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L’Aquila
En 2009, un séisme a ravagé la ville de L’Aquila et sa province, tuant 309 personnes, démolissant le cœur historique de la ville et une grande partie de son patrimoine artistique, laissant des dizaines de milliers de personnes déplacées. Les dommages collatéraux sur l’économie ont été majeurs : fermetures de sites industriels endommagés, de magasins, de l’université, déclin total du tourisme. Silvio Berlusconi[1], alors chef du gouvernement, promit immédiatement de reloger tout le monde, allant jusqu’à délocaliser le meeting du G8 à l’Aquila alors qu’il devait avoir lieu dans l’île de la Maddalena en Sardaigne, attirant sur lui l’attention des média et se présentant, avec son proche Guido Bertolaso[2], chef de la Protection Civile, comme le héros sauveur des victimes du tremblement de terre. Une série de villages, appelé new towns, virent le jour à la hâte et de manière obscure, grâce à une loi spéciale, prévue en cas d’urgence, et permettant à la Protection Civile de passer outre les procédures classiques d’attribution des contrats. Les new towns voulues par Berlusconi sont des habitations antisismiques, construites le long des routes nationales dans des zones sans services et non desservies, prêtées aux habitants pour un temps déterminé, qui doivent signer un inventaire à l’entrée et devront restituer le tout exactement à l’identique à leur départ.
[1] Silvio Berlusconi (1936), entrepreneur et homme politique italien.
[2] Guido Bertolaso (1950), haut fonctionnaire et médecin italien.
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Des milliers de personnes furent cependant relogées dans des tentes, d’autres centaines dans des hôtels sur la côte. Les édifices endommagés furent classifiés selon un système hiérarchique donnant droit ou non à un relogement. Les critères de classification évoluant avec les années, certaines personnes restèrent sans abri alors qu’elles avaient droit à un relogement.
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Les initiatives d’urbanisme et de construction, conçues immédiatement après le tremblement de terre, ont été réalisées sans concertation avec les administrations locales ou les habitants. Cette profonde transformation du territoire, basée sur des choix faits en période d’urgence, a rompu le tissu social et conditionne le présent et le futur de milliers de personnes.
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Encore aujourd’hui, après dix ans, la ville est un gigantesque chantier surmonté d’une impressionnante forêt de grues. Les édifices du centre historique sont en grande partie inaccessibles, soutenus par d’imposants échafaudages. Quand j’ai visité l’Aquila en 2016, la ville semblait une vision surréelle : des dizaines de bâtiments et d’églises en morceaux maintenus ensemble par des millions d’échafaudages et de poutres, des quartiers entiers du centre complètement vides, les portes des maisons ouvertes, telles des trous béants, sur des pièces encore pleines de mobilier et d’objets abandonnés par les habitants en fuite.
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Craco vecchia est une commune située en Basilicate, dans la région de Matera, perchée sur une colline argileuse au milieu de champs de céréales. Fief développé autour d’une tour de guet normande qui contrôlait une aire très fertile alors traversée par deux fleuves navigables, Craco a eu une histoire longue de presque mille ans. En 1963, suite à un éboulement, le village, déjà abandonné par beaucoup de ses habitants partis pour l’Italie septentrionale, la Suisse ou l’Allemagne, pour trouver du travail, a commencé à se vider complètement.
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Les deux mille personnes qui restaient ont déménagé progressivement à Craco Peschiera, à quelques kilomètres en aval. La dernière famille restée est partie dans les années quatre-vingt-dix. Craco est connue car elle a été le décor du film La Passion du Christ, de Mel Gibson, ainsi que de beaucoup d’autres, tel que Le Christ s’est arrêté à Eboli, de Francesco Rosi.
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Exploitant la renommée du film de Gibson (qui attire déjà à Matera, décor principal du film, beaucoup de touristes venant surtout d’Amérique Latine), ainsi que la fascination qu’exercent les ruines et l’archéologie industrielle sur notre société, une association locale a vu le jour pour préserver les ruines de Craco et propose d’intéressantes visites guidées, attirant les touristes et créant de l’emploi.
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Consonno est un lieu-dit dans la commune de Olginate, près du lac de Côme, branche de Lecco. Jusque dans les années soixante c’était un petit bourg rural entouré de forêts, du lac de Côme, de magnifiques montagnes, et où seulement deux familles se partageaient la propriété de tout le bâti. Puis le comte Mario Bagno, entrepreneur du bâtiment, acheta tout le village et le fit démolir pour réaliser une sorte de Las Vegas lombarde, surnommée " Città dei balocchi " (pays des merveilles). C’était un mélange de centre commercial, hôtel, résidence de luxe et parc d’attractions jalonnés de constructions pseudo-exotiques et farfelues : un minaret, une pagode, une grande porte orientale dominée par un canon, un pont vénitien et une fontaine à trois étages, haute de dix mètres, surplombant un bassin artificiel, un château médiéval avec deux tours crénelées placé à l’entrée du village et gardé par des fantoches en armure.
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La collectivité locale et les habitants de Consonno accueillirent positivement ce qu’ils regardaient comme une opportunité de développement économique. Durant les années du Miracle économique en Italie, les Milanais venaient passer leurs week-ends à Consonno, situé à seulement cinquante kilomètres de Milan, pour s’amuser, danser, dépenser leur salaire, croiser des stars de la télévision et de la variété. Mais c’était sans compter les dégâts causés par les travaux d’aménagement menés par le comte Bagno. Les travaux, qui inclurent la déforestation des alentours et le nivellement à l’aide de dynamite d’une colline qui obstruait la vue sur les Préalpes, fragilisèrent la structure du terrain et la perméabilité du sol. Une succession d’éboulements rendit dangereuse la route qui, de la vallée, menait à la ville, la détruisant définitivement en 1976. Alors Consonno fut délaissée et oubliée. Après une tentative échouée de transformer l’hôtel en maison de retraite au début des années quatre-vingt, le comte mourut en 1994 laissant la ville à son destin.
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Depuis, les ruines de la " Città dei balocchi " sont à l’abandon. Le public d’une rave party qui eut lieu en 2007 détruisit la plupart des restes du village, désormais envahi par les ronces, les mauvaises herbes, les détritus et les ordures. Depuis quelques années une association d’habitants d’Olginate a pu obtenir la réouverture du bar du village pendant la saison estivale, mettant en place des animations et des initiatives culturelles. Mais Consonno reste malgré tout une effrayante ville fantôme, inquiétante carcasse putréfiée, témoin de l’arrogance d’une époque de modernisation chaotique et agressive.
Portfolio 29 avril 2019
Chaque mer a une autre rive: ruines. L'Aquila, Craco, Consonno
Voyage photographique en Italie, à travers ses gens, ses contradictions, ses paysages, son passé et son présent.
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