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Portfolio 14 mars 2016

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Vingt pour cent / 2

La Creuse affiche un taux de pauvreté particulièrement élevé, proche de 20%. Ce chiffre représente des hommes, des femmes, des familles. Des ruraux. Des néo-ruraux qui n’ont plus les moyens de vivre en ville. Je traite ici le sujet sous l’angle de leur quotidien et leur donne la parole sous forme d’entretiens.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Illustration 1
    © Yann Merlin
  2. Illustration 2
    © Yann Merlin

    POLYXENE 

    J’ai pas besoin des autres pour qu’on me renvoie une image de moi. Beaucoup de gens base leur relation sur l’image. Donc je suis toujours en porte à faux avec les gens car je ne me sens pas comme eux. J ai plusieurs amis qui m'appelle le fossile. J’ai un aspect primitif. Si quelqu'un me plait pas, je ne peux pas me retenir – je leur rentre dedans – d’une certaine façon, c’est un handicap car après j'ai des regrets. Par exemple quelqu'un vient acheter un tableau et je peux « l'envoyer chier », c’est en ce sens que c'est un handicap.

     

    Je suis arrivée en France, en Alsace, à l'âge de 11 ans. Je me souviens de la première fois que j'ai mis des chaussures, j'en ai pleuré. Mon père était légionnaire. Tous les six mois, on changeait de garnison. Donc on a grandi dans une certaine instabilité. Je suis né à Bordeaux et 4 jours après, j étais au Maroc. J’ai vu Ivanhoe, un mec en djellaba qui massacrait les civils. On a quitté le Maroc en 56. On a fait une étape à Lyon et on a suivi mon père en Algérie en 58 jusqu'en 59. Mon père était grec naturalisé français. Mes parents n'étaient pas mariés car ma mère avait fait de la prison pour abandon de famille. Mon frère est né en 1947. Elle était à la Roquette. J ai fait la route toute seule. J ai posé mon sac à dos en 1999. Pour moi, les études c'était important mais je ne suis pas une personne de compétitions. Ma mère disait a partir du moment où tu connais les règles du jeu, tu peux les transgresser. J'ai fini mes études en 1971. Mes parents m'ont envoyée fille au pair en Allemagne, à Hallen – je suis arrivée la veille de la mort du Général de Gaulle –. Puis, je suis devenue gouvernante d’une grande famille bourgeoise. J’ai fait de l’avion. Visité la riviera. Petite, j’avais voyagé en Europe mais je ne connaissais pas la France c’est pour cela que j ai voulu faire la route. Je travaillais, je mettais mes sous sur mon livret d’épargne. A l’époque, on pouvait gagner sa vie sans aucun problème. Je faisais le service, je ramassais des fruits, j’étais caissière, on n'avait vraiment pas de problèmes à l'époque. J’ai fini mes études à Aix-en-Provence. Ma meilleure amie était de Lacoste. Ma mère était concierge à Paris, j'avais aussi une chambre de bonne pour 100 francs par trimestre. Mes parents se sont séparés. Chaque fois qu ils étaient ensemble, cela finissait au couteau. En soixante-huit, j'étais à Toulon. Pendant la révolution, j'allais à la plage.

