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Événement 29 mai 2025

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TRUMP, LES BOERS ET LA FABRIQUE D'UN MENSONGE

Instrumentaliser la mémoire des Afrikaners pour nourrir un discours identitaire et sécuritaire aux États-Unis : tel fut l’épisode déconcertant qui se joua dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche. Retour sur une réécriture délibérée de l’histoire.

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Date

Le 30 mai 2025

Lieu

WASHINGTON


Le président sud-africain est demeuré étrangement impassible face à ce qui aurait dû être perçu comme un affront diplomatique majeur. Dans le Bureau ovale, Donald Trump l’accusait sans ambages de tolérer un prétendu « génocide » des fermiers blancs sud-africains, présentés comme contraints de fuir leur pays pour demander l’asile aux États-Unis. Pour appuyer ses propos, l’ancien président brandissait une photographie macabre de corps mutilés — que l’agence Associated Press révéla être en réalité un cliché pris sur un charnier au Congo, sans aucun rapport avec l’Afrique du Sud.

Cet épisode n’est pas anodin. Il illustre une tendance récurrente : la manipulation de l’histoire à des fins politiques et identitaires. Car si les Afrikaners — descendants des colons européens  — ont bien été persécutés dans leur passé, ce fut non par les Sud-Africains noirs, mais par l’Empire britannique, au tournant du XXe siècle.

De 1899 à 1902, les troupes britanniques mènent une guerre impitoyable contre les républiques boers du Transvaal et de l’État libre d’Orange. Ces Etats, reconnus par la Couronne en 1852, sont peuplés de colons d’origine néerlandaise, installés depuis le XVIIe siècle, rejoints au fil des décennies par des pionniers français et allemands. Leurs dirigeants élus, Paul Kruger et Marthinus Steyn, jouissent d’une respectabilité et d’une légitimité incontestables.

La découverte, dans les années 1870-1880, de gisements colossaux de diamants à Kimberley puis d’or dans le Witwatersrand attise l’appétit impérial britannique. Près de 400 000 soldats et auxiliaires sont mobilisés — l’un des plus grands déploiements outre-mer de l’histoire militaire britannique, équivalant à la population boer elle-même.

Malgré leur avance technologique, les Britanniques ont recours à des méthodes extrêmement brutales pour vaincre la résistance acharnée des populations locales. Deux stratégies sont mises en œuvre : la politique de la terre brûlée — destruction de villages, incendies de récoltes, abattage du bétail, empoisonnement des puits – et l’internement massif de civils, essentiellement des femmes et des enfants, dans des camps de concentration.

Ces camps - 45 camps pour la population blanche, 64 camps pour la population noire -surpeuplés, mal planifiés, insalubres, manquant de nourriture, de soins et d’abris, deviennent des mouroirs. En seulement dix-huit mois, près de 34 000 femmes et enfants blancs y périssent, ainsi que 20 000 à 25 000 femmes et enfants noirs, dont 80 % ont moins de 16 ans. La cruauté de cette politique est étendue aux hommes capturés : environ 26 000 prisonniers boers sont déportés hors du continent africain, vers des camps de détention à Saint-Hélène, Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka), les Bermudes et l’Inde.

C’est une femme, l’infirmière Emily Hobhouse, qui révéle au monde l’ampleur de cette barbarie. En visitant les camps, elle documente les conditions inhumaines dans lesquelles sont maintenues les femmes et les enfants : maltraités, affamés, privés de soins. Dans The Brunt of the War and Where it Fell (1902), elle raconte notamment le calvaire bouleversant de la petite Lizzie van Zyl, morte de faim dans le camp de Bloemfontein. Sa mère, considérée comme une complice (« undésirable ») car son mari refuse de se rendre, voit ses rations réduites à l’extrême. Emily Hobhouse devient la cible d’une campagne de haine. « Mon travail dans les camps de concentration d’Afrique du Sud m’a valu le mépris de tout un peuple. La presse m’a insultée, traitée de rebelle, de menteuse, d’ennemie de la nation, d’hystérique – et même pire », écrira t-elle.

