histoire de sa communauté et de Transito Amaguaña.
Agrandissement : Illustration 4
La rue principale de la Chimba à proximité de la maison de Maura. Un peu plus haut l’église et le stade de foot et quelques petites épiceries. Les voitures et les motos remplacent depuis une vingtaine d’année les chevaux et la marche à pied.
Agrandissement : Illustration 5
En remontant la rue principale, on tombe sur l’ancienne école de la communauté. Grâce au combat de Transito Amaguaña, les enfants purent au début des années 1950 suivre pour la première fois un enseignement bilingue Kichwa et espagnol. Le Kichwa est un dialecte de la famille de langue Quechua langue parlée par les Indiens des Andes de la Colombie au Chili.
“Mes parents parle Kichwa. Je le comprends mais je le parle peu. Mes enfants ne le parlent pas” - Maura.
Aujourd’hui, les enfants de la Chimba se rendent à l’école primaire flambant neuve de la communauté voisine, Pisello, construite dans le cadre du projet Unidades Educativas del Milenio lancée par l’Etat en 2005.
Agrandissement : Illustration 6
Maura est devant l’arbre qui borde l’un des terrains de sa famille, à côté du cimetière. Son mari et son fils construisent un petit muret pour délimiter ce qui sera un jardin de plantes médicinales. Maura tricote une écharpe pour sa nièce dont la mère est serveuse dans un restaurant à Barcelone. Ses deux frères habitent également en Espagne, l’un pense revenir, il travaille pour un maraîcher et La Chimba lui manque.
“Je n’ai pas envie d’aller en Espagne, j’ai lu beaucoup de choses sur ce pays, sur la manière dont ils traitent les étrangers et je n’ai pas envie d’y aller.”
Ses trois autres sœurs vivent à Quito. Seule Maura et sa sœur aînée sont restées à La Chimba.
Agrandissement : Illustration 7
En rentrant chez elle, Maura coupe à travers champs, au milieu des vaches et des cochons. Elle passe devant l’unique terrain de la communauté recouvert de serres de roses. Maura raconte que le propriétaire n’a pas daigné donner ne serait-ce qu’une rose pour l’hommage à Transito Amaguaña qui a lieu les 10 mai de chaque année. “Un égoïste ! C’est grâce aux efforts de Transito qu’il a pu avoir ce terrain, elle ajoute, en souriant, peut être qu’un jour les roses perdront de leur valeur.”
La Chimba est devenue une communauté le 11 août 1971. Chaque famille reçut alors 6 hectares de terre. Aujourd’hui la communauté compte environ 350 familles.
Agrandissement : Illustration 8
En Kichwa, La Chimba signifie “rivière tressée”. Plusieurs rivières sillonnent les flancs du volcan enneigé, surnommé “El nevado Cayambé”, et se rejoignent à la Chimba. La communauté dispose d’importantes réserves d’eau, ainsi qu’un vaste réseau d’irrigation des parcelles familiales.
Agrandissement : Illustration 9
A La Chimba, chaque famille possède ses vaches laitières et vend 25 centimes ($) le litre de lait à la coopérative de la communauté, El Acopio. Là, les 9000 litres journaliers sont conditionnés pour la vente ou transformés en fromage.
“Ici à la Chimba, la partie économique n’est pas la plus dure. Nous avons le lait et la terre. Il ne manque que les fruits. Ce qui est le plus dur, c’est le travail.”
Un voisin s’occupe des sept vaches de Maura et de son mari. Elles sont sur un terrain à quelques kilomètres de leur maison où ils élèvent également des poules et des cochons d’Inde. Mais ils ont peu de temps pour s’occuper de leurs terrains et des animaux.
Tous deux se sont fortement impliqués depuis plusieurs années dans la vie politique de la région au sein du parti Pachakutik, héritier des mouvements indigènes inspirés par Transito Amaguaña. Après avoir travaillé au sein de l’équipe municipale de la ville de Cayambé, Maura a préféré revenir à la Chimba pour s’occuper à plein temps du centre culturel. Son mari est élu muncipal et passe ses fins de semaines à Quito pour y suivre une formation en gestion des affaires publiques.
Agrandissement : Illustration 10
Maiite, la fille de Maura, fait partie de l’équipe de foot féminine de La Chimba qui dispute un match ce week-end. Maiite est née à Quito, comme ses deux frères, Pablo et Sayani. Maura a voulu accoucher dans une clinique. Mama Ursula, la mère de Maura a accouché chez elle à la Chimba : Maura est née quelques maisons au dessus de la sienne.
Agrandissement : Illustration 11
Dona Germina est la dernière proche (« companera ») de Transito Amaguaña encore en vie à la Chimba. Lorsque Maura nous a conduit à sa rencontre, elle revenait des champs vêtue de ses habits de travail. Elle voulait être photographiée dans la tenue traditionnelle des femmes de la Chimba. Elle nous montre le bâton derrière elle, “pour chasser les gringos s’ils attaquent !”
Plusieurs adolescents de La Chimba, dont Maiite et Pablo, ont réalisé des portraits des anciens de la communauté que l’on retrouve sur le mur du centre. Maura est à l’initiative de ces rencontres, prenant prétexte des photos pour renouer le lien entre des générations que l’essor économique et social de l’Équateur de ces dix dernières années éloignent peu à peu.
Agrandissement : Illustration 12
Quelques jours après la rentrée des classes, Maiite retourne au collège. Dès 6h20, chaque matin, elle parcourt à pied les deux kilomètres de chez elle à Olmedo puis elle prend le bus jusqu’à Cayambé. La route est meilleure depuis Olmedo et le trajet est moins long.