    En 72, j ai rencontré un garçon. On travaillait l’hiver. On partait à pieds. On allait de squat en squat. En ville, c’était des maisons et à la campagne des communautés. Il y en avait qui étaient motivés mais les autres étaient là pour profiter: la liberté sexuelle, de la bouffe, de tout ce qu’ils pouvaient. Il y avait beaucoup de gosses de riches. Une fois j' ai essayé le LSD, j’entendais les fourmis marcher. Les gens travaillaient, rentraient le soir. Ma spécialité, c’était de sentir le flic avant qu il arrive. On faisait de l'artisanat. Il y avait aussi un partage des savoirs. J’ai revu une communauté qui a tenu le coup à Carcassonne. J’ai quitté Pierre pour Pedro en 75. Nous avons eu trois enfants mais nous avons vécu ensemble à partir de 1999. Je me suis spécialisée en téléxiste de 78 à 94. A partir de là, le monde du travail a changé. Le télex est mort et j ai dû me réorienter. J'ai choisi le tourisme vert. Entre 94 et 96, j ai cherché à developper un projet avec le propriétaire d’un château mais cela n a jamais vraiment décollé alors je me suis retrouvé brusquement sans ressources. J'ai contracté un crédit puis deux puis trois pour faire face au frais de la maison que j avais achetée en 1982. Je n’avais plus un rond. On a du aller au restau du coeur. J’ai très mal vécu cette période. J’étais pressée d'en sortir car c'est un cercle vicieux. On me faisait faire des ateliers dits de réinsertion. Je leur disais: vous croyez que c'est avec votre pâte à sel que je vais retrouver du boulot? On nous menaçait de nous couper le RMI si on ne suivait pas les ateliers. Quand j étais aux ateliers, je ne pouvais pas m’occuper des bêtes, du jardin. J'ai reçu aussi des gens qui étaient dans la misère. Un ami de la famille, un couple, un jeune qui sortait de prison, des auto-stoppeurs qui vagabondaient. Ma mère était comme cela aussi, j'ai été élevée avec un esprit de solidarité tout en sachant que souvent c’est sans retour. Quand on a eu l’habitude de vivre avec 500 euros, alors quand on vit avec 950 euros c’est le paradis. Je tiens les comptes car mon mari ne sait absolument pas gérer. J'ai 33 euros d’internet, 109 euros de mutuelle, 30 euros d’assurance hospitalisation, 50 euros d’assurance vie pour Pedro, 32 euros de téléphone fixe, 54 euros de taxe foncière, 40 euros d'essence, 50 euros de dette d’honneur, 70 euros par semaine d’alimentation, 200 euros de crédit, 54 euros d'assurances. Il ne me reste pas grand chose mais j’aide un peu mes enfants. J'ai une fille artiste sculpteur sur bois et un autre coutelier d’art. Le plus grand je ne le vois plus depuis 2004. La crise je la vois très mal surtout pour les enfants. On a oublié d’expliquer aux enfants ce que le mot liberté veut dire et tout cela nous entraîne vers le fascisme.

     

  3. Illustration 3
    © Yann Merlin

    PEDRO ( Mari de Polyxene)

    J’avais acheté un âne. Je croyais que le monde allait suivre mon exemple et c’est le contraire qui est arrivé. Le monde de la productivité est incapable de se projeter dans un avenir lointain et ça a réussi à me mettre à terre. Le monde à l’ancienne demande des bras et des cerveaux et il demande de la solidarité de services. J’ai 60 ans. Physiquement, je ne peux plus suivre. La différence entre l’animal et la machine, c’est le vivant. La chèvre ne produit rien pendant 7 mois. Est-ce que je dois arrêter de la nourrir ? Les paysans sont solidaires entre eux. La machine est 1000 fois plus puissante que l’animal, ce qui fait que l’homme se prend pour un surhomme. Si nous pouvions travailler en gérant le rythme. La machine par essence, c’est l’opposé des corps, de la nature et de l’esprit. Le travail de la terre est nécessaire pour sentir le rapport au vivant. Terre préparée graine par graine, l’une après l’autre, pas pour le rentable, mais pour la relation à la nature. Cultiver, c’est d’une certaine façon, l’acte créatif le plus important. Mettre la graine. Il y a des légumes qui sont hommes et des légumes qui sont femmes. Planter la graine, c’est l’acte de fécondité. Et c’est le jardinage qui m’a reconstruit. Je n’étais pas un enfant voulu. J’ai été laissé à ma grand-mère et ma grand-mère m’aimait comme une mère mais je n’aimais pas ma grand-mère comme un fils car ce n’était pas ma mère. J’ai expérimenté le fait de dépasser le soi. Un jour, ma femme m’a demandé d’arrêter de boire par lettre recommandée. J’ai pris mon cheval et j’ai demandé à la vierge de Verghas humblement qu’elle m’aide pour arrêter de boire. J’ai allumé une bougie et dès le lendemain, je ne pouvais plus voir personne. A l’époque, avec la peinture, j’étudiais les Saints et les mythes et je pense à cette histoire de l’évêque Saint-Bonnet, vers 625. Il aurait eu l’idée d’acheter des esclaves pour les libérer. A l’origine, les animaux domestiques étaient des êtres libres. Si je me dépasse, je deviens autre chose que moi-même. Je suis reconnaissant du système car il nous a permis de garder le peu qu’on avait, c’est-à-dire la maison. Mais de l’autre côté, il y avait l’humiliation. J’avais gagné un concours de peinture et j’étais connu comme peintre. Je n’ai jamais douté de ma condition même si je ne produis pas, je suis toujours un artiste. Je ne suis pas dans le marché donc je n’ai pas d’obligation. 