Rares sont ceux qui prennent position. Le pasteur baptiste Charles Aked déclare, le 22 décembre 1901, lors du « Peace Sunday » à Liverpool :« La Grande-Bretagne ne peut remporter ses batailles qu’en recourant à la plus abjecte des lâchetés : frapper le cœur d’un homme à travers l’honneur de sa femme et la vie de son enfant. Ces camps ne sont pas des camps de concentration. Ce sont des camps de la mort. ». La foule, indignée par ces propos, dégrada son domicile. Quelques parlementaires protestent et se démettent, parmi lesquels Michael Davitt, qui qualifie cette guerre de « plus grande infamie du XIXe siècle » dans son ouvrage paru en 1902 (The Boer Fight for Freedom).

Lord Kitchener, qui mit en œuvre ces méthodes abjectes, était coutumier du fait. Lors de la bataille d'Omdurman (1898) – qui se déroule dans la capitale du royaume mahdiste au Soudan –, le général Herbert Kitchener, à la tête des forces anglo-égyptiennes, anéantit 12 000 soldats (derviches) du calife Abdullah al-Taashi. Les Britanniques déploient une puissance de feu inédite : l’artillerie navale pour pilonner les positions ennemies ; les mitrailleuses Maxim, une invention récente (1884) de Hiram Maxim, tirant 500 coups à la minute ; les balles expansives, produites dans l’arsenal britannique de Dum Dum en Inde, causant des blessures atroces. Près de 5 000 soldats blessés sont exécutés sommairement. Le journaliste Ernest Bennet, témoin oculaire, en fait le récit en 1899 :"Pas moins de quatre-vingt-dix mille cartouches furent tirées rien qu’avec ces mitrailleuses Maxim […] Les derviches blessés, désarmés et sans défense, furent massacrés par pure cruauté et soif de sang. L’ensemble formait un tableau hideux, difficile à oublier."(Ernest Bennet, The Downfall of the Dervishes (Chapitre 4), Londres, 1899).Les pertes britanniques s’élèvent à quarante-deux hommes, révélant ainsi l’odieuse monstruosité avec laquelle Lord Kitchener orchestre ce qui, loin d’être une véritable bataille, n’est en réalité qu’un massacre colonial, lequel scelle pourtant sa renommée en Grande-Bretagne.

Après la guerre et la formation de l’Union sud-africaine  (1910), les politiques ségrégationnistes sont mises en oeuvre à l’encontre des populations noires. Le Land Act de 1913 réserve 7 % du territoire aux Noirs, interdisant toute acquisition ou location de terres ailleurs. Ce système préfigure les bantoustans, pièces maîtresses de l’apartheid instauré à partir de 1948. Pourtant majoritaires (67 % de la population), les Noirs sont relégués à une minorité territoriale.

L’État sud-africain favorise, dans le même temps, l’immigration blanche européenne : Britanniques, Juifs fuyant le nazisme, puis Portugais après l’indépendance de l’Angola et du Mozambique en 1975. Parallèlement, des milliers de travailleurs noirs sont recrutés dans les mines depuis le Lesotho, le Mozambique, le Malawi et le Zimbabwe. Instituée en 1995 sous la présidence de Nelson Mandela, la Commission Vérité et réconciliation  identifie environ 22 000 cas de violations graves des droits de l'homme à l’encontre des noirs sud-africains, incluant meurtres, tortures et disparitions forcées, survenus entre 1960 et 1994.

Le mythe du ‘génocide blanc’ détourne les vrais enjeux : les violences rurales, bien réelles, ciblent toutes les communautés, tandis que 72% des terres restent aux mains des fermiers blancs (Banque Mondiale, 2023), lesquels sont au nombre de 32 000 (Agricultural Business Chamber of South Africa, 2023). Rapportés à la population (60 millions), leur proportion est de 0,05% et, si on inclus les familles et les travailleurs permanents, de 0,7%. « La violence touche toutes les communautés rurales, mais la présenter comme une guerre raciale sert les intérêts de l’extrême droite », observait Keith Somerville.("Southern Africa: White Farmers’ Fears and the ‘Genocide’ Myth", African Arguments, 2019).

