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Portfolio 21 mars 2016

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Censure à Narbonne plage

L'exposition "Lucie"est fermée au public après la réaction de l'artiste Louis Jammes contre la censure d'une partie de son oeuvre par la mairie de Narbonne.

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  1. Illustration 1
    © LOUIS JAMMES

    Couverture du catalogue de l'exposition "LUCIE"

  2. Illustration 2
    © LOUIS JAMMES

    « Au départ, je voulais que ces photos soient collées dans la ville, je leur propose de remplacer l’espace de communication par de l’espace d’exposition, ils m’avaient répondu oui, C’était ça le deal. »

  3. Illustration 3
    © LOUIS JAMMES

    « Quand le parc regional et la ville de Narbonne envisagent de produire un parcours rétrospectif et un catalogue,on se met d’accord et des le départ il y a les migrants. »

  4. Illustration 4
    © Yann Merlin

    PARIS le 18 Mars 2016 19.09.40

    Louis a voyagé…

    Dans les airs et sur la terre.

    A l’intérieur des poumons de la terre, dans les forêts, qu’elles soient primitives ou plus ou moins domestiquées, et de la, peut-être, cette respiration, la lumière oxygène, qu’on retrouve dans cette œuvre singulière et hermétique à la tendance puisqu’il construit une œuvre.

    Louis Jammes a aussi dans son questionnement sur la place de l’homme d’aujourd’hui, dans son environnement modifié, parcouru les jungles modernes, les grandes métropoles, à l’intérieur desquelles il a créé des espaces où l’échelle, les proportions, sont déstructurées. Mais pas seulement puisqu’il représente, à égalité, l’homme public et l’homme de la rue. Voilà un autre parti pris.

    En fait, il crée des utopies à l’intérieur des super structures urbaines. Des moments de respirations. Oui, le monde doit encore faire un effort pour s’améliorer et ce n’est pas en censurant les artistes que cela va s’arranger.

    La poésie c’est le souffle de la terre, disait Pierre Garnier.

    Si Louis n’était pas un transgresseur, il ne se serait jamais imposé.

    Artpress n 95 : LOUIS JAMMES, YVON LAMBERT, PARIS, 1er Juin- 28 Juin 1985 - Quand il rentre dans la galerie d’Yvon Lambert il pense que c’est une victoire contre Duchamp qui disait que la photographie n’était pas un art majeur.

    Louis Jammes utilise la poésie comme arme de construction massive.

    Il a du caractère et c’est mal interprété par ceux qui ont pour principe la domination. Et la domination est insupportable pour un artiste. Comme disait Deuleuze dans son ABECEDAIRE, « Personne n’a le droit de bousculer un artiste » et c’est ce qui se passe à Narbonne, avec cette exposition que les commanditaires ont décidé de fermer quand Louis s’est défendu.

     A Narbonne, des nabots de la culture, qui ne veulent pas de vagues (de migrants?) sous entendent qu’il serait responsable de cette situation.

    Les victimes ce serait eux.

    Victimes de quoi?

    De son caractère dans le sens qu’il serait ingérable. En outre, ce serait un agresseur. Or, c’est lui qui est agressé selon une méthode bien rodée, qui se pratique un peu partout d’ailleurs, la pression qui doit conduire à l’autocensure, une soumission au désir de l’autre de « faire disparaitre » ce qui aurait dû être au contraire révélé, il y a donc quelque chose de nécrophile dans cette tendance. Or l’artiste se positionne du côté de la vie, il donne naissance après gestation de son œuvre ; il doit transmettre.

    Albert Londres le dit du journalisme et cela s’applique aussi pour l’artiste: « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».

    Mais revenons sur ces photographies de « migrants » censurées.

    Au moment où il les fait, il pense qu’elles seront destinées à être exposées dans la rue.

    Quand Louis déclenche avec son boitier numérique, l’image apparait dans le viseur, et une opération mentale s’opère en lui-même.

    Donc, il les voit en grand, un manifeste qui s’inscrirait dans la continuité de sa démarche  « d’en faire partie ou de prendre parti », avec sa lumière- un autre éclairage sur cette situation inacceptable-, et on le comprend, cette migration qui serait économique, cette migration qui viendrait chez nous pour nous envahir, et tout ce discours sur l’Autre qui court depuis trop longtemps déjà, ce discours qui nous heurte, il veut y répondre avec sa poésie.