    Le pauvre, on lui donne tout et en même temps, il est exclu du monde officiel. Les Restaus du cœur, il faut un peu d’essence pour faire les 10 kilomètres. Il y avait le café de l’Amitié. Il y a quelques années, j’avais un mécène. Il m’achetait des tableaux. Cette personne aimait ce que je faisais donc j’avais envie de lui faire plaisir. J’étais prêt à tout. Si j’avais eu un marchand, j’aurais sûrement fait du fric. Cela a duré une dizaine d’années. Plusieurs personnes m’ont convaincu qu’un artiste n’est pas digne sans faire abstraction du marché. Créer une œuvre sans dépendance, retirée du commerce. Je n’ai jamais pensé qu’il était nécessaire de gagner de l’argent. Je préfère l’art avec les gens. C’est-à-dire aimer les gens. Les gens ne demandent rien d’autre que d’être aimés. Je suis étranger et en plus allemand. L’humiliation vient de là aussi. Moi, j’arrive ici dans un pays que je ne connais pas, avec des autochtones, c’est-à-dire des arbres, des chênes qui sont implantés depuis toujours. On n'avait rien. Cette pièce, c’était tout noir. Il devait y avoir eu un incendie. C’était quelque chose que je ne connaissais pas, le côté rustique. J’ai tout fait pour prouver que j’étais l’un des leurs. Mais j’étais l’objet de beaucoup de ragots. Je ramassais des pommes de terre et j’entendis dire : Celui-là, il mange le pain des français. Vous donnez le meilleur de vous-même et c’est jamais assez. J’ai parfaitement compris que, parce que je suis un étranger, je représente pratiquement rien. C’est-à-dire qu’on peut se passer de moi, quand on veut. Devant l’idéal, Aimez-vous les uns les autres, et en face, il y a beaucoup de gens qui nous font sentir « nous sommes chez nous ». Vous n’êtes pas chez vous, même avec une propriété. Les enfants en ont bavé. Quand on n'avait plus rien, on était obligé de prendre des crédits de consommation. Les étrangers ont en face d’eux, une nation. J’ai quitté l’Allemagne car je ne me sentais pas bien avec cette nation. Je ne me sentais pas bien chez moi. A cette époque, j’étais dans une certaine éloge de la pauvreté. 

  4. Illustration 4
    © Yann Merlin

    Sandra et Benoît forment une famille recomposée et vivent avec les deux enfants de Sandra.

     