Agrandissement : Illustration 13
Dans la main de Maura, les couleurs du polaroïd se révèlent peu à peu. Nous venons de prendre une photo d’elle et de Maiite. Avant notre départ, Maiite nous donne son adresse Facebook. Elle vient de rentrer du collège mais elle a pris le temps de quitter son uniforme. Elle et son grand frère, Pablo, ne se voient pas vivre à La Chimba à l’âge adulte. Pablo étudie l’électronique à l’université d’Imbara et Maiite espère pouvoir entrer d’ici quelques années dans l’armée équatorienne, la FAE (Fuerza Aérea Equatoriana) pour “faire des stages de survie dans la forêt amazonienne”.
Agrandissement : Illustration 14
Lucero de la mañana, lucero de la mañana
préstame tu claridad, préstame tu claridad.
Ya va cerca amanecer, ya va cerca amanecer
Para seguir caminando, para seguir caminando.
Vamos, vamos señor maestrito, vamos señor maestrito
Si alguna prima le falta, aquí está mi corazón.
Lumière du matin, lumière du matin
Prête moi ta clarté, prête moi ta clarté
Voilà que commence l’aube, voilà que commence l’aube
Pour continuer à cheminer, pour continuer à cheminer
Allons, allons camarade, allons camarade
Si quelque cousine manque, voici mon cœur
Extrait d’une chanson chantée par Transito Amaguaña et ses compagnons lors des marches de protestations, les levamientos. Les Indiens partaient de la Chimba à trois heures du matin pour arriver en fin de journée ou le lendemain matin à Quito. Transito Amaguaña a fait au cours de sa vie, plus d’une trentaine de marches.
Agrandissement : Illustration 15
Quelques dates...
Il y presque 2000 ans, les peuples Karankis et Kayambis étaient déjà installés dans la région de Cayambé. Peuples d’agriculteurs dont le lien à la terre, dénommée “Pachamama”, était sacré. Ils cultivaient principalement du maïs, du quinoa, des pommes de terre, du yuca, des haricots et élevaient des cochons d’Inde et des lamas.
1498 : conquête Incas. Bien que l’occupation ne dura que 19 ans, l’influence des Incas fut très forte sur l’organisation sociale et politique des peuples de la région.
Juillet 1534 : conquête et arrivée des Espagnols dans la région de Cayambé
14 et 15 novembre 1777 : révolte des communautés indiennes de Cayambé qui attaquent les haciendas et l’église de la ville, réprimée sévèrement par l’armée. L’asservissement des indiens se poursuivra sous la République.
13 mai 1830 : proclamation de la République d’Equateur
6 novembre 1908 : le gouvernement du président libéral Eloy Alfaro promulgue la loi expropriant les biens de l’Eglise au bénéfice de l’assistance publique. De nombreuses haciendas appartenaient à des ordres religieux, dont Pesillo à laquelle La Chimba était rattachée.
19 septembre 1909 : naissance de Rosa Elena Amaguaña Alba (Mamà Transito) à La Chimba
1926 : fondation du Parti Communiste de l’Equateur (sous le nom initialement de Parti socialiste). Rosa Elena Amaguaña Alba signe son adhésion du nom de Transito Amaguaña.
6 janvier 1931 : les syndicats El Inca y Tierra Libre originaires d’Olmedo dépose 17 revendications et appellent à la grève dans les haciendas de Cayambé. La première revendication demande le renvoi des employés maltraitant les indiens et l’interdiction absolue d’utiliser des garrots et tout autre punissements corporels.
1944 : création de la première organisation indigène d’Equateur (FEI) auquel participe Transito Amaguaña.
1946 : premières écoles bilingues à Cayambé selon les souhaits de Transito Amaguaña.
1964 : première réforme agraire (et de colonisation des terres) sous la junte militaire, abolition du huasipungo. Dix ans avant, 0,4% des exploitations agricoles se partageaient 45,1% des terres agricoles en Equateur, alors que 73,1% des exploitations représentaient seulement 7,2% des terres agricoles du pays (source : Reforma Agraria en el Ecuador, Fausto Jordán B).
1973 : poursuite de la réforme agraire sous la deuxième et dernière junte militaire.
1986 : création de la Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE) regroupant les principales confédérations indigènes du pays.
1990 : la CONAIE organise le plus important “levamiento” qu’est connu l’Equateur, des milliers d’Indiens marchent vers Quito et réclament en premier lieu, dans un texte en 16 points, la reconnaissance d’un état plurinational et un nouveau partage des terres et des ressources en eau. Ce mouvement se poursuivra pendant près de dix ans et aboutira à la révision de la Constitution en 1998.
1995 : création de Pachakutik, parti politique de la CONAIE, dont le drapeau arc-en-ciel symbolise l’unité plurinationale.
2006 : élection de Rafael Correa à la présidence de la république avec le soutien entre autre de Pachakutik et du Parti Communiste.
2009 : Pachakutik retire son soutien au gouvernement de Rafael Correa suite à un désaccord profond quant à une nouvelle loi sur l’eau et l’organisation des institutions locales.
10 mai 2009 : mort de Transito Amaguaña.
9 août 2009 : inauguration du centre culturel Transito Amaguaña à la Chimba en présence de Rafael Correa, Evo Morales et Rigoberta Menchu.Texte : Laura Tirandaz et Jean-Baptiste Veyrieras
Photos : Jean-Baptiste Veyrieras
Portfolio 16 janvier 2017
Le lait et la terre de La Chimba
Tout près du volcan Cayambe, non loin des immenses plantations de roses exportées dans le monde entier, se tient le village de la Chimba. Village producteur de lait, vivant au rythme des traites et des matchs de foot, la Chimba est aussi l'un des rares lieux de mémoire des luttes des Indiens qui furent exploités dans les grandes haciendas de la région : Juan Montalvo, Moyurco, Pesillo...
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.