Dans ce contexte, la redistribution des terres — notamment celles laissées en friche ou accaparées abusivement — n’est pas un projet idéologique : c’est une nécessité politique et morale, issue d’une mémoire encore vive car la structure foncière actuelle est clairement un héritage de l’apartheid. Elle est inscrite dans la Constitution adoptée en 2018. Sa mise en oeuvre est lente: guère plus de 10% des terres ont été redistribuées depuis 2020 (Banque Mondiale, 2023) dans le cadre de l’Expropriation Act.

Lors d’un séminaire organisé le 11 mars 2025 à l’Université du Western Cape, Ruth Hall, directrice par intérim de l’Institut pour la pauvreté, la terre et les études agraires (Institute for Poverty, Land and Agrarian Studies), souligne que, depuis trois décennies, le gouvernement sud-africain n’a pas fait de la redistribution des terres une priorité. « Durant toutes ces années, au lieu de faire usage de ses prérogatives constitutionnelles, l’État a préféré acheter des terres, n’en redistribuant au final que 11 % des terres agricoles privées. Nous vivons dans un monde secoué par la désinformation et les fausses nouvelles – où l’on affirme, sans la moindre preuve, que les terres des Blancs seraient confisquées, qu’un génocide blanc serait en cours en Afrique du Sud. Ce faisant, la politique foncière a été occultée, et le récit public s’est focalisé sur les peurs et les intérêts des propriétaires terriens. Ce qui a été oublié dans tout cela, ce sont les voix des sans-terre, qui militent pour l’expropriation des terres». Le ministre du Développement rural et de la Réforme agraire, Mzwanele Nyhontso, présent lors des débats, expliquait qu’il fallait « trouver un équilibre entre l’approche capitaliste de la terre comme marchandise et son usage comme instrument de justice et de réparation équitable ».

 Le nombre de fermiers blancs (et leurs familles) qui ont quitté le pays entre 2010 et 2020 est estimé à 15 000 (source : AgriSA), parmi lesquels 20 % seraient revenus selon une enquête de Farmer’s Weekly (2023).

Quant à parler de génocide.....la Maison Blanche devrait regarder vers Gaza et cesser ces mises en scène obcènes.

Dans le théâtre grotesque qu’est devenu le Bureau ovale, Donald Trump joue les pitres en dénonçant un prétendu génocide sud-africain – une fable éhontée, alors que sous les bombes, 50 000 femmes et enfants palestiniens ont été tués en quelques mois, un massacre qu’il ignore avec un cynisme calculé. Pendant que le sang coule réellement à Gaza, on détourne l’attention vers des fictions racialistes, où les morts n’ont de valeur qu’à travers leur couleur de peau, leur utilité médiatique ou leur symbolisme politique. Deux poids, deux mesures : des larmes crocodiles pour 46 fermiers blancs tués en 2022, selon la Police nationale sud-africaine (South African Police Service), érigés en "génocide" qui s’inscrivent dans un total national de 23 000 homicides en Afrique du sud pour cette année là, touchant majoritairement des townships noirs; un silence complice sur les femmes et les enfants palestiniens écrasés sous les décombres, pourtant filmés en direct dans leur détresse. Cette hypocrisie ne trompe plus personne. Parler de "génocide" en Afrique du Sud alors qu’on finance l’extermination de Gaza , l’un des plus grands crimes de ce siècle, c'est ajouter l’imposture des mots à la cruauté des actes, " Les mots menteurs, les mots qui endorment, les mots qui étouffent, les mots qui assassinent" (Victor Hugo, "Actes et Paroles", 1875).

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