    Sandra

    J’ai 26 ans. On cherche à déménager pour une grande ville. La friterie, ça nous brancherait mais au bord de la route, c’est dangereux. On nous a tiré dessus au fusil un soir. Le maire nous a convoqués avec le voisin. Depuis ce jour-là, c’est la guerre avec le voisinage. On faisait un barbecue avec un ami Ludo. Il parle bien fort. Il foutait un peu le bordel. Heureusement il y avait le camion. Les gendarmes, fallait qu’ils viennent parce que c’était chaud, quand même. Le maire a fait un arrêté municipal qui stipule : de 22 heures à 7 heures du mat. Le départ, d’ici, c’est un tout ; c’est ici à Auzances. Je vais plus à Auzances pendant les fêtes de Noël, on nous a accusés d’avoir volé 3 sapins. On ne trouve pas l’équilibre de ce qu’on cherche : soit y’a pas de terrain, soit y’a des voisins. On cherche un truc à la campagne, un jardin, pas trop de jardin. Tout ce qu’on trouve, c’est 550 euros. Ici, c’est 470. La maison, elle n'est pas isolée. Tout est bricolage. L’isolation est nulle. C’est pas isolé. L’an dernier, c’était 16 stères de bois, 1000 litres de fioul, c’est 800 euros et ça fait 10 semaines. On peut pas faire de jardin sur ce terrain-là. Le terrain, c’est 7000 mètres carrés et on dispose de presque rien. Tout est tout le temps inondé. J’ai eu une première fille avec un rasta. Moi, je suis de la forêt de Tronçais. C’est une grande, grande forêt. Il y a des étangs et il y a le chêne carré. Il faut être 6 ou 8 pour faire le tour. Il y a des arbres qui ont plus de 400 ans. J’aime bien la nature en général ; mes grands-parents étaient agriculteurs. On a vécu pendant 8 ans à la campagne avec rien à 5 kilomètres à la ronde. On avait toujours un truc à faire, tu ne prenais jamais de vacances. On fait les saisons. Ça fait 5/600 euros pour dix jours. Je l’ai fait 2, 3 fois. Moi je veux bien faire du boulot mais je ne veux pas qu’on me l’impose. Travailler oui mais le bénévolat, ça ne passe pas. J’ai fait des études d’employé technique de labo. Après tu peux faire BP Laborantin. Gémeaux, c’est versatile, ça finit pas ce que cela commence. J’étais apprentie en pharmacie, suis pas allée au bout mais je suis tombée enceinte. J’ai rencontré le père de ma fille et puis voilà. Elle était pas vraiment voulue mais j’ai décidé de la garder car lui il ne voulait pas vraiment mais il l’a quand même reconnue. Après, j’ai travaillé en maison de retraite, en institut. Après, j’ai fait à domicile. Mon métier, c’est assistante de vie. J’aurais voulu faire infirmière, pédologue ou travailler avec les enfants ou les handicapés. J’étais avec le papa, j’étais forcée car il y avait le bébé. J’étais heureuse. En réfléchissant, j’aurais peut-être du attendre mais je ne regrette pas mes enfants. Si j’avais fait ce que j’aurais voulu, je n’aurais pas voulu avoir d’enfants. Nous, on a une assistante sociale sur le dos. On a une vie pas comme les autres mais je m’occupe de mes enfants . Mais j’ai bien conscience que nous sommes différents. Cette différence, j’ai envie de vivre ma vie comme cela. Je la vis pour moi. On sait déjà qu’on a pas beaucoup de temps à vivre. C’est le XXIème siècle. Tout le monde veut revenir avant mais c’est impossible. Je regrette de ne pas avoir récupéré les graines de mon grand-père. Même les graines bio, c’est pas la même chose. Avec le ruissellement, le traitement d’un champ voisin, ça vient polluer la plante. Ce sera peut-être moins que si c’est pulvérisé directement. J’ai fait quelques figurations et un jour il cherchait des figurants pour une pièce de théâtre, le Médecin de lumières. C’était l’histoire d’un rebouteux au Moyen-Age. C’était les médecins qui guérissaient avec des plantes. J’aurais voulu continuer mais ma mère ne voulait pas m’emmener. J’ai fait un court-métrage. J’étais contente il y avait des caméras partout. C’est un truc que j’ai adoré. Il y a le Futzbarl. Ils vivent du théâtre itinérant. Je suis de 1980. J’ai vu mes parents trimer. La question, c’est la liberté de vivre en dehors de leur morale, pas hors de la société, mais être le plus autonome possible. Avant de rencontrer Benoît, j’avais signé un CDI. Sauf que j’ai arrêté mon CDI. J’en faisais 141 heures au max donc 20 heures de moins. Les 41 heures sont pas payées en heures sup mais heures complémentaires. Je faisais 920 euros alors qu’au RSA, je touche 1200 euros. J’y arrivais pas. Je devais faire garder les gamins de 7 à 12 heures, et de 19 à 21 heures. Je faisais des soins à domicile et je n’étais pas défrayée. Une tournée, c’est 300 kilomètres. On a 35 centimes pour les patientes uniquement mais pour se rendre chez la patiente, c’était pas payé. J’adorais les tournées. C’était en fonction des besoins en hôpital. C’est bonjour, toilette et c’est 10 minutes. Les remplacements sont imposés, en ce qui me concerne. Un jour Raphaël (son fils) me lance les clés par la fenêtre. C’était la nuit. Je devais reprendre le boulot 10 minutes après. J’ai prévenu et le patron est venu me chercher. Le lendemain matin, j’ai retrouvé les clés. 19h30 et je suis revenue à 4 heures. J’y suis allée pour 1 heure et demi. Vivre dans un village abandonné en Espagne, ça, ça me plairait. J’y serai bien partie quand même mais avec les enfants…. Je suis déjà assez surveillée. Je ne parle pas assez avec mes enfants et je ne suis pas assez avec eux.