    La poésie est le dernier recours quand l’humanité s’éloigne de la raison, de la philosophie, nous disait Maria Zambrano.(je ne le met pas entre guillemets car je ne me souviens plus exactement de la phrase mais seulement de l’idée).

    Des circonstances liées à l’état de santé de sa mère, l’obligeaient à rester physiquement auprès d’elle .

    Entre deux voyages, l’administratif pour sa mère, il passait du temps à photographier le territoire de son enfance.

    « Quand le parc régional me passe commande, les photos sont déjà faites. Ensuite, ils envisagent de produire un parcours rétrospectif et un catalogue en partenariat avec la ville de Narbonne. Donc on se met d’accord et des le départ il y a les migrants. »

    C’est au moment de valider le catalogue (trois semaines avant le vernissage) que cela se complique.

    L’image de la couverture, une photo extraite de la série « Bag people », deux migrants qui portent  un arc de triomphe en carton, pose problème à la ville.

    Or ce choix, il l’explique, ce sont les événements tragiques du 13 novembre qui lui imposent.

    Mais si la direction du parc insiste pour que soit respectée la volonté de l’artiste concernant la couverture de l’ouvrage, elle se range du côté de la ville concernant l’affichage des 4x3: ce ne sera pas les migrants, ce sera une image pour annoncer l’exposition et Louis se retrouve seul contre « la majorité ».

    Pour Louis, la trahison commence là, rien n’a été signé entre les deux parties et dans cette histoire c’est sa parole contre la leur.

    « Au départ, je voulais que ces photos soient collées dans la ville, je leur propose de remplacer l’espace de communication par de l’espace d’exposition, ils m’avaient répondu oui, C’était ça le deal. »

    La veille du vernissage, il a une autre idée:

    « Je pensais que l’Aspirateur « était à moi », puisque j’étais l’invité. Je me suis dit que je pouvais au moins coller les images des migrants sur les façades du lieu. J’avais collé un très grand format sur la baie vitrée. J’ai demandé aux agents de le faire le temps que j’aille chercher ma mère.

    Cet accrochage que je voulais faire à l’extérieur, c’était ma réponse, une façon de mettre l’histoire sur la table.

    A mon retour, deux heures après, je constate que cela n’a pas été fait, qu’une personne avait appelé la mairie et que la mairie avait refusé. 

    En plus de tout cela, il y a un grand panneau censé annoncer mon exposition qui était encore occupé par l’expo précédente. J’ai réagi en collant une couverture de survie, l’illusion d’une feuille d’or qui se serait envolée et se serait déposée là, par hasard…

    A l’intérieur je recouvre les Dolganes, une pièce de 5x18m. Je recouvre l’Ouganda, les pygmées, la foret primaire dans laquelle se cache quelque part l’une des source du Nil. Je couvre tous les portraits, des 135x135, tout cela devient des monochromes dorés, juste je manifeste… » 

    Puis Louis quitte Narbonne pour Paris.

    L’exposition Lucie est enterrée deux jours après.

    Plus qu’une rétrospective, cette exposition était un voyage dans la lumière, celle du soleil, de la forêt, de la lune et des étoiles. La photographie de cette plage avec cette « lune » et le bruit qui révèle une galaxie, un clin d’œil à Fontcuberta?.

    Tout ce qu’il photographie devient art parce que cela passe par Louis.

    Le travail de Louis nous parle de l’humanité. Il n’y a qu’une humanité et il s’insurge contre l’ethnocentrisme qui produit de l’exclusion:

    « Toutes nos idées seraient universelles et il faudrait les imposer au monde entier. »

    Il y a donc une dimension politique dans cette poésie que produit Louis Jammes.

    Sauf que c’est tabou.

    L’artiste lui-même cherche dans l’horizon actuel du paysage de l’art contemporain où se trouve la contestation, où se trouve la rébellion.

    « Ils disent que je me la raconte mais ces dernières années j’ai fait l’expérience de la pauvreté. Dans ces moments-là on apprend l’humilité. »

    Propos recueillis le 15 mars et le 18 mars

  5. Illustration 5
    © LOUIS JAMMES

    Plus qu’une rétrospective, cette exposition était un voyage dans la lumière, celle du soleil, de la forêt, de la lune et des étoiles. La photographie de cette plage avec cette « lune » et le bruit qui révèle une galaxie, un clin d’œil à Fontcuberta?

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