     

    Benoît, 31 ans originaire de Paris.

    J’ai travaillé en bénévole chez RCF (Radio Clermont-Ferrand). Les horaires, c’était 9 heures midi, 14 heures/17 heures. J’avais 2 heures pour manger comme à l’école. Après ils m’ont proposé de travailler. Je faisais même les films vidéos. J’ai travaillé pendant 1 an ½. Un jour, j’ai déliré. J’étais en teuf au Portugal et j’y suis jamais retourné. Depuis que j’ai terminé mes études, j’ai travaillé 2 ans. J’ai eu un bac S avec mention Bien sans travailler et une licence en chimie. A la base, je voulais faire ingénieur en automobile. J’avais trop d’absences. Si le matin j’avais mon pétard, j’allais en cours. Sinon, je n’y allais pas. Je fumais un gros pète avant d’aller en cours. J’écoutais, je rentrais, je faisais mes fiches. Mes parents n’étaient jamais là. J’étais convoqué. On me demandait pourquoi rien n’était jamais signé. Ils étaient en reportage. Par exemple, je pouvais avoir mon père à Melbourne et ma mère à New York. Mon père travaillait pour L’Equipe et ma mère attachée de presse chez Michelin. Là ils se disent que c’est la fin du monde, j’ai plus de permis. Ça fait 4 ans que je conduis sans permis.

     

    Raphaël

    Je suis en CE1. Aujourd’hui, j’ai fait des mathématiques, du français de l’orthographe… multiplications, divisions, surface de la France…. Je sais plus… Dictée de mots… On est CE1, CE2, CM1, CM2 dans la même classe. On est 9 élèves. On est 4 CM2 et 7 CE1. Ça nous plait et cela se passe bien. Oui et moi, j’ai une amoureuse, Lila. Elle a le même âge que moi. Mon ami, il s’appelle Corentin. Il sait pas lire. Je l’aime bien parce qu’il est presque comme moi. Moi aussi, je sais pas trop lire. Parce qu’on apprend. C’est normal, je suis en CE1. C’est une maîtresse qui s’appelle Julia. J’aime bien la campagne et puis aussi Montluçon. C’est presque mieux que la campagne. Ce qui est bien à la campagne, c’est les animaux. Surtout c’est le renard, mon animal préféré. Les ânes, mon oiseau préféré, c’est le rouge-gorge…. Non le pivert, il a un grand nez comme cela, les libellules… A Montluçon, c’est le Carrefour, les rayons jouets. J’aime bien la basse et le son.

     

    Samuel

    Tu joues au foot, les copines. En CM2, c’est 2 filles et 2 gars. En CM1, 3 gars 1 fille. En CE2 3 garçons, 3 filles; en CE1, 4 filles, 4 garçons. On est 40 dans toute l’école. J’ai 5 copains. Moi j’aime bien. A la campagne, y’a beaucoup d’agriculteurs, de champs, de collines, de côtes. Il y a la guinguette au bord de la route. Il y a la pause gourmande, ils font de bonnes pizzas. Je connais par cœur, Rougnat et Auzances. Après Auzances, il y a la neige. Vers Grosse Colline, dans le champ, il y a une ferme. Ils sont agriculteurs. Cet univers-là me plait. J’aime bien les avions de chasse mais j’aime pas quand ils me réveillent la nuit. Toutes les 2 semaines, il y a le loto le dimanche. C’est la nature parce qu’il y  a beaucoup de choses. On peut voir les ânes. J’aime bien tout ce qui est mécanique, les moissonneuses passent près de la maison. Du coup, on voit de près. Sinon, c’est calme ici. J’aime bien le calme. Il y a des petites collines. On fait un peu du traineau. Mes chiens, on peut faire du cheval avec. Montluçon Defi’Land, c’est un parc de jeux, les garages, les moteurs. Je bricole mon vélo. Je voudrais travailler dans la vente de matériel agricole, l’espace Emeraude. On va aller à Brive, mon grand-père a fait de l’élevage mais mon oncle a fait élevage céréales. Je veux pas être gros.

  5. Illustration 5
    © Yann Merlin

    Jan

    Je suis né en janvier 1979, un jour quand il faisait -25 degrés à Biberach en Allemagne. Je suis l’aîné, mon frère a six ans de moins que moi. Mes parents viennent de deux régions difficiles de l’Allemagne: Hambourg et Stuttgart. Le patois du nord est différent de celui du sud, cela a créé une différence avec les autres, je ne me sentais pas intégré. Il faut faire parti de la région depuis dix générations sinon tu es toujours un étranger. Mon père vient d’une famille d’intellectuels qui a fourni des professeurs ou des curés protestants. Exception de son père qui était commercial dans l’industrie des métaux. Ma mère était infirmière. Durant mon enfance, j'ai déménagé trois fois et on a fini par s’installer à Ulm, 100 000 habitants. A ce moment là, je suis rentré au lycée. Plus tard, je suis rentré dans la structure syndicale et été élu deuxième porte-parole des élèves. J’avais 17 ans. C’était le moment de la réforme scolaire au sujet de la réduction des options. Ils voulaient généraliser le système scolaire. Nous n’étions pas très contents de ce projet qui mettait en cause une certaine diversité d’instruction. On s’est mis à informer les élèves qui n’étaient pas au courant du contenu réel de la réforme, qui s’en foutaient complètement et nous avons réussi à réveiller leurs consciences jusqu'à ce que le directeur intervienne et dégonfle la mobilisation générale. A ce moment là les élèves se sont divisés et petit à petit, notre mouvement est devenu minoritaire or nous avions beaucoup travaillé, nous avions envoyé des courriers au ministère, créé des grandes réunions avec les principaux lycées du pays. J’en suis sorti dégoutté. J’ai passé mon bac, j’ai démissionné de mon poste syndical et je n’avais plus rien à foutre de l’école en général. C’est à ce moment là que j’ai commencé ma réflexion sur la société. Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas changer le système, que le système ne pouvait pas être changé.

    Au moment du service militaire, j’ai fait un service social à la place, j’ai travaillé au soin individuel d’une personne atteinte de sclérose en plaques. C’était un boulot difficile mais je travaillais 4 jours, 16 heures par jours et ensuite j’avais une semaine de libre donc j’ai eu beaucoup de temps pour organiser mes propres projets. J’ai loué un garage et avec un ami nous avons commencé à bricoler la mécanique. Pendant deux ans je bricolais des moteurs, des scooteurs de l’ex RDA, on faisait des débarras et je mettais de l’argent de coté. Il n’y avait pas d’électricité, j’avais acheté un groupe électrogène pour faire les soudures. Ce n’était pas très rentable mais c’était chouette, c’était une expérience. Le copain est parti assez tôt pour poursuivre ses études, j’ai continué seul cette aventure. J’avais déjà l’idée de quitter ce pays, je n’aimais pas la vie sociale allemande. Autour de moi il y avait une ambiance négative. Un projet est né et je voulais quitter le pays, je voulais être indépendant, je cherchais un équilibre, une stabilité, un endroit ou je pourrais être à l’aise. Ma passion pour les Citroën, ma pratique de la langue française, mes souvenirs de vacances, le climat, toutes ces choses m’ont poussé vers la France, naturellement. J’avais dans l’idée que la vie se déroulait autrement en France qu’en Allemagne. Un ami vivait entre la France et Allemagne et pour moi cela signifiait tout simplement que c’était possible. J’ai commencé à travailler pour faire des économies puis j’ai eu l’occasion de travailler à l’usine, je faisais un travail rébarbatif de 6h55 à 16h30 juste pour épargner. C’était une sorte d’esclavagisme mais c’était le seul moyen que j’avais trouvé pour gagner de l’argent. 7 euros de l’heure mais avec toutes les heures supplémentaires, j’épargnais, mes parents ne me demandaient rien. Tout ce que je gagnais, c’était pour mon projet.

    Au bout de huit mois, j’avais 20 000 euros sur mon compte et j’ai démissionné. Ce jour-là, l’entreprise voulait me garder, me proposait de monter dans la hiérarchie, j’étais surpris mais c’était pas si séduisant. Je lisais les récits de Gunter Wallraf, cela m’avait permis de prendre mes distances avec la violence du monde du travail : de cette domination, les jeux entre collègues, la surveillance des anciens sur les nouveaux, une exigence à deux vitesses, la délation qui met la pression sur les plus vindicatifs, les rappels à l’ordre, les avertissements et tout ce qui est mis en place pour humilier les gens en général.

    J’ai préparé la voiture, une CX ambulance sans une idée vraiment pré-définie et j’ai parcouru la France pour étudier le marché à travers les annonces. J’ai mesuré l’ambiance et j’ai concentré ma recherche sur deux régions, la Dordogne, le Périgord mais c’était trop cher pour mon budget et l’Auvergne qui correspondait le mieux à mon besoin et mon budget. J’ai vu 50 biens, j’ai pris mon temps car je voulais faire le bon choix. J’ai trouvé un moulin, avec un étang qui me plaisait beaucoup mais je n’ai pas été assez rapide et il m’est passé sous le nez. Je suis reparti en Allemagne et deux semaines après, l’agence immobilière me proposa cette maison et c’était celle que je cherchais. C’était en octobre 2002. J’ai vidé mes économies. J’ai sorti l’argent de mon compte pour ne pas payer les 3 pour cent de commission. Je ne voulais pas que cet argent tombe dans la gorge des banques. Ce n’était pas de l’argent illégal, je l’ai caché dans la boîte à pharmacie de la voiture et je suis allé acheter ma maison. Mes parents m’ont prêté neuf mille euros, une avance sur l’héritage pour que ce soit clair vis-à-vis de mon frère, on a fait cela dans les règles. Je suis arrivé là au mois de novembre avec une caravane. Un gars de EDF devait passer rebrancher l’électricité mais ça a pris six mois. Le chauffage à gaz de la caravane était cassé. J’ai vécu avec le puit comme les anciens d’ici, je n’avais pas l’eau courante non plus. Quand il faisait -10 dehors, je réussissais à maintenir deux ou trois degrés à l’intérieur de la maison. Je cherchais l’aventure mais j'étais à la limite de me sentir malade, j’étais à la limite de perdre mon enthousiasme et quand le printemps est arrivé, le moral a augmenté. J’ai fait mon jardin, j’étais dans un « trip » de devenir indépendant. Puis j’ai fait des rencontres, j’ai découvert un monastère bouddhiste. J’ai trouvé des petits boulots et c’était possible de survivre mais c’était épuisant. Chez moi cela n’avançait pas. J’étais très occupé mais c’était la galère avec le seul avantage que j'étais mon propre maître. Personne ne me disait ce que j’avais à faire et cela a duré comme cela jusqu’en 2008 environ, le moment où ma copine m’a quitté. Le moral baissait de plus en plus, j’avais du mal à sortir de cette histoire qui avait durée cinq ans et demi. Elle était hôtesse de l’air et avait une fille à laquelle j’étais aussi attaché. Elle ne voulait pas vraiment qu’on construise quelque chose. Dans la même période, il y avait une rumeur qui courrait sur l’exploitation d’une mine d’uranium dans la région. Je me sentais vulnérable à cause de l’idée que je pouvais être exproprié et j’ai craqué. A cette époque je suis reparti en Allemagne un an et demi. J’ai suivi une psychothérapie et quand j’ai été guéri de ce passage dépressif lié à cette rupture, je suis reparti rejoindre des amis qui vivaient à Berlin. J’ai appris le montage avec des professionnel de la video ce qui m’a ouvert une nouvelle porte que je commence à aborder aujourd’hui. J’ai pu réfléchir aussi sur cette question de la stabilité et accepter que c’est une chimère car même construire son chez soi brique par brique n’est pas une garantie d’une stabilité éternelle. Quand j’étais enfant, j’avais un contact très proche avec ma grand-mère maternelle qui était née en 1906. J’avais une très bonne relation avec elle jusqu’à sa mort quand j’avais 18 ans. Elle m’a raconté des histoires et c’était toujours très intéressant pour moi. Quand j’ai étudié l’histoire du troisième Reich à l’école je lui ai posé des questions et heureusement elle m’a répondu sans gêne et sans tabous. Elle m'a raconté comment elle a ressenti la réalité. Pendant la guerre son mari, mon grand-père, est parti petit soldat sur le front de Stalingrad, il était mécanicien. Sa mère à lui s’est fait dénoncer, elle imprimait clandestinement des tracts religieux, elle était témoin de Jéhovah. En effet, après la perte de son mari dans un accident du travail elle a élevé seule son fils et s’était réfugiée dans la religion. Elle cachait chez elle une machine pour imprimer et a été condamnée à cinq ans de prison à l’âge de 65 ans. Elle a été enfermée au camp de concentration de « Fuhlsbüttel ». Ma grand-mère qui ne s’entendait pas trop avec elle à cause de ses opinions religieuses est allée quand même lui porter tout ce dont elle avait besoin pendant cette période. J’ai vu des lettres où mon arrière grand-mère parle de ses conditions de détention qui étaient vraiment précaires. Pendant la guerre il n’y avait rien à manger en prison. A la libération, elle est sortie mais elle n’avait plus de logement et a vécu dans un hébergement provisoire, une serre à une trentaine de kilomètres de Hambourg. En 1950, il n’y avait presque plus de logements d’urgence dit provisoires mais ses demandes de logement ont toutes été rejetées au motif qu’elle avait fait de la prison. Dans sa correspondance, elle témoigne que d’anciens membres du parti nazi occupaient encore des fonctions dans l’administration. Elle avait des papiers qui reconnaissaient officiellement son statut de victime du nazisme mais elle était encore persécutée par eux, cela jouait contre elle en quelque sorte jusqu’à la fin de sa vie. Elle a crevé dans sa serre en 1961. 

    Il n’y a qu'en Allemagne de l’Est où ils ont épuré l’administration mais c’était le communisme. Je suis resté un an et demi en Allemagne et j’ai du retravailler pour me faire soigner. J’étais malade mais il fallait que je travaille pour obtenir une couverture sociale. J’ai travaillé comme carreleur, maçon dans le bâtiment, ce que j’ai pu trouver.

    Quand j’ai fini ma psychothérapie, je suis allé à Berlin et j’ai rencontré une nouvelle copine. Je l’ai ramenée chez moi, en France mais cela a duré six mois. Je ne me dis pas que c’est de sa faute, j’ai bien conscience que vivre à la campagne implique un travail quotidien qui est difficile quand on vient de la ville. Notre histoire n’a pas résisté à la confrontation avec la réalité. Après tout cela, mon père m’a proposé de m’aider avec une rente mensuelle qui prendrait fin quand il serait à la retraite. C’était une sorte de contrat qui était basé sur l’idée que mon frère qui avait fait des études de droit avait bénéficié d’une aide financière, contrairement à moi. Alors j’ai touché cette rente de 450 euros par mois jusqu'en 2012. Depuis, mes parents m’aident périodiquement car mes revenus sont très aléatoires. Cette forme de dépendance m’obsède aussi et je voudrais en sortir en vendant mon stock de pièces d’occasion. Mais comment concilier le temps que me demande le jardin, le temps que je passe à aider les autres, le temps qui serait nécessaire pour mettre en ligne les objets, faire l’administratif, emballer et envoyer les objets, réaliser un film documentaire. Je n’ai pas le droit aux aides sociales, je suis étranger. J’ai à peine une couverture sociale avec mon statut d’auto-entrepreneur. Cette histoire d’indépendance totale est un idéal mais dans la réalité c’est très différent. J’espère trouver un moyen de gagner ma vie sans me mettre dans un mode d’esclave. J’ai besoin d’être créatif beaucoup plus que d’être un commerçant. Je suis dans la réflexion, dans la recherche de cette solution qui me sortirait de ce problème, de me soumettre à un travail qui ne nous plait pas forcement. Ma vie est un chantier, un questionnement, avec ses joies et ses peurs mais ça va. Je voudrais pouvoir élargir le temps, rallonger mes journées mais c’est impossible. Mes problèmes sont faits maison mais je ne me vois pas comme une victime. Je suis peut être trop libre quelque part ce qui se traduit par un éparpillement